Les Lettons ont voté samedi pour renouveler leur Parlement, la 14e élection législative depuis le retour à l’indépendance il y a 30 ans, avec un taux de participation de près de 60%, contre 54% il y a 4 ans. Le parti du premier ministre Nouvelle unité est arrivé en tête, les oligarques ont fait leur réapparition et les formations russophones traditionnelles ont disparu. Décryptage.
(Correspondance à Vilnius, Lituanie) – Une fois n’est pas coutume en Lettonie. Nauja Vienotiba (Nouvelle Unité), le parti arrivé en tête, formera très certainement la nouvelle coalition gouvernementale. Pour le média public letton, la formation emmenée par le premier ministre, Krisjans Karins, un homme politique à la double citoyenneté lettone et américaine, est l’un des vainqueurs de cette élection. « Il faut se souvenir qu’après les 13e élections à la Saiema, ce parti était le plus petit du parlement avec tout juste 8 sièges et 17% des voix ». Le revirement est spectaculaire et pour Una Bergmane, historienne et chercheuse post-doctorale à l’université d’Helsinki, il peut s’expliquer ainsi « Nouvelle Unité a cette capacité à projeter l’image de compétence, d’un parti à la politique européenne ».
L’autre grand gagnant de cette élection est le parti Progresivie (les progressifs). Cette formation politique, née en 2017 et qui dirige aujourd’hui la mairie de Riga avec la formation libérale Atitisbai/Par ! (Pour le développement/Pour !), entre pour la première fois au parlement et aura 10 sièges. Situé à gauche, le parti se préoccupe notamment d’écologie. Ces deux caractéristiques combinées font qu’il s’agit d’une petite révolution dans le monde politique letton.
Durant la campagne électorale, le premier ministre, le premier à être resté à son poste durant toute la durée de son mandat, s’est dit prêt à occuper les mêmes fonctions. Tout porte à croire qu’il sera chargé de former le prochain gouvernement en tant que chef de la force politique. C’est ce qu’a déclaré le président dans une interview à la télévision publique. Mais avec qui la formera-t-il ? Deux partis de sa coalition n’ont pas franchi la barre nécessaire de 5% des votes pour siéger au Parlement. La défaite est particulièrement cuisante pour la formation libérale qui n’a obtenu que 4,97% des voix, contre 12,04% en 2018. Les explications sont multiples pour l’historienne Una Bergmane. « Le problème principal pour eux est qu’ils ont géré le ministère de la Santé pendant la pandémie et c’était compliqué pour eux et pour tout le monde. Ils ont aussi géré le ministère de l’Intérieur. Il y a eu une crise sur la frontière avec la Biélorussie avec la migration instrumentalisée par A. Loukachenko » analyse Una Bergmane. Des soupçons de favoritisme à l’égard du business des casinos a aussi entaché la formation politique.
Les deux graphiques ci-dessous sont issus du site https://news.err.ee/
Le retour d’oligarques notoires
Deux partis dominés par les oligarques ont obtenu de bons scores. Même avant leur élection, Nellija Locmele, l’éditorialiste de l’hebdomadaire IR mettait en garde contre « le retour des zombies ». L’Union des Verts et des Fermiers, qui n’a de vert et de fermier que le nom, est la deuxième force politique du parlement. Cette formation est dominée par la personnalité d’Aivars Lembergs, un oligarque condamné à de la prison pour corruption, inquiété par la justice depuis 2007 et sur la liste des sanctions américaines. Cet homme de 71 ans a longtemps dominé la ville de Ventspils, port letton de transit des hydrocarbures russes. Il est le premier ministrable du parti, ce qui rend toute coalition avec Nouvelle Unité impossible.
Entretien avec Una Bergmane : « Pour les Lettons, ce monument est devenu le symbole du pouvoir impérialiste russe. »
La 14e élection législative lettone voit aussi le retour d’Ainars Slesers, oligarque notoire et ancien ministre des Transports. « Ce sont des gens qui aiment simplement la politique. Cela fait partie de leur identité. Slesers a mené de très nombreux projets politiques qui ont échoué. La politique est leur motivation » décrypte le sociologue Ainars Kaktins à la tête d’un institut de sondage sur sa participation aux élections.
En #Lettonie, on vote #velešanas2022 kaléidoscope pic.twitter.com/dQbodOeGyg
— Marielle Vitureau (@MVitureau) October 1, 2022
Où sont passées les voix des Russophones ?
Mais où sont passés les voix des Russophones, environ un tiers de la population de Lettonie de 1,8 millions d’habitants ? Le parti Saskanas (Harmonie), qui était le premier parti en nombre de sièges lors de la précédente législature, n’a pas non plus franchi la barre des 5%. La prise de position contre l’agression russe en Ukraine, des scissions internes et le départ de certaines figures du parti ont fait chuter cette formation qui dominait pourtant au Parlement depuis une dizaine d’années. Latvijas Krievu Savieniba (Union des Russes des Lettonie) à la ligne pro-Poutine n’a pas non plus franchi la barre des 5%, même si la formation a légèrement amélioré son résultat. « Cela prouve que la majorité des Russes ethniques en Lettonie ne souhaitent pas être associés à Poutine et à ses actes belliqueux » analyse LSM. Les voix des Russophones se sont en partie reportées sur la formation Stabilité !, créée par des transfuges du parti Harmonie, se prononçant pour le droit de vote des non-citoyens.
Le président a commencé dès aujourd’hui à rencontrer les différentes formations politiques, une par une. La constitution lettone le charge de désigner un premier ministre, à qui revient la tâche de former un gouvernement. L’Alliance nationale, située très à droite et déjà dans le gouvernement précédent et la liste unie, une formation réunissant trois partis et menés par un ancien ministre de la défense, paraissent à même de rejoindre Nouvelle Unité. Où les progressistes trouveront leur place ? C’est certainement l’une des inconnues des prochaines semaines.
Crédit photo : Saeima / https://www.flickr.com/photos/saeima/5332884876