« Pieces of a woman », diffusé sur Netflix, est « un film très personnel sur un sujet qui touche un énorme tabou », nous dit son réalisateur, le Hongrois Kornél Mundruczó. Entretien.
Présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise en septembre 2020, « Pieces of a woman » du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó a reçu un accueil enthousiaste de la critique internationale. Le jury présidé par l’actrice Cate Blanchet a décerné son prix d’interprétation à Vanessa Kirby, son actrice principale.
Diffusé dans le monde entier sur Netflix depuis le début de l’année, le film met en scène l’histoire déchirante d’un couple qui perd son bébé à la naissance. La scène de l’accouchement d’une quinzaine de minutes dès le début du film est difficile à regarder mais donne toute la force à ce récit. Entretien avec Kornél Mundruczó, à Budapest.*
Le Courrier d’Europe centrale : Malgré la dureté et l’intensité du sujet, votre film a séduit la critique et rencontre aussi un très large public grâce à sa diffusion sur Netflix. Comment expliquez-vous ce double succès ?
Kornél Mundruczó : C’est un film très personnel et c’est un sujet qui touche un énorme tabou. Selon les statistiques, 25% des femmes sont confrontées à la perte d’un enfant dans leur vie. Je pense que notre film, écrit avec ma femme Kata Wéber, offre à ces femmes et à ces couples un point de connexion. Il peut aussi, sans doute, les aider à retrouver les sentiments qu’ils ont vécus. Je crois que la critique a été sensible à notre traitement à la fois très intime et très cinématographique de ce sujet difficile.
Lors de sa première projection à Venise vous avez expliqué dans plusieurs interviews que vous avez aussi vécu la perte d’un enfant pendant la grossesse de votre femme. Le processus de création du film a t-il eu un effet de résilience ?
J’ai toujours indiqué que notre cas est très loin de celui que nous montrons dans le film. Mais, il existe, bien sûr, un côté personnel de l’histoire qui a aidé Kata à écrire ce qu’elle a vécu à l’époque. Elle l’a fait avec une profonde honnêteté. Au cours de l’écriture et de la réalisation du film, nous avons compris que la création pouvait avoir un coté thérapeutique qui peut, même parfois, aider à guérir. Cela nous a aussi permis de briser le silence sur cette perte qui était devenu un tabou dans notre relation.
Combien de jours ont été nécessaires pour tourner la scène de l’accouchement ? Comment vous êtes-vous préparé pour cette scène ?
Il faut imaginer la préparation de ce long plan-séquence comme celle d’une scène dans un film d’action. Nous avons beaucoup parlé entre nous sans faire une véritable répétition. Le tournage a duré un jour et demi et c’est la dernière prise de la première journée qui est montrée dans le film. C’était très important pour moi de raconter cette scène éprouvante dans un long plan séquence. Elle permettait de créer ce « temps arrêté » que j’ai vécu lors de la naissance de mes trois enfants. Seul ce format artistique du cinéma permettait de montrer ce sentiment unique.
Lorsque dans un film ou dans un livre, est évoquée la mort d’un enfant, c’est souvent la femme qui est montrée comme étant la plus en proie aux émotions. Or, dans « Pieces of a Woman », Martha (Vanessa Kirby) reste très silencieuse et réfléchie alors que son compagnon Sean (Shia LaBeouf) est en grande souffrance. Pourquoi ce choix narratif ?
C’est une question essentielle ! Nous avons imaginé le personnage de Martha anéantie par le deuil qui, malgré la douleur de la tragédie, arrive tout de même à éprouver beaucoup de grâce et d’amour pour son enfant perdu, y compris dans les endroits les plus sombres de l’âme. Pour faire durer ce sentiment, elle doit s’isoler de son environnement. Avec sa froideur, elle ne trahi pas son enfant mais devient une vraie mère pendant toute cette période. Elle peut sortir de cette expérience plus riche et plus forte. Ce processus de deuil répond rarement aux attentes de la société et de la famille. Il peut même être très irritant pour l’environnement amical. Sean représente et vit plutôt ce qui est socialement acceptable à propos du deuil. Ce contraste entre Martha et Sean permet de montrer leur différence de sentiments face à l’épreuve.
« Howard Shore m’a suggéré de montrer le film à Martin Scorsese. C’était une offre que je ne pouvais pas refuser ! »
Votre film est aussi une forme d’analyse sur la reconstruction personnelle et la destruction familiale. Cette complexité émotionnelle a–telle été difficile à écrire ?
Je n’ai pas été directement impliqué dans l’écriture du scénario, mais je pense que cette complexité a dû être très difficile à écrire pour Kata. Je me souviens que lorsque je l’ai lu, j’ai ressenti la grâce, la maternité et la force qui peuvent parfois guérir une douleur.
Comment Martin Scorsese s’est-il intéressé à votre film ?
C’est Howard Shore, le compositeur du film, qui a fait le lien entre nous. Au cours de l’une de nos conversations, il m’a suggéré de montrer le film à Martin. C’était une offre que je ne pouvais pas refuser ! J’étais, bien sûr, très intéressé par son opinion. Martin nous a répondu quelques semaines plus tard pour partager ses sentiments et qu’il souhaitait soutenir le film. Je suis toujours attentif aux remarques d’où qu’elles viennent, mais celles de Martin restent un moment important dans ma vie de cinéaste. Il a immédiatement compris ce que je voulais dire.
En septembre dernier, vous avez soutenu les étudiants de la SFzE à Budapest, la prestigieuse école de théâtre et de cinéma où vous avez vous même étudié, qui occupaient leurs locaux contre la reprise en mains de l’université par les proches de Viktor Orban. Etes-vous inquiet pour la liberté de création et d’expression en Hongrie ?
Bien sûr, je suis très inquiet. Depuis longtemps en Hongrie, se développe une autocensure dans de nombreux secteurs de la société et cela est très préoccupant. Dans le cinéma, le théâtre et la création artistique en général, l’art cesse d’être un art sans la liberté.
Travaillez-vous déjà sur un autre projet de film ?
Oui, j’ai beaucoup d’idées mais dans notre profession il est difficile de dire ce que sera notre prochaine œuvre. En général, c’est le financement qui en décide.
Propos recueillis par Daniel Psenny.