Le mal-logement est un phénomène qui touche de plus en plus d’habitants à Budapest, en raison principalement de la hausse des prix de l’immobilier et de la multiplication des programmes de réhabilitation urbaine. Qu’ils vivent seuls, en couple ou en famille, de plus en plus de Budapestois sont contraints de s’inventer un nouveau chez-eux dans des gîtes de fortune situés aux marges de la capitale, sur les collines de Buda ou aux abords des villages de l’Alföld. Reportage.
Article publié le 25 octobre 2018 dans Abcúg sous le titre « Gazdag telkesek között bújnak meg a lakhatási válság áldozatai ». Traduit du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi. |
En raison de la hausse brutale des prix de l’immobilier – notamment des loyers – et aussi de la multiplication des programmes de réhabilitation urbaine dans plusieurs arrondissements de Budapest, de plus en plus de personnes démunies ne peuvent plus conserver leur logement et se voient ainsi contraints de quitter la capitale.
Même ceux qui disposent d’un revenu régulier et vivent dans des conditions matérielles stables sont parfois amenés à s’installer en dehors de la ville, car ils ne peuvent plus se permettre de payer tous les mois entre 150-200 000 de charges et de loyers, y compris pour des logements situés dans les arrondissements périphériques. L’accès à la propriété dans Budapest est désormais clairement un rêve hors de leur portée.
Les localités de l’agglomération de Budapest ne sont plus seulement la destination de ceux qui cherchent là un peu plus de verdure, mais elles sont également devenues la destination des plus pauvres, exclus de la ville. Ces gens-là sont prêts à accepter les pires conditions de logement, tant qu’ils peuvent se maintenir à proximité d’un travail. A quoi bon acheter sa propre maison dans un petit village éloigné, s’il n’y a pas de quoi y gagner sa vie ?
Nous nous sommes rendus dans deux localités à l’Ouest et au Sud-Est de Budapest, afin de voir où ils s’installaient. Sur place, nous n’avons pas rencontré que des anciens Budapestois ; nous avons réalisé que ces lieux, éloignés du centre des bourgs, étaient souvent de véritables creusets sociaux.
A Budaörs, une riche propriétaire est la voisine d’une ancienne sans-abri qui transforme sa cabane forestière en gîte habitable ; dans les rues poussiéreuses et sableuses des alentours de Pilis, un travailleur saisonnier originaire du Hajdúság vit à proximité d’un jeune couple construisant sa première maison.
Idylle sur la colline
C’est par un joli soleil d’automne que nous grimpons sur Frankhegy, un sommet s’élevant au-dessus de Budaörs. Dans le centre, nous quittons la route nationale 1 pour entamer notre ascension, laissons derrière nous ces villas toutes plus neuves les unes que les autres, ces maisons familiales éparses, et arrivons à la lisière de la zone urbanisée. Ici, sur les flancs du massif de Buda, ce sont désormais des anciens gîtes de vacances et des petits jardins qui succèdent aux demeures résidentielles.
Les terrains sont dissimulés en grande partie derrière des arbres et des arbrisseaux, et seuls les portails rouillés et les barrières trouées trahissent l’existence de parcelles grillagées derrière toute cette jungle. Quelques jardins un peu ordonnés côtoient ceux laissés depuis longtemps à l’abandon, et c’est la présence à plusieurs endroits de voitures garées sur le bas côté de ces petites routes de colline qui nous laisse penser que leurs propriétaires sont venus là profiter un peu du beau temps pour jardiner. Aux portillons riches et bien entretenus se succèdent d’autres, de facture plus simple, ce qui donne à ce coin une ambiance un peu confuse.
Dans un des virages, nous entendons un aboiement de chien au moment où nous passons devant le portail, et c’est juste à ce moment-là que nous apercevons à côté d’un petit cabanon de fortune des habits de travail sécher sur la corde à linge, avec aussi un gilet de sécurité vert. Un homme nous ouvre après que nous l’ayons interpellé puis, après quelques présentations, invite sa femme à se joindre également à nous, puis nous entamons très vite la discussion au milieu de la cour.
Csaba et Anna habitent depuis janvier dans cette petite bicoque sur deux niveaux, qu’ils avaient alors repérée sur Jófogás, un des sites d’annonces les plus visités [de Hongrie].
« Nous payons 40 000 forints par mois » – répond Anna à notre question sur le montant du loyer qu’ils doivent verser à leur vieux propriétaire, puis elle nous montre dans un boîtier fixé au mur leur compteur électrique à clé. Le fait de devoir le recharger est synonyme de dépenses supplémentaires pour le couple, dont la petite maison de vacances n’est reliée à aucun autre réseau collectif. L’hiver dernier, ils ont chauffé à l’aide d’un poêle raccordé à une bonbonne de gaz et ils recommenceront cette année ; quant à l’eau, s’il y a bien des petits robinets dans le jardin, il ne s’agit pas d’eau courante, donc elle ne peut être utilisée que pour la vaisselle, la lessive et la toilette.
« Ça c’est à moi, je travaille comme agent de sécurité pour le compte d’une entreprise de gardiennage », me dit Anna quand je lui demande à qui appartient la collection de vêtements qui sèchent à l’extérieur. Avant de s’installer ici, cette femme de 45 ans a toujours vécu depuis ses 14 ans – depuis 1987 – dans un bois situé dans un arrondissement de la banlieue de Budapest, à Újpalota, que ce soit en cabane ou en tente. Elle était déjà sans-abri quand elle a suivi la formation d’agent de sécurité armé. Elle a rencontré son compagnon – Csaba – sur un précédent lieu de travail, puis ce dernier a suivi Anna pour vivre aussi en forêt. « Quand je vivais là-bas, j’avais déjà un travail, et il était impossible de deviner que j’étais sans-abri sur ma seule apparence », raconte Anna, se souvenant de l’air étonné des gens, dans les administrations ou ailleurs, qui voyaient la mention « sans domicile fixe » sur ses papiers d’identité. Sur son lieu de travail, ils ne savent même pas qu’elle a vécu comme SDF durant des années.
Par leurs propres moyens
En 2011, le bois où Anna et son compagnon vivaient est nettoyé dans le cadre d’un programme de réhabilitation mené par la municipalité d’Újpalota et l’organisme propriétaire des lieux, Pilisi Parkerdő Zrt. Le couple et les autres personnes sans-abri vivant là sont alors pris en charge par le service d’assistance sociale d’Újpalota ainsi que l’Ordre de Malte, qui cherchent alors des solutions pour leur trouver un logement.
C’est de cette façon que Anna et Csaba se sont retrouvés à Budaörs dans un cabanon ressemblant à celui qu’ils occupent actuellement, et dont les loyers étaient en partie réglés par l’Ordre de Malte. Lorsque le propriétaire a développé de nouveaux projets concernant la maison et qu’il a rompu le contrat de location, c’est par ses propres moyens que le couple a pu emménager dans son domicile actuel. Ils ont même pu venir en aide à la belle-sœur d’Anna, qui loue une deuxième maisonnette située sur le même terrain.
« Ici c’est très calme, c’est la nuit qu’il faut faire attention. Il n’est pas vraiment possible de traîner dehors, car le coin est plein de sangliers et ils peuvent être très dangereux s’ils ont des marcassins », explique Anna, qui fait chaque jour le trajet pour Budapest. Durant la discussion, il est difficile de ne pas être distrait par la vue, splendide, que l’on a de la cour d’Anna sur la chapelle de Kő-hegy, l’une des principales curiosités de Budaörs.
« L’hiver, c’est sûr que nous le passerons ici », répond Anna à sa voisine, qui rentre tout juste chez elle avec son chien fraîchement toiletté et dont la voiture s’engage dans sa cour lorsque nous nous apprêtons à quitter les lieux. La femme prend chaleureusement des nouvelles d’Anna, et lorsqu’elle apprend le fait que nous sommes journalistes, ainsi que le sujet de notre reportage, elle nous retient un peu pour nous dire le fond de sa pensée.
Selon elle, les terrains vides et délaissés des alentours seraient occupés par des sans-abris toxicomanes, prêts à tout pour accéder à leurs produits, et la police ne ferait rien malgré l’accumulation des plaintes des propriétaires.
« Lorsqu’ils m’ont répondu qu’il fallait que je règle moi-même le problème d’une façon ou d’une autre, alors j’ai dit à mes amis du kenpō[1]Art martial japonais qu’ils pourraient enfin se faire la main », explique la femme, racontant la manière musclée avec laquelle ils ont dégagé les SDF qui s’étaient installés dans la maison d’à côté. Pendant ce temps-là, Anna qui s’était présentée une demie-heure auparavant comme une ex-sans-abri, se tient sous le poirier sans piper mot.
Plusieurs propriétaires de terrain ont également évoqué le fait que les sans-abri qui s’installaient dans les gîtes abandonnés posaient problème. Dans une des rues concernées, nous nous rendons là d’où a été chassé il y a peu l’occupant des lieux. Nous avons trouvé ses affaires laissées telles quelles dans la véranda, et sur la porte l’écriteau suivant : « Nous avons vidé le bâtiment, n’essayez pas d’entrer ! »
Sur cette colline de Budaörs, beaucoup de propriétaires attendent l’installation du réseau d’eau potable pour que le quartier change enfin, et que les pauvres qui s’installent là disparaissent. Beaucoup de terrains ont été acquis comme autant d’investissements, et leurs propriétaires espèrent que la viabilisation de leurs terrains permettra de les revendre plus chères que le prix qu’ils leur ont coûté.
Les mal-logés dans les radars de la municipalité
Pendant ce temps-là, de plus en plus de Budapestois confrontés au mal-logement préfèrent louer à des prix plus abordables des habitats de fortune sur la colline de Budaörs que dans la capitale. Cette information a été confirmée à Abcúg par un travailleur social ayant requis l’anonymat, et qui est régulièrement en contact avec des personnes qui s’installent sur ces hauteurs. « Il n’y a pas beaucoup de familles, parce que celles-ci sont immédiatement placées dans des foyers temporaires par l’assistance publique », nous explique-t-il, tout en précisant être confronté malgré tout à ce genre de cas. Les résidents locaux bénéficient prioritairement des organismes sociaux de la municipalité, tandis que les « parachutés » peuvent être relogés partout dans le réseau national.
Le phénomène d’installation des mal-logés de la capitale à Budaörs est désormais dans les radars de la municipalité, d’autant qu’ils finissent par apparaître tôt ou tard dans les registres de la collectivité, afin de bénéficier de ses prestations sociales. « Au-delà de répondre aux critères de l’aide sociale, ces derniers sont soumis aux conditions suivantes : avoir une adresse enregistrée à Budaörs et vivre ici depuis aux moins deux ans », a indiqué à Abcúg Csaba Vágó, le chef de cabinet du maire de Budaörs.
« Parmi les personnes se retrouvant en situation de pauvreté, nous pouvons aider en premier lieu ceux qui habitent la commune », s’est-il par ailleurs justifié pour expliquer les restrictions décidées par la municipalité. Celle-ci cherche à éviter des situations où certains seraient tentés d’utiliser à la fois le réseau social de Budaörs et celui de Budapest.
Selon Vágó, tout le monde peut avoir accès à ces anciens gîtes de vacances appartenant à la mairie, et d’ailleurs cette adresse est suffisante pour débloquer les aides sociales dépendant de la collectivité. Il n’a cependant aucune idée du nombre précis de personnes ayant élu domicile ces cinq dernières années dans le secteur que nous avons parcouru. Ces données sont collectées par l’État, et les municipalités n’ont aucune visibilité à leur sujet.
Csaba Vágó a tenu à nous rassurer au sujet des familles avec enfants : il y a largement assez de logements sur la colline où ce genre de ménage peut habiter en toute sécurité.
Depuis 2005, c’est l’Ordre hongrois de Malte qui prend en charge les sans-abris dans le cadre d’une délégation de service public. Csaba Vágó a confirmé à Abcúg que l’ordre hospitalier aidait certaines personnes justifiant d’un revenu, à louer des maisons catégorisées en « confort rudimentaire » dans les collines de Budaörs, soit en négociant avec les propriétaires, soit via des courtiers immobiliers.
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La mairie a entamé depuis des discussions avec les propriétaires détenant un bien sur la colline, au sujet de la viabilisation de leurs terrains et de la bitumisation des routes. Le directeur de cabinet du maire a déclaré à Abcúg que le processus ne pourra être que progressif, car cela pourrait avoir des conséquences difficiles à anticiper si les 1200 propriétaires décidaient demain de se raccorder aux réseaux et aux canalisations.
Si la viabilisation commence et que les prix des terrains achetés par les investisseurs s’envolent, alors il ne restera plus grand chose pour les pauvres.
Un taudis entre les villas
Lorsque nous descendons la colline Frankhegy, nous apercevons sur le bord de la route une petite maisonnette grise parmi la rangée de maisons, laquelle apparaît bien plus délabrée que les autres bâtiments, mais que le maître des lieux a visiblement cherché à décorer avec tout ce qui lui tombait sous la main. On voit à côté de la porte d’entrée un tas de bûches fraîchement coupées, le long du mur un fauteuil élimé, devant la maison une baignoire remplie d’eau.
« Tout le secteur des gîtes appartenait au ministère de l’intérieur, et c’était les cadres du parti les plus fidèles qui s’en servaient comme maisons de vacances. »
C’est dans ce gîte que vit Ferenc, qui va sur ses cinquante ans, ainsi que son fils adoptif de 28 ans, menuisier de son état, qui est encore au travail au moment où nous sommes sur les lieux. Feri nous invite cordialement sur sa terrasse et c’est très volontiers qu’il répond à nos questions.
Auparavant, durant la période communiste, tout le secteur des gîtes appartenait au ministère de l’intérieur, et c’était les cadres du parti les plus fidèles qui s’en servaient comme maisons de vacances. Après la transition, la propriété de ces maisonnettes non privatisées a été transférée aux collectivités locales. Ferenc habite dans l’une d’entre elles à titre gracieux.
« Je me considère comme un semi-SDF, parce que dans les faits, le propriétaire peut me dire à tout moment de quitter la maison, et à ce moment-là je ne saurai pas où aller », explique Ferenc, qui peut bénéficier gratuitement du vieux bungalow grâce à l’intervention d’une de ses connaissances au sein de la collectivité locale.
Ce serait pourtant important pour Ferenc de pouvoir rester dans le coin, car c’est cette colline qui lui donne du travail. « Je suis dans le jardinage et je travaille sur les terrains aux alentours. Je n’ai pas mis de petites annonces, on me connait par le bouche à oreille », dit-il, en ajoutant connaître tout le monde par ici. « Dans le voisinage, il y a justement la villa d’un joueur de water-polo très connu qui se construit. C’est un coin assez prisé », commente-t-il. De ce côté de la montagne, les maisons ont été viabilisées, ce qui n’a pas encore été fait du côté de Budaörs, c’est pour ça que les maisons poussent comme des champignons.
« S’il fallait que je prenne le large demain, alors je saurais encore où aller, car je connais quelqu’un dans le coin qui pourrait là encore me laisser utiliser gracieusement un gîte, mais bon il faudrait que, d’une manière ou d’une autre, l’on régularise notre situation sur le long terme », songe Ferenc, qui raconte ensuite avoir visité une maison avec son fils adoptif, dans un village du département vieillissant de Zala. Ils auraient pu avoir de quoi l’acheter, car la maison leur plaisait en plus, mais ils ne se sont finalement pas lancés dans l’acquisition. « Que pourrais-je faire là-bas ? Travailleur public sous-payé ? », explique-t-il. Selon lui, c’est pour ça que beaucoup préfèrent s’établir en marge de la ville. Même si les conditions de vie sont moins favorables, au moins ils peuvent avoir un travail à portée de main.
Le petit monde des gîtes de sable
Après avoir délaissé les collines de Buda, nous prenons le lendemain le chemin de l’Alföld, en nous engageant à la sortie de Budapest sur la route nationale 4 qui file vers le Sud-Est en direction de Pilis. Beaucoup de personnes en situation de mal-logement dans la capitale s’y installent également.
La petite bourgade de 12 000 habitants est entourée de buttes de sable où l’on produisait auparavant du vin, et dont seuls quelques chais, répartis sur des terrains plus ou moins grands, en sont les témoins. Ce sont ces petits bâtiments que des personnes exclues de la capitale, ou tout simplement du centre de Pilis, ont commencé à acheter ou louer pour les aménager.
Il suffit de prendre une des rues perpendiculaires aux principales artères du bourg pour accéder aux anciennes parcelles viticoles. Alors que nous nous enfonçons dans une ces voies, le sable succède au bitume et les petite maisons, murées, en ruine ou rénovées se font de plus en plus rares. Chaque parcelle porte un nom différent.
C’est dans la parcelle numéro 1 que nous trouvons une petite maison blanche, de type villageoise, sur un terrain entouré de pins hauts de plusieurs mètres, et que Katalin a achetée pour 1 million de forint afin d’y installer sa famille, laquelle habitait auparavant dans le septième arrondissement de Budapest. « Nous louions un bien dans Garay utca, mais le propriétaire s’est endetté et la banque a pris l’appartement », explique Katalin en donnant les raisons du départ de son précédent logement. Elle payait tous les mois 150 000 forint en charge et en loyer, et toute la famille y habitait : elle et son mari, leurs deux adolescents, ainsi que la fille de Katalin, mère à 15 ans d’un petit garçon et que Katalin a pris sous sa tutelle.
« C’était très difficile, après avoir vécu à Budapest, de constater qu’ici il n’y avait vraiment rien »
C’est précisément au moment où il a fallu trouver d’urgence un nouveau logement adapté à l’arrivée du bébé que la famille a du quitter l’appartement qu’elle occupait depuis sept ans à deux pas de la gare Keleti. Si le problème n’avait pas été réglé à temps, Katalin craignait que les services sociaux ne lui enlèvent la tutelle du petit Noel. « Il n’y avait aucune chance de trouver quelque chose à Budapest avec un enfant en bas page, car les propriétaires préfèrent encore les animaux aux gamins », détaille Katalin en évoquant son expérience de recherche d’appartements à Budapest.
C’est un ami, vivant justement à côté de Pilis qui leur a finalement soufflé la solution : pourquoi ne pas regarder une de ces maisons à vendre dans les alentours. Ils ont trouvé leur nouveau domicile sur un site immobilier, dont une partie des frais d’agence a été remboursée. « C’était très difficile, après avoir vécu à Budapest, de constater qu’ici il n’y avait vraiment rien », dit Katalin, qui cherche à se rendre régulièrement à la capitale avec sa famille, afin d’améliorer un peu le quotidien. Ça arrive même qu’ils y passent la nuit chez un membre de la famille. Le mari de Katalin – qui fait vivre le foyer – travaille d’ailleurs toujours à Budapest comme couvreur. Il fait le trajet chaque jour en voiture.
Elle sait que c’était trop cher payé, mais le temps jouait contre elle
Barbara habite à deux rues de chez Katalin, et cette femme de 39 ans n’est pas dans une situation aussi heureuse : il faut qu’elle fasse tous les jours 40 minutes de marche puis 40 minutes de bus pour se rendre à son travail, dans un McDonalds de Budapest, où elle est femme de ménage.
Barbara a quitté le 17e arrondissement de la capitale pour s’installer à Pilis, car il lui fallait quitter son appartement précédent. Elle vivait au rez-de-chaussée de la maison d’un des salariés du foyer de transit du quartier, mais la naissance de son bébé l’a contrainte à déménager. Barbara avait justement connu le foyer parce qu’elle ne savait pas où aller lorsqu’elle s’était séparée de son ancien copain.
On lui a vendu pour trois millions de forint une bâtisse sur la parcelle de Halesz qui n’est clairement pas faite pour être habitée et pour laquelle Barbara a contracté un emprunt. Son fils et sa copine – qu’il a rencontrée à Pilis – l’aident à l’embellir un peu en ce moment. La petite fille, née de la précédente liaison de Barbara vit avec eux et joue justement dehors, sur le grand terrain attenant à la maison.
Barbara a conscience de ne pas avoir fait une bonne affaire, mais elle était prise par le temps. « J’avais deux semaines pour trouver quelque chose, et je n’avais aucune expérience sur le terrain de l’achat immobilier. Bon au moins nous avons un toit au-dessus de notre tête », nous dit-elle.
Des chais transformés en foyers de travailleurs
Un bus scolaire est arrêté devant une maison située une rue plus loin du domicile de Barbara. Au bout de quelques minutes de discussion avec l’un de ses habitants, Zoltán, nous nous rendons compte que cet édifice est en réalité un foyer de travailleurs. Il s’agit de deux chais acquis par une entreprise de recrutement, qui fait travailler des ouvriers dans les hangars d’une multinationale installée à Üllő, une localité voisine.
« A l’origine je viens du Szabolcs, de Nagyecsed, mais je ne retourne pas vraiment là-bas, tout au plus pour du travail agricole saisonnier », raconte Zoltán, qui n’a plus vraiment de famille dans sa région natale : il s’est séparé de sa femme et ses enfants ont quitté leur domicile. Son fils vit désormais avec lui dans ce foyer de travailleurs, et ils travaillent ensemble dans le hangar que nous venons d’évoquer.
Ils cohabitent dans le même appartement avec quatre autres personnes, et vu que le dortoir peut accueillir en tout huit personnes, Zoltán pense que les places restantes seront vite attribuées à d’autres travailleurs. « Si vous étiez venus deux jours plus tôt, vous auriez rencontré deux garçons qui ont fait des pieds et des mains pour rester ici. Je le dis sérieusement, j’avais pitié d’eux », raconte Zoltán, qui sait à quel point ces deux gars de la campagne auraient aimé s’accrocher d’une façon ou d’une autre à cette ultime lisière de la capitale.
« Ces gens passent leur vie à travailler. Tu aurais vu cette jeune femme, à quel point elle s’est épaissie au contact du travail physique », explique Zoltán en nous montrant la personne en question, que nous avions aperçue un peu plus tôt devant la maison. Zoltán et son fils travaillent dans trois secteurs d’activité et se rendent sur leur lieu de travail avec ce bus scolaire bon à la casse qui était stationné devant le foyer. C’est Zoltán qui conduit son groupe. Il travaille tous les jours, y compris les week-ends, afin de pouvoir tôt ou tard emménager dans son propre logement quelque part dans le coin.
Premier foyer sur les buttes de sable
A côté de ces exclus de Budapest et de ces travailleurs ruraux attirés par les opportunités de travail en Hongrie centrale, on trouve aussi des jeunes familles sur ces buttes de sable de Pilis, qui essaient de fonder leur foyer dans un de ces anciens chais. En rendant ces bâtiments habitables et en les agrandissant selon ses moyens, il est tout à fait possible d’avoir une véritable petite maisonnée sur des assez grands terrains, ce qui peut être un cadre idéal pour élever un enfant.
Nous rencontrons justement une jeune mère de famille de 23 ans chez elle, avec son bébé de neuf mois, qui nous montre avec plaisir leur maison en construction. Le couple a acquis grâce à ses deux millions de forint d’économie un chais de deux pièces, qu’ils sont justement en train de faire agrandir à grand renfort de poutres de bois. Enikő nous indique fièrement où se situera la chambre de leur enfant.
« Moi je suis une vraie fille de Pilis, et bien sûr ce n’est pas dans cette zone reculée que nous aurions aimé acheter une maison, mais même dans le centre les maisons sont de plus en plus délabrées. Nous aurions aimé acheter la maison située à côté de celle de mes parents et elle n’était pas dans un meilleur état que celle-ci, et pourtant on voulait nous la vendre pour 6 millions ! Nous ne voulons pas emprunter, et c’était impossible que nous réunissions autant d’argent », nous explique-t-elle.
La jeune mère de famille pense désormais qu’ils réussiront malgré tout à aménager en lisière du village un espace de vie suffisamment confortable pour que leur enfant grandisse.
Un problème pour la ville
Nous avons également cherché à contacter l’équipe municipale de Pilis, pour lui demander sa position au sujet de l’accroissement démographique dans cette zone, mais aucune réponse ne nous est parvenue avant la mise en ligne de cet article. La maire de la ville, Csilla Hajnal, avait déclaré il y a deux ans au Magyar Nemzet, que l’installation de deux à trois-mille nouveaux habitants aux abords de la ville posait un vrai problème pour la collectivité, d’autant que leur effectif ne cessait d’augmenter. Au moment de cet entretien, la municipalité n’autorisait plus d’installation dans les anciens chais, car « ils sont classifiés en zone agricole fermée ». Elle avait alors également ajouté qu’il y a bien eu un moment où l’on accordait un droit à s’y domicilier, mais « il y a eu tellement de demandes, que c’en était inquiétant ».
Les habitants des buttes cherchent à obtenir de la mairie que les aménagements extérieurs au bourg s’améliorent. Ils aimeraient beaucoup, par exemple, que les routes soient goudronnées afin d’éviter les marres jaunes qui apparaissent à chaque pluie, et sans qu’ils aient à renoncer en échange à quoi que ce soit d’autre.
Notes
↑1 | Art martial japonais |
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