Environ quinze mille personnes ont défilé vendredi à Budapest, lors de la fête nationale hongroise, pour soutenir les étudiants dans leur bras de fer avec le gouvernement de Viktor Orbán.
Reportage à Budapest – La date est symbolique. Vendredi 23 octobre, jour de la fête nationale commémorant l’anniversaire du début de l’insurrection de 1956 contre l’occupation soviétique, plusieurs milliers de personnes (15 000 selon nos constatations) ont manifesté à Budapest en solidarité avec les étudiants et les enseignants de l’Université des arts du théâtre et du cinéma (SZFE) qui occupent leur école depuis cinquante trois jours. Mobilisés jour et nuit, ils refusent toujours la nomination de l’homme de théâtre Attila Vidnyánski, un proche de Viktor Orbán, chargé par le premier ministre de mettre l’école sous tutelle et de la normaliser « moralement ». Pour superviser l’école en tant que « chancelier », il a fait appel à Gábor Szarka, un officier militaire de formation ayant travaillé au ministère de la Défense… Ses premières décisions ont été de couper Internet et changer les serrures de l’école. (Tous nos articles sur le combat de la SZFE ici).
Vendredi, dès 16h, les manifestants ont marché sans incidents de l’Université technique – où avaient démarré les manifestations en 1956 – au cinéma Uránia dans une atmosphère sérieuse et bon enfant. Dans les rangs, se côtoyaient jeunes, anciens étudiants de l’école, salariés et personnes âgées. Comme il y a soixante quatre ans, la foule a traversé le pont de la Liberté aux cris, cette fois-ci, de « Pays libre, université libre ».
A l’arrivée, vers 18h, l’orchestre de l’Académie de Musique Indépendante a, en solidarité avec les étudiants, joué l’ouverture d’Egmont de Beethoven. Cette manifestation où aucun parti politique n’était officiellement représenté a toutefois accueilli des personnels de santé, de l’éducation et un leader syndical. A la tribune, chacun a évoqué les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs secteurs en raison de la politique de rigueur économique menée par le gouvernement de Viktor Orbán. Dans la foule, on pouvait aussi apercevoir Gergely Karácsony, le maire écologiste de Budapest, arrivé sur son vélo.
« Si, en plus de la jeunesse, des salariés de la santé, des enseignants et des ouvriers se solidarisent ouvertement avec le mouvement… »
De nombreux étudiants venus des différentes universités du pays se sont joints aussi à la manifestation. Parmi eux, Flora Lászlo, une salariée de la CEU, l’université fondée par George Soros obligée de s’exiler à Vienne sous la pression du premier ministre hongrois. « Je suis venue à la manifestation pour exprimer ma solidarité avec les étudiants et les enseignants car nous avons vécu, nous aussi, cette pression intolérable du pouvoir qui cherche à éliminer toute liberté d’enseignement », dit-elle.
Au milieu de la foule, György Karsai, philologue, professeur d’Histoire du théâtre et grande figure de la contestation à SZFE, se réjouissait de cette mobilisation en ce jour symbolique. « Cette journée est un test pour Orbán car après deux mois d’occupation, il peut constater la très forte mobilisation qui nous pousse à ne pas reculer. Il faut simplement qu’il négocie ! », souligne-t-il. « Si, en plus de la jeunesse, des salariés de la santé, des enseignants et des ouvriers se solidarisent ouvertement avec le mouvement, Orbán et son gouvernement peuvent être sérieusement bousculés même si nous n’utiliserons jamais la force », poursuit György Karsai.
A la fin de la manifestation, Noémi Vilmos, une étudiante en mise en scène à SZFE, abondait dans ce sens à la tribune. « Ce qui s’est passé ici aujourd’hui pourrait être le début de quelque chose », a-t-elle dit. « Nous, les étudiants et les enseignants de SZFE, continuons à défendre l’indépendance de notre université. Mais, nous défendons aussi les autres, car nous croyons qu’il est possible de faire une nouvelle révolution ».
La manifestation qui a été très largement relayée sur les réseaux sociaux n’a trouvé aucun écho sur la télévision publique étroitement contrôlée par le parti de Viktor Orbán. Comme à son habitude, elle n’a pas diffusé une seule image ni fait aucun commentaire.