Viktor Orbán veut mettre la Hongrie sur la carte de l’Asie centrale

Convié au sommet du Conseil turcique à Tcholpon-ata au Kirghizstan, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán n’a pas ménagé sa peine pour placer l’amitié entre la Hongrie et les pays d’Asie centrale sous l’égide d’un « nouvel ordre mondial » oriental. A rebours de l’Ouzbékistan, en pleine quête de respectabilité auprès des pays occidentaux.

Cet article est le fruit d’une collaboration entre Le Courrier d’Europe centrale et Novastan au sein du Collectif pour un Nouveau journalisme international, dont les deux sites d’information sont membres fondateurs.

« La Hongrie a toujours été attentive au partenariat avec les pays d’identité turcique. Elle protège sa langue, sa culture et ses traditions au sein du monde moderne, tout en respectant et prenant soin de ses racines turciques », a déclaré hier après-midi le Premier ministre hongrois Viktor Orbán lors du sixième sommet du Conseil turcique dans la station balnéaire de Tcholpon-ata au Kirghizstan. Le Premier ministre hongrois a justifié sa présence à cette assemblée turcophone en convoquant la très hypothétique origine hunnique des Hongrois, qui seraient selon lui « les descendants des enfants d’Attila ».

Viktor Orbán a souhaité donner un sens politique au rapprochement de la Hongrie avec l’Asie centrale, en vantant la coopération turcophone comme une des pierres angulaires d’un « nouvel ordre mondial » au bénéfice des pays orientaux. « Il est désormais clair que l’ordre mondial ancien s’est effondré, dont le dogme voulait que l’argent et le savoir venaient de l’Occident riche et puissant pour ruisseler vers les pauvres pays de l’Est », a-t-il notamment affirmé, ajoutant que la Hongrie « se tient désormais prête pour l’ouverture d’un nouveau chapitre dans la coopération hongro-turcique ».

Autre invité d’honneur de ce sommet, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev a tenu à prendre ses distances avec l’agenda poussé par Budapest. « L’Ouzbékistan développe sa coopération avec les pays de l’organisation du Conseil turcique qui sont avant tout ses voisins », a-t-il ainsi déclaré. Pour Tachkent, l’enjeu est de maintenir le Conseil turcique dans son périmètre actuel, c’est-à-dire un club régional servant d’appoint à des projets nationaux de portée très limitée, à l’instar du centre financier d’Astana lancé en juillet dernier ou du hub logistique qu’aimerait développer l’Azerbaïdjan. La photo de famille des dirigeants participant au sommet, prise devant une citation en russe du défunt écrivain kirghiz Tchingiz Aïtmatov montre d’ailleurs bien les limites du concept de turcophonie.

Pour l’Ouzbékistan, isolée au sein de la communauté internationale jusqu’en 2016, l’enjeu est d’entretenir de bonnes relations avec ses pays voisins, tout en montrant patte blanche auprès des pays occidentaux, notamment de la Commission européenne qui devrait soutenir financièrement le pays dans son développement. Alors qu’il devrait bientôt s’envoler pour Paris, Chavkat Mirzioïev ainsi évité de montrer trop de proximité avec Viktor Orbán ou encore le président turc Recep Tayyip Erdoğan, également présent.

Cinq documents ont été signés lors de ce sommet, dont un « plan d’intégration des pays turcophones », sans que son contenu soit précisé et qui devra encore être travaillé par les différents ministères des affaires étrangères selon le communiqué kazakh. Chacun des chefs d’Etats et de gouvernement présents a souligné la volonté de développer la coopération à tous les niveaux au sein des pays membres. A l’écart de ce format régional depuis sa création en 2009, l’Ouzbékistan a été admise comme membre à part entière du Conseil turcique lors de ce sommet, tandis que la Hongrie a gagné un statut de pays observateur.

Pour la Hongrie, cette intégration à l’organisation turcophone montre l’enjeu stratégique que représente pour elle l’Asie centrale. Budapest est notamment particulièrement active au sein d’autres schémas de coopération euro-asiatiques, à l’instar du Format 16+1 et de la Nouvelle Route de la soie, qui rassemblent la Chine et plusieurs pays d’Europe centrale et orientale. Preuve de ce rapprochement voulu par Viktor Orbán, l’annonce par son gouvernement de l’ouverture d’une ligne de crédit de 1,5 milliards de dollars par la Banque hongroise de développement pour des projets d’investissement entre la Hongrie et les pays membres du Conseil, plus le Turkménistan.

Un sommet en marge des Jeux mondiaux nomades

Le sommet du Conseil turcique à Tcholpon-ata a été organisé en marge des Jeux mondiaux nomades, qui réunissent pour leur troisième édition plusieurs centaines de sportifs concourant dans des disciplines traditionnelles d’Asie centrale. La réunion des chefs d’État et de gouvernement, placée sous l’égide « de la jeunesse et des sports nationaux » selon la volonté du pays hôte kirghize, a également été un moyen d’attirer le soutien diplomatique et international à cette manifestation sportive que Bichkek est pour l’instant seule à organiser.

Comme lors des précédentes éditions de 2014 et 2016, une délégation hongroise emmenée par András Zsolt Bíró prendra part à différentes compétitions, notamment le tir à l’arc traditionnel à cheval, à pied et en ligne, la lutte à cheval (ou Er Enish), le koures (art martial kazakh), la lutte à la ceinture, l’alysh, le mas-wrestling et le Toguz Korgool (un jeu de type mancala). Les Hongrois avaient décroché cinq médailles lors des précédents Jeux, finissant quatorzièmes sur 32.

Comprendre le débat sur l’origine des Hongrois

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).