Comme en 2010 et en 2014, le Fidesz de Viktor Orbán espère rafler la mise ce dimanche aux élections législatives. Le Courrier d’Europe Centrale est allé à la rencontre de certains de ses électeurs, actuels ou passés.
Tout au long de ce mandat de quatre ans qui s’achève, le Fidesz a mené une campagne ininterrompue sur un thème unique : la lutte contre une immigration aujourd’hui quasi-inexistante. Force est de constater que cela fait des émules parmi l’électorat Fidesz, y compris chez les jeunes. János, 21 ans, étudiant en droit à Budapest, est clair : « comme les autres électeurs du Fidesz, je ne veux pas d’immigration. La Hongrie a ses propres problèmes, et ses propres minorités à intégrer, nous n’en voulons pas d’autres ». Poli, 19 ans, étudiante à l’université d’administration publique à Budapest, est du même avis : « c’est une bonne chose que le Fidesz empêche l’accueil des réfugiés et des migrants en Hongrie ».
Néanmoins, une partie de l’électorat du Fidesz semble mal à l’aise et désapprouve même la radicalisation du parti. Certains, comme János, peinent à trouver les arguments pour justifier la rhétorique agressive et conspirationniste développée depuis le début de la crise migratoire. Il prétend ne pas être « aveugle » et se dit même parfois « choqué par cette propagande ». D’autres s’opposent encore plus fermement à la propagation d’un discours de haine, comme István, un chef d’entreprise trentenaire qui dénonce une « communication honteuse, et dégueulasse ». Fanni, 19 ans étudiante en anglais à Budapest, regrette quant à elle que « les partis ne puissent pas librement faire campagne », une forme de « vandalisme », selon elle.
Ilona, 70 ans tout juste et mère de deux enfants est catégorique : elle ne revotera plus pour le Fidesz. « J’ai voté pour eux en 2014 et là, je suis plus que déçue. Orbán, le pouvoir lui est monté à la tête, et là ce n’est plus possible. Le Fidesz est responsable de cette campagne de haine, d’abord avec le FMI…puis l’ONU…puis Soros. Ils veulent nous faire peur avec tout. Mais les gens ne sont pas bêtes, ils commencent à se rendre compte, car la situation des jeunes est difficile, ils sont obligés de partir bosser à l’étranger ».
« Ils veulent nous faire peur avec tout. Mais les gens ne sont pas bêtes, ils commencent à se rendre compte ».
Ilona a travaillé toute sa vie dans une compagnie d’assurances à Budapest. « Après le communisme, j’ai voté pour pour le MDF, puis le SzDSz et les socialistes en 2002. J’ai voté Fidesz pour la première fois en 2010, car ils avaient promis de sortir le pays de la crise et ils nous faisaient peur avec les impôts, la banqueroute… J’ai cru qu’ils pourraient nous sortir de tout ça. J’ai mal au ventre de voir tout cet argent qui est allé dans les poches de leurs copains et de leur famille. La corruption est devenue intolérable. Et puis…toute cette triche avec les Hongrois à l’étranger, surtout en Ukraine. Même mon compagnon ne votera pas pour eux cette fois. ».
Pour ces mêmes raisons, István sait qu’il ne revotera plus non plus pour eux et qu’il risque de devoir choisir « la moins mauvaise option ». Après avoir voté Fidesz en 2010, et LMP par défaut en 2014. En tant que chef d’entreprise, il s’agace face à l’existence d’un « Etat-Fidesz dont la bureaucratie corrompue force les entreprises à soutenir le parti afin d’obtenir des parts de marchés publics ». Zsolt, professeur d’italien de 40 ans, hésite encore à donner son vote pour le Fidesz, « la corruption est inacceptable car l’on ne sait pas où va l’argent public ». Lui aussi pointe du doigt « l’enrichissement des amis d’Orbán ».
La stabilité avant tout
János, le jeune étudiant originaire de Szentendre, concède que « l’Etat Fidesz » est un Etat corrompu. Pour autant, il votera pour le parti au pouvoir depuis 2010 car il le voit comme un gage de stabilité. Pour lui, « le Fidesz est certes corrompu, extrémiste, et a abusé de son pouvoir, mais il reste encore la moins mauvaise option et ont aussi de bonnes idées ». D’ailleurs, il insiste sur le danger que représente l’opposition : « Le Fidesz c’est la stabilité, l’opposition c’est le chaos et l’anarchie. Elle n’a pas de programme hormis de faire tomber le Fidesz ».
Fanni optera aussi pour la stabilité, estimant « qu’avec le Fidesz, il n’y aura pas de mauvaises surprises ». Son amie Poli veut également la réélection de Viktor Orbán. Ses raisons sont très pragmatiques : elle est étudiante à l’université d’administration publique récemment créé par Orbán et craint donc que « si le Fidesz n’est pas réélu, moins d’argent soit donnée à cette université, et donc que les conditions de travail se dégradent ».
Quant à Zsolt le professeur d’italien, il choisit le Fidesz « par défaut » parce que « c’est le seul parti crédible et qui arrive à mobiliser les citoyens hongrois qui se désintéressent massivement de la politique ». A ce sujet, il reconnait que l’absence de mobilisation citoyenne pourrait poser un problème à l’avenir. Néanmoins, concernant le néo-autoritarisme du dirigeant hongrois, il se montre très clair : « Pour les Occidentaux, la Hongrie devient une dictature, mais venant de Transylvanie, et ayant vécu sous Ceausescu, je peux vous dire que nous en sommes très loin ».
János abonde dans ce sens, en expliquant que « tant qu’il y aura des élections libres en Hongrie, il n’y a rien à craindre ». Il en est persuadé, « les Hongrois n’accepteront jamais que la démocratie soit mise à mal ! ». Zsolt trouve toutefois que le gouvernement devrait se montrer plus prudent vis-à-vis de la Russie : « il y a une ligne rouge qu’Orbán ne doit pas franchir, c’est de se détourner complètement de l’Union européenne pour se rapprocher de la Russie. Car si un grand scandale éclate en lien avec la Russie, alors là les gens descendront dans la rue ».
« Pour les Occidentaux, la Hongrie devient une dictature, mais venant de Transylvanie, et ayant vécu sous Ceausescu, je peux vous dire que nous en sommes très loin »
La santé et l’éducation : deux épines dans le pied du pouvoir
Si le rapprochement avec la Russie de Poutine ne passe pas auprès d’une partie de l’électorat du Fidesz, l’état de délabrement des systèmes d’éducation et de santé – thèmes de campagne privilégiés de l’opposition – est aussi une source de vives inquiétudes. Même si cela n’affecte pas leur décision de voter Fidesz, Fanni regrette les investissements massifs dans la construction de stades de foot, au vu de « l’état catastrophique de certains hôpitaux », tandis que son amie Poli souligne « la nécessité de donner plus de moyens pour les écoles primaires, les collèges, et les lycées ». Même son de cloche chez Zsolt qui s’alarme de « l’état tragique des hôpitaux et des écoles en Hongrie ».
Pour autant, ces derniers ne dramatisent pas la situation, et préfèrent mettre en exergue le bilan positif de Viktor Orbán. Fanni, l’étudiante en anglais, estime que « beaucoup de gens sont critiques, car ils veulent que la situation s’améliore, et c’est vrai que l’on peut toujours mieux faire, mais ils ne réalisent pas que c’était encore pire avant le Fidesz ». Zsolt lui aussi met avant le fait que « le Fidesz a fait de bonnes choses comme réduire la dette publique, ou encore s’opposer aux multinationales ».
La tentation d’un vote stratégique
Tous les électeurs du Fidesz ne se montrent pas si complaisants vis-à-vis de leur parti. Pour certains même, la tentation d’un vote stratégique est tentante, afin de limiter la mainmise du parti sur le pays. Par exemple, István, le chef d’entreprise, qui a d’ores et déjà décidé de voter tactique : « Je ne vais pas voter par conviction, mais je vais choisir la moins mauvaise option pour lutter contre l’Etat-Fidesz et le NER ». (Nemzeti együttműködés rendszere, littéralement le Système de Coopération nationale, au cœur de l’illibéralisme prôné par Orbán depuis 2010). De même, Ilona, a choisi de voter Jobbik pour la première fois, après avoir soutenu le Fidesz depuis ses débuts dans les années 90. Même si elle trouve le candidat socialiste Gergely Karácsony « sympathique », elle ne veut pas donner sa voix à la gauche. Par ce vote, elle souhaite éviter que le Fidesz ait les deux tiers au Parlement, car elle est choquée par « l’outrance du discours d’Orbán ».
Des hésitations se font sentir chez János et Zsolt. Ce dernier est même en plein doute à quelques jours du scrutin : « Je ne sais même pas si je vais finalement voter pour le Fidesz, peut-être même que je choisirai au hasard… ». János est résolu à glisser son bulletin pour le parti d’Orbán, tout en estimant que « au vu la situation dramatique en Europe centrale, ce sont des gens comme ceux du MKKP (le parti satirique du Chien à deux queues, ndlr) dont nous avons besoin ». Tout cela laisse à penser que si le Fidesz demeure le grand favori de cette élection, il n’est pas à l’abri d’une surprise ce dimanche…
N-B : certains prénoms ont volontairement été modifiés.