La presse internationale s’est lancée dans une surenchère de supputations hasardeuses quant à la loi sur les médias et l’état de la démocratie hongroise, la qualifiant parfois même de « démocratie autoritaire » ou de « dictature molle ». Qu’en-est-il réellement ? Le point de vue de Társaság a Szabadságjogokért (TASZ), une ONG pour la défense des droits de l’Homme en Hongrie.
Hu-lala : Quel est l’état des lieux dressé par TASZ de la démocratie en Hongrie ?
Tamás Szigeti/TASZ : Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de droite, en mai 2010, un ensemble de réformes a eu un effet d’affaiblissement de la démocratie et de l’Etat constitutionnel. Trois points ont un effet particulièrement dramatique. La mesure la plus déplorable est la réduction des pouvoirs de la Cour constitutionnelle, à laquelle nous ne nous attendions vraiment pas. C’est ce qui aura le plus d’effets négatifs. Elle fut un préalable à la mise en place des taxes exceptionnelles « de crise ». Le second point, c’est le projet de nouvelle Constitution. Il est encore trop tôt pour se prononcer de manière catégorique sur cette question car nous ne savons pas encore quel sera son contenu exact, mais il y a des projets inquiétants. Il s’agit de changements symboliques -avec notamment un préambule très « émotionnel » faisant appel aux valeurs de la chrétienté- qui sont chers à l’électorat de droite mais qui ne prennent pas en compte la totalité de la population et qui sont mal perçus par une partie d’elle. Le fait que cette Constitution doit être approuvée le jour même du premier anniversaire de la victoire de la Fidesz aux dernières législatives, le 25 avril prochain, prouve que ce projet est fondé sur une idée divisante. Enfin il y a ces lois sur les médias. Ces premiers six mois sous le nouveau gouvernement ont donc été difficiles. Mais je n’irai pas jusqu’à dire que la démocratie hongroise est en danger. Il y aura des élections libres dans trois ans et demi et, d’ici là, les droits fondamentaux sont garantis. Donc la frontière n’a pas été dépassée.
Le parallèle effectué par la presse internationale entre le pouvoir actuel et l’ancien régime communiste est-il pertinent ?
La comparaison n’est selon moi pas pertinente, car il s’agit d’une époque révolue. Nous sommes maintenant dans un système qui reste tout de même multipartite et qui n’a rien à voir avec un système totalitaire.
Qu’est-ce qui change vraiment avec cette nouvelle loi sur les médias ?
C’est un bouleversement complet de tout le système médiatique depuis le changement de régime en 1989. Le vrai changement, c’est l’élargissement du champ d’application de la loi à tous les médias (radios, télés, journaux écrits et numériques) et la concentration des pouvoirs dans une seule autorité des médias, la NMHH [Nemzéti Media es Hirközlési Hatosag, ndlr]. Ses 5 membres ont été choisis démocratiquement par le parlement, mais tous sont issus de la Fidesz ou en sont très proches. Donc, dans les faits, cette autorité n’a pas d’indépendance réelle vis-à-vis du parti au pouvoir. Une telle concentration des pouvoirs est inquiétante. La sévérité des sanctions constitue aussi un changement radical. Les amendes maximales ont été multipliées par 3 ou 4 et peuvent être infligées avec une procédure très effective. Selon le chapitre relatif à la « protection des sources des journalistes », l’autorité des médias pourra décider dans n’importe quel cas, avant même toute procédure juridique, la nécessité de révéler les sources.
La NMHH peut-elle être considérée comme le bras armé du gouvernement pour les médias ?
La pratique nous dira comment cela va fonctionner. Je préconise qu’on ne dise pas dans quelques mois que tout va bien si rien de catastrophique n’est survenu. Car c’est à long terme qu’il y aura des effets déplorables. Avec cette nouvelle loi, l’autorité aura une marge d’appréciation très large. Je doute qu’elle aura la capacité de faire appliquer rigoureusement cette loi. Mais même si l’autorité ne prend pas la charge de punir les médias chaque fois qu’un délit est commis, les journaux et médias n’oseront pas écrire ou publier ce qu’ils veulent. Le danger d’autocensure est donc le plus inquiétant pour nous.
En ce qui concerne Tilos Radio, le fameux « Ice-T gate » illustre-t-il ces dérives ? [TASZ assure la défense de Tilos Radio, ndlr]
L’enquête à l’encontre de Tilos Radio a été ouverte sur la base de l’ancienne loi sur les médias, car la protection des mineurs était aussi inscrite dans la loi précédente. Il ne faut donc pas tout mélanger. Mais c’est bien la nouvelle autorité NMHH qui a lancé la procédure d’enquête, donc oui la nouvelle loi a bien un lien avec l’affaire Tilos. Ce qui est nouveau ici, c’est l’application très stricte des règles.
La presse de gauche semble particulièrement visée, mais qu’en est-il des médias d’extrême-droite ?
Dans un monde idéal, les lois devraient êtres appliquées de la même façon à tous les médias. Mais c’est le problème de cette loi, telle qu’elle est écrite, de ne pas garantir une égalité de traitement aux différents médias, car l’autorité est trop partisane, ce qui laisse de la place à l’arbitraire.
Propos recueillis par Corentin Léotard_Hulala
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