Le journaliste ukrainien Dmitry Gordon s’est entretenu avec Igor Girkin, ancien commandant des forces armées de la République populaire de Donetsk, et ancien officier du renseignement russe. Cette entrevue fait depuis polémique en Ukraine.
L’entretien fleuve de plus de trois heures publié le 18 mai sur Youtube comptabilise déjà plus de deux millions et demie de vues. Il est inédit pour avoir été mené sur Skype par le journaliste ukrainien Dmitry Gordon, qui bénéficie d’une audience importante en Ukraine et anime une chaîne Youtube suivie par plus d’un million d’abonnés. Le journaliste interroge Igor Girkin, aussi connu sous le nom de Igor Strelkov, une figure qui cristallise et représente à elle-seule les nombreuses ingérences de Moscou dans le Donbass.
Dmitry Gordon s’est lui-même targué de l’exclusivité de cet exercice dans une autre vidéo Youtube publiée plus tard dans la soirée “Personne n’a jamais fait ces interviews auparavant, et personne en Ukraine n’a jamais interrogé Girkin, concernant la trahison et les crimes qui ont été commis avec la participation de ces personnes en Ukraine.” Le 11 mai dernier, Gordon s’était déjà fait à nouveau remarquer par la mise en ligne d’un entretien avec Natalia Poklonskaya, originaire d’Ukraine, ancienne procureure générale de Crimée entre 2014 et 2016, membre du parti politique russe Russie Unie et depuis 2016 députée russe.
Igor Strelkov, personnage clé ans le du conflit pour le Donbass, aussi connu pour ses implications dans les conflits en Bosnie, Transnistrie et Tchétchénie a abordé de nombreux sujets, parmi lesquels son implication et ses actions menées en Crimée puis dans l’est de l’Ukraine, son rôle dans la ville de Slaviansk, la catastrophe du vol de la compagnie Malaysian Airlines MH17, son retour en Russie et ses relations avec le pouvoir russe, en particulier avec Vladimir Poutine.
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Évoquant ses activités dans le Donbass, Igor Girkin a admis que sur ses « ordres, des citoyens ukrainiens ont été abattus » et que cela avait concerné au moins quatre personnes, qu’il qualifie lui-même de “saboteurs”. De même, il a ajouté que des miliciens de la République autoproclamée de Donetsk (DNR) ont aussi été abattus suivant ses ordres, pour des faits de pillages ou de tortures. Concernant le vol MH17 de la compagnie Malaysia Airlines, abattu le 17 juillet 2014 dans lequel ont péri 298 civils, Igor Girkin a maintenu que les forces séparatistes n’étaient pas responsables de la catastrophe, certifiant que ce sont les forces ukrainiennes qui sont impliquées dans cet accident.
Igor Girkin affirme souhaiter voir toute l’Ukraine contrôlée par le pouvoir russe.
N’ayant plus de fonctions dans les Républiques autoproclamées du Donbass depuis 2014, Igor Girkin réside à Moscou. Il a critiqué Vladimir Poutine, son équipe, Vladislav Surkov, responsable de la politique du Kremlin en Ukraine au début du conflit dans le Donbass, ainsi que les dirigeants de la République autoproclamée de Donetsk comme Alexandre Zakharchenko ancien dirigeant de la DNR mort en 2018 suite à un assassinat. Pour lui, le Donbass reste “une zone grise, médiocrement contrôlée depuis la Russie”, ajoutant que le retour de ces régions ainsi que de la Crimée dans le giron de l’État ukrainien ne se ferait qu’en cas d’effondrement de la Russie. Il affirme également souhaiter voir toute l’Ukraine contrôlée par le pouvoir russe.
Peu après la diffusion de l’entretien dans la soirée du 18 mai, des militants ukrainiens ont organisé une action de protestation sous le bureau de Dmitry Gordon à Kiev, avec des jets d’œufs et insultes à l’encontre du journaliste pour avoir organisé une interview avec Strelkov.
Dmitry Gordon s’est justifié en affirmant que cet entretien avait été organisé en coopération avec les services spéciaux ukrainiens (SBU), et que son contenu avait été transféré à la Cour Cour internationale de Justice. Igor Girkin y fait l’objet d’une enquête depuis 2019 pour son implication dans la catastrophe du vol MH17. Néanmoins, le SBU a rapidement démenti être à l’initiative de cette interview.
Cette zone d’ombre sur la possible implication du SBU a provoqué critiques et incompréhensions sur les réseaux sociaux et dans la presse ukrainienne. Les critiques s’interrogeant sur la réelle indépendance journalistique de Dmitry Gordon vis à vis des services spéciaux ukrainiens. Nombreux sont ceux qui accusent aujourd’hui Dmitry Gordon de n’être qu’un relai de la propagande russe en Ukraine.
Souhaitant poursuivre une série d’entretiens avec d’autres personnages clé du conflit dans le Donbass qui ont bénéficié du soutien de la Russie, Gordon a annoncé être en négociation pour interviewer le président déchu Viktor Ianoukovitch, qui avait fui l’Ukraine en février 2014 et réside aujourd’hui en Russie. De quoi faire de nouvelles vagues…