L’écriture de la pièce de théâtre à l’origine du film « Pieces Of A Woman », qui cartonne sur Netflix et suscite des critiques dithyrambiques, a été inspirée par un fait de société dans la Hongrie des années 2010.
La presse spécialisée se pâme devant le dernier film du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó, à qui l’on doit huit longs-métrages dont Delta (2008), Fehér Isten (White God, 2014) ou encore Felesleges ember (La Lune de Jupiter, 2017).
Diffusé par Netflix au début de l’année, « Pieces Of A Woman » s’ouvre par un plan-séquence long de près de vingt-cinq minutes et très impressionnant : un accouchement à domicile qui tourne au tragique. Le rythme cardiaque du nourrisson faiblit, la sage-femme ordonne au jeune père (Shia LaBoeuf) de composer le 911, mais trop tard. L’évènement laissera Martha, la jeune mère endeuillée jouée par l’actrice Vanessa Kirby (connue comme la princesse Margaret dans la série britannique The Crown) en morceaux.
Martha se laisse entraîner par sa mère, intrusive et autoritaire, dans une poursuite judiciaire contre la sage-femme. Pour les spectateurs hongrois, le film a une dimension supplémentaire, puisqu’il fait écho à un fait de société qui s’est déroulé il y a quelques années : une saga judiciaire de près de dix ans, au cours de la décennie 2010, qui a conduit à l’emprisonnement d’Ágnes Geréb, une sage-femme qui pratiquait des accouchements à domicile, interdits en Hongrie. Le Courrier d’Europe centrale a consacré 7 articles à cette saga judiciaire
Pionnière de l’accouchement à domicile en Hongrie, Ágnes Geréb a assisté plus de trois mille cinq cents naissances, avant d’être poursuivie par la justice hongroise pour deux décès survenus lors d’accouchements en 2003 et 2007.
Au mois de décembre 2010, quelques mois après l’arrivée au pouvoir des conservateurs du Fidesz, Ágnes Geréb a été placée en détention préventive pendant dix semaines. La forte mobilisation des familles concernées, soutenant quasi inconditionnellement la sage-femme, et la médiatisation de son combat pour les naissances à la maison, avait permis d’obtenir sa libération.
Emblématique sage-femme, elle avait aussi grandement contribué à l’évolution des pratiques dans les maternités hongroises dans les années soixante-dix : les pères devenaient autorisés à prendre part à l’accouchement et les nouveau-nés n’étaient plus systématiquement séparés de leur mère après la naissance.
Au terme de près de dix années de procédure, Ágnes Geréb, aujourd’hui âgée de 68 ans, a finalement été condamnée le 9 janvier 2018 par le Tribunal de Budapest à deux années d’emprisonnement et dix années d’interdiction d’exercer sa profession d’obstétricienne et de sage-femme.
« Toute la société a été ébranlée par son procès et de nombreux aspects de ce qui allait devenir Pieces of a Woman sont tirés de son histoire » – Kata Wéber.
D’abord une pièce de théâtre
Kornél Mundruczó et Kata Wéber se sont inspirés de cette histoire, dont ils racontent la genèse dans un entretien publié sur le site Film Maker. Kornél Mundruczó a encouragé Kata Wéber à développer des bribes d’un dialogue entre une mère et sa fille, alors qu’elle cherchait à composer une pièce pour la compagnie de théâtre polonaise, TR Warszawa.
« Kornél m’a encouragé à explorer cette relation, à en écrire davantage. C’était également à l’époque du procès très médiatisé d’Ágnes Geréb en Hongrie, qui m’intéressait davantage en raison des détails de l’affaire concernant l’accouchement à domicile », explique Kata Wéber.
Et Mundruczó de préciser : « Ágnes Geréb est une véritable pionnière de l’accouchement à domicile en Hongrie ». Kata Wéber reprend : « C’était cette sage-femme très respectée qui a été jugée pour avoir aidé des femmes [à accoucher à la maison]. Toute la société a été ébranlée par son procès et de nombreux aspects de ce qui allait devenir Pieces of a Woman sont tirés de son histoire ».
Dans « Pieces Of A Woman », Martha, dont on comprend qu’elle n’a poursuivi en justice la sage-femme que sous la contrainte de sa famille, se ravise lors du procès : « Cette femme n’a pas fait intentionnellement du mal à ma fille. Tout ce qu’elle voulait c’était mettre au monde un bébé en bonne santé », témoigne-t-elle. Et se tournant vers l’accusée : « Et je ne crois pas que ce soit de votre faute. Je vous remercie ».
Lourdement condamnée et interdite d’exercer, Ágnes Geréb, a finalement reçue une grâce partielle du président de la République János Áder, et n’a donc pas eu à purger sa peine de prison.