UE – Nabucco : les infidélités des Européens avec South Stream

La société russe Gazprom a signé ces dernières semaines de nouveaux accords avec la Bulgarie et la Roumanie sur leur participation au projet de gazoduc South Stream, qui doit relier la Russie à l’Europe occidentale via la Mer Noire, les Balkans et l’Europe centrale. Avec l’entrée prévue d’EDF dans le capital du projet et des négociations avec des investisseurs allemands, South Stream renforce ainsi les appuis russes en Europe face à son concurrent soutenu par l’UE, Nabucco. A l’heure où les décisions du Conseil européen se prennent à l’unanimité, les pays traversés par les deux projets jouent double jeu.

La mauvaise conjoncture gazière de l’hiver dernier avait poussé l’Union Européenne à développer un projet consistant à contourner à la fois la Russie et l’Ukraine pour éviter les pénuries de gaz à répétition. Selon le gouvernement russe, le projet européen de gazoduc Nabucco, dont le tracé évite soigneusement la Russie, est redondant, inutile, et a peu de chances de réussir car son approvisionnement est incertain.

La Hongrie au centre

Avec South Stream, les Russes comptent bien « bouffer à tous les râteliers » et atteindre non seulement l’Italie, initiateur du projet, mais également l’Europe occidentale via l’Autriche. Ainsi, cette dernière ne voit pas Nabucco et South Stream comme concurrents, mais comme complémentaires. L’an dernier, aux balbutiements du projet Nabucco, les Hongrois (qui dépendent encore à 80% du gaz russe) croyaient dur comme fer à l’esquive du diktat gazier russe.  Ils avaient même commencé à prendre en main le lobbying de Nabucco à Washington. Avec l’accord cadre signé en avril entre Gazprom et l’autrichien OMV, la Hongrie aura toujours une consolation, fusse-t-elle géographique : elle sera alors un passage obligé de South Stream et ne sera pas « cocue » de l’Europe de l’énergie. Lors du sommet sur l’énergie qu’elle organisera au titre de la présidence tournante de l’UE au premier semestre 2011, nul doute qu’elle tiendra à se faire respecter.

La Russie dénigre Nabucco

C’est un travail de sape en bonne et due forme que mènent les Russes à l’encontre du projet de gazoduc Nabucco. En septembre, le premier ministre russe Vladimir Poutine déclarait que Nabucco n’était pas viable car son approvisionnement n’était pas garanti. En effet, l’Azerbaïdjan, d’une part, ne pouvait fournir que des volumes modestes et avait déjà signé un contrat de livraison avec la Russie. Les volumes que pourraient fournir le Turkménistan, d’autre part, étaient inconnus et mis en péril par l’approvisionnement de la Chine grâce à un gazoduc inauguré fin 2009, qui a déjà permis de livrer six milliards de m3 de gaz et dont l’objectif est fixé à 40 milliards de m3 annuels dès 2012.

Le Turkménistan devrait également lancer le projet d’un second gazoduc vers l’Iran fin décembre afin de porter à terme ses exportations de 8 à 20 milliards de m3 par an. Enfin, le géant russe Gazprom serait prêt à s’associer à un projet de gazoduc  Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde passant par des zones sous contrôle taliban, a rapporté samedi dernier le quotidien économique russe Kommersant, citant un haut fonctionnaire russe du secteur de l’énergie, Igor Sechin.

Pour certains observateurs, l’unique objectif des accords internationaux de Gazprom en ce sens est de saper le projet européen rival Nabucco contournant la Russie, au détriment de toute logique économique. L’Union européenne est critiquée pour avoir lancé Nabucco sans en assurer tout d’abord l’approvisionement.

Mais les Russes ne se contentent pas de dénoncer le problème des ressources. Lors d’une visite du président russe Dmitri Medvedev au Turkménistan vendredi dernier, le vice-premier ministre Sechin a enjoint les Turkmènes de ne pas participer à Nabucco, le projet européen n’ayant pas d’avenir faute notamment d’une croissance de la demande.

Reste qu’au delà de la campagne de dénigrement, les difficultés d’approvisionnement de Nabucco par du gaz turkmène sont réelles sur les plans juridiques et logistiques. La construction d’un gazoduc sous la Caspienne nécessiterait un consensus entre les cinq Etats riverains (Azerbaïdjan, Russie, Turkménistan, Kazakhstan, Iran) qui ne se sont jamais accordés sur le partage des ressources de cette mer. Une solution serait dès lors de liquéfier le gaz et de le transporter par tanker, ce que Moscou voudrait empêcher. Or les exportations de gaz turkème dépendront évidemment des infrastructures disponibles.

En attendant, les officiels turkmènes promettent des livraisons de gaz aussi bien aux Européens qu’aux Russes. Mais avec la crise, les importations de gaz turkmène par les Russes, qui étaient réexportées vers l’Europe, ont chuté de 50 milliards à 8 milliards de m3, depuis début 2010. Le géant russe Gazprom a confirmé vendredi des importations annuelles situées entre 10 et 12 milliards de m3.

Le double-jeu de l’Europe centrale

Comme la Hongrie et l’Autriche, la Roumanie et la Bulgarie, elles aussi associées au projet Nabucco, affirment leur participation au projet concurrent russo-italien South Stream.

Un accord a été signé vendredi 15 octobre entre la « Holding énergétique bulgare » et Gazprom sur la construction du gazoduc. Une étude de faisabilité du projet doit être réalisée et une société mixte russo-bulgare chargée de la partie bulgare du projet devrait être créée dès novembre.

Le partenariat entre Russes et Bulgares avait été légèrement refroidi par l’arrivée au pouvoir de la coalition de centre droit du premier ministre Boyko Borissov et par la ratification au Parlement bulgare le 3 février d’un accord pour construire Nabucco.  Aujourd’hui, les deux partenaires annoncent pourtant ne plus avoir de désaccord. Selon Gazprom, une décision sera prise sur le tracé optimal du gazoduc au premier semestre 2011, la construction devant commencer en 2013 et l’exploitation fin 2015 pour une capacité de 15,6 milliards de mètres cubes par an.

Quant à la Roumanie, un mémorandum d’intention sur sa participation au projet South Stream a été signé avec Gazprom mercredi 13 octobre à Bucarest. Il prévoit une analyse technique et économique afin que South Stream traverse le territoire roumain. En cas de décision favorable, un accord sera signé entre les gouvernements russe et roumain.

Français et Allemands s’apprêtent à rejoindre South Stream

Promu depuis 2007 par le russe Gazprom et l’italien Eni, South Stream conquiert de nouveaux soutiens. Gazprom et Eni ont signé en juin un accord de partenariat avec EDF sur le projet. EDF devrait entrer dans le projet avant fin 2010 à hauteur d’au moins 10%, au travers d’une diminution de la participation d’Eni dans cette société.

Selon La Tribune, Wintershall, une entreprise allemande filiale du géant de la chimie BASF, aurait commencé des discussions avec Gazprom pour rejoindre le projet de gazoduc South Stream. Ce serait un nouveau coup dur pour le projet de l’UE. Jusqu’où ira donc Gazprom pour raccoler les partenaires de Nabucco ?

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2 Comments
  1. S’il y a tant de gaz et tant de projets, l’avenir n’est pas à la voiture électrique, mais à la voiture au gaz.

    Le problème, c’est que pour remplir les réservoirs, il faut liquéfier le gaz. Autant le faire directement aux puits de forage… et même de l’utiliser aussi sur place.

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