Plus qu’une semaine avant que les Russes ne coupent le robinet. Depuis le début du mandat présidentiel de Viktor Iouchtchenko en Ukraine, les hivers sont rudes en Europe Centrale et dans les Balkans.
Un pays comme la Hongrie, ayant hérité d’une forte dépendance au gaz russe sous l’ère socialiste, passe tous ses hivers depuis 5 ans sous la menace d’une coupure de gaz par la Russie, due à ses ennuis avec l’Ukraine. Cette dernière vient de réduire considérablement sa commande de gaz à la Russie en 2010 pour espérer pouvoir éponger sa dette un jour.
Nabucco, vite !
L’annonce de la coupure probable d’approvisionnement de gaz et de pétrole par la Russie la semaine dernière a littéralement semé la panique en Hongrie. Après la réaction immédiate des Slovaques qui ont relayé l’info et l’intention hongroise de réunir les membres de Visegrád au plus vite, c’est au tour de la représentation magyare du projet de gazoduc Nabucco de manifester son empressement de voir naître une alternative de la situation énergétique dans la région. Le député SzDSz János Kóka, à la tête du comité Nabucco au Parlement, estime que la nouvelle crise financière qui oppose l’Ukraine aux géant russe Gazprom pourrait occasionner une forte baisse de pression dans le pipeline côté européen, sinon une coupure d’ici une semaine.
Les réserves de gaz stratégiques de la Hongrie suffiraient aux besoins du pays pour quelques semaines, mais cela n’empêche, que pour nombre d’experts en matière d’énergie, la Hongrie n’étant pas directement concernée par le Gazoduc Nord-Européen, ni par le projet de connexion au Blue-Stream par la Grèce, il est urgent de réduire sa dépendance et d’avancer la construction du projet Nabucco au plus vite.
La situation entre la Russie et l’Ukraine depuis l’hiver 2006 fait balancer le coeur de plusieurs partenaires politiques et commerciaux de l’un et de l’autre. Du coup, personne en Europe ne se prononce dans le conflit qui les oppose. C’est le cas de Kóka, qui, comme beaucoup, pense que s’adresser à d’autres fournisseurs orientaux, tels que l’Azerbaïdjan, l’Iran ou l’Irak, est la solution. Reste à acheminer l’énergie. Nabucco est un projet qui nécessite la collecte de beaucoup de fonds (8 milliards d’euros estimés) et qui doit mettre 5 compagnies nationales issues 5 pays différents d’accord (Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Autriche).
L’avantage de ce projet, dans le cadre de la situation actuelle, est double. D’un côté, il sécurisera un approvisionnement régulier en gaz dans cette région d’Europe dépendante de la coopération ukraino-russe, de l’autre, il permettra également de régulariser les prix.
2005-2006, débuts d’un conflit politique et commercial chronique
L’année 2005 est la première du mandat de Viktor Iouchtchenko, élu à la présidence de l’Ukraine sur une campagne russophobe largement financée par les Etats-Unis. L’Ukraine entre alors dans une économie de marché, se rapproche des intérêts de l’Union Européenne et des Etats-Unis (candidature à l’Otan). Sa position géographique, proche des producteurs des côtes occidentales de la Caspienne (Azerbaïdjan) et frontalière avec l’UE, lui permet désormais de jouer son propre jeu sur le marché de l’énergie. En attendant qu’elle y parvienne, elle devait faire avec la Russie et renoncer à son tarif préférentiel. En n’acceptant pas le prix du marché qui lui a été imposé par Gazprom (240$ l’unité, soit 1000 mètres cube), la nouvelle Ukraine joue un double jeu qui n’a pas tardé à être découvert et à entraîner le courroux de l’ours russe.
Jusque là, l’Ukraine, tout comme la Biélorussie, bénéficiait d’un « prix d’ami » en tant qu’ex pays de l’URSS (50$ l’unité). Mais, à la fois parce qu’elle a rejeté l’économie dirigée comme tout autre pays d’Europe occidentale, et parce qu’elle était soupçonnée de se sur-approvisionner, tirant un bénéfice du prix du gaz qu’elle achète à la Russie, en le revendant au prix du marché au reste de l’Europe, l’Ukraine a subitement vu ses privilèges énergétiques abolis par la Russie. De plus, l’Ukraine exploite elle aussi son propre gaz naturel. La Russie l’a rapidement soupçonné de monter une vaste fraude en utilisant son gaz pour ses besoins propres et en effectuant une plus-value sur le gaz russe. Il y a tout juste quatre ans, devant la mauvaise volonté ukrainienne, Gazprom décide de réduire le débit à la quantité destinée à l’Europe, mais la différence de pression dans les tuyaux entre avant et après l’Ukraine prouve que cette dernière vole purement et simplement le gaz qui transite sur son territoire. Après trois jours de coupure de gaz totale, le premier conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine trouvera une issue dans la négociation, en apparences, purement commerciale.
Miracle du micmac politico-économique : Gazprom vendra le gaz russe à l’Ukraine au prix du marché non subventionné (240$ l’unité) mais Naftogaz, la compagnie ukrainienne, achètera son gaz en provenance de Russie 95$ l’unité. C’est là que l’intermédiaire RosUkrEnergol, intervient. RosUkrEnergol achète à Gazprom du gaz russe à 230$ l’unité, mais cette société achète aussi et surtout du gaz turkmène, acheminé par les mêmes tuyaux, à 50$ l’unité, frais de transit compris. Le mélange des deux gaz sera ensuite vendu 95$ l’unité par l’Ukraine. Mais qu’est-ce que RosUkrEnergol ? RosUkrEnergol est détenue à moitié par Gazprom, société nationale russe, par l’intermédiaire de la GazpromBank et de la société suisse Arosgas. L’autre moitié du capital est gérée par Raiffeisen Investment, une filiale de la banque autrichienne Raiffeisen/RZB. Cette société agirait au nom d’actionnaires ukrainiens que le secret bancaire autrichien lui interdit de nommer.Le faux spectre d’une dépendance à sens unique
Depuis 2006, tous les hivers, cette « formule » ne permet toujours pas à l’Ukraine de s’acquitter de sa facture de gaz dans les temps, et sa dette ne cesse d’augmenter. A chaque fois, Gazprom n’hésite pas à suivre « les termes du contrat » en coupant ses livraisons de gaz, avec le manque-à-gagner qui s’en suit. A l’inverse, le chantage sur le bon déroulement du transit du gaz sur son territoire a souvent permis à l’Ukraine de repousser l’échéance du paiement,et d’empêcher la Russie de prendre des mesures trop radicales trop longtemps. Ce mois-ci, l’Ukraine a encore de très sérieux problèmes pour régler sa facture de décembre, n’ayant pas obtenu par le FMI l’octroi d’une nouvelle tranche de crédit d’un montant de 3,8 milliards de dollars US. Exaspéré par tous les cas de vol de gaz par l’Ukraine depuis des années, Alexeï Miller, successeur de Dimitri Medvedev à la tête de Gazprom, a déja annoncé que le non-règlement de la facture au 11 janvier entraînerait une coupure de gaz nette et non négociable. Un quart du gaz consommé dans l’UE provient de Russie, dont 80% transitent par l’Ukraine.
Si ce quart, qui représente 40% des importations européennes en gaz, provient de Russie, plus de 80% des exportations gazières de cette dernière vont en Europe. La dépendance est donc réciproque, et la sécurité des voies d’approvisionnement est une priorité pour les deux parties. Pour la Russie, il s’agit de contourner l’Ukraine, notamment sous la mer Baltique (North Stream) et sous la mer Noire (South Stream). Mais pour des Etats membres de l’UE et de l’Otan qui seraient directement traversés par ce dernier flux, tels que la Hongrie, mettre le nez dans les affaires ukraino-russes pose problème. Voila pourquoi le mieux pour eux serait d’élaborer leur propre projet avec d’autres fournisseurs que la Russie.