Grégoire Nitot, entrepreneur français, a licencié le responsable d’un syndicat nouvellement créé dans sa société polonaise. Dans un courriel, il décrit cet employé comme « un fauteur de troubles » et précise avoir justement déménagé en Pologne dans le but d’éviter d’avoir affaire à des syndicalistes.
« Salut Krystian, votre comportement est inadmissible et dégoûtant ». C’est ainsi que Grégoire Nitot, responsable de la société de services numériques Sii Polska, débute son courriel du 25 novembre adressé à son employé, Krystian Kosowski. Dans le message, Nitot partage sa déception et son mécontentement à l’égard du salarié qui aurait « attaqué » son entreprise.
Quelques heures plus tard, ledit employé est licencié sans préavis. Du document adressé à l’intéressé, nous apprenons que son contrat a été résilié en raison d’une violation flagrante de ses devoirs de travailleur. Parmi les fautes commises : le non-respect des normes et des sensibilités sociales, le manquement à la protection de la réputation de l’employeur, ainsi qu’une rupture du lien de confiance. Kosowski aurait agi au détriment de l’entreprise « en encourageant les autres salariés à adopter une attitude négative à l’égard de l’employeur et en créant une ambiance négative sur le lieu de travail ». De plus, il aurait induit les autres employés en erreur sur des informations relatives aux salaires et avantages sociaux.
Dans le courriel, le patron fournit plus d’indices sur la raison du licenciement, notamment la création d’un syndicat dont « Sii n’a pas besoin ». Selon lui, l’entreprise écoute attentivement toutes les critiques de ses travailleurs. Et Kosowski, au lieu d’essayer de « discuter de ses éventuels problèmes », aurait « agi contre l’entreprise et ses 8 000 employés ».
« Des syndicats stupides et égoïstes »
Nitot consacre une grande partie du message à la critique du fonctionnement des syndicats. Il ne veut pas que son entreprise ressemble à ces « syndicats miniers égoïstes qui font pressions sur le gouvernement polonais qui verse des milliards de zlotys à leur profit ». Selon lui, les investissements se font plus facilement dans les pays « libéraux et ouverts » où il est plus facile de se débarrasser d’employés problématiques, contrairement à la France. « Trop de syndicats. Trop de grèves. Trop de plaintes. Trop de protection du travail. Trop de bureaucratie. Trop d’impôts. Système d’emploi trop complexe », déplore-t-il. En France, par conséquent, « les gens sont tristes à cause des syndicats stupides et égoïstes ».
Le quadragénaire affirme avoir quitté son pays pour cette raison. Arrivé en Pologne en 2006, il a créé son entreprise avec le soutien financier de Sii Groupe, une firme française spécialisée dans les métiers de l’ingénierie. Aujourd’hui, Nitot est actionnaire de sa société à 30 % et le seul membre du comité de direction de l’entreprise comptant 15 filiales.
Nitot « a traité la Pologne comme un pays du tiers-monde où les droits des travailleurs peuvent être violés en toute impunité ».
Le syndicat ne se laisse pas museler
Le syndicat national Związkowa Alternatywa, auquel appartient le syndicat des travailleurs de Sii Polska, est intervenu dans l’affaire. Dans un communiqué, il indique que l’entreprise a violé l’article 12 de la Constitution polonaise : « la République de Pologne garantit la liberté de former des syndicats » ainsi que l’article 59 : « est garantie à chacun la liberté de s’affilier à des syndicats ». Il ajoute que Nitot ne s’est pas seulement exprimé avec mépris à l’égard de la législation française, mais « a traité la Pologne comme un pays du tiers-monde où les droits des travailleurs peuvent être violés en toute impunité ».
Le 27 novembre, l’entrepreneur français a reçu une lettre qu’il qualifie de « scandaleuse », de la part de Piotr Szumlewicz, le leadeur de Związkowa Alternatywa. Elle explique en quoi le patron de Sii aurait enfreint la loi et lui demande d’abroger ce licenciement pour « passer à un dialogue social ». Dans le cas contraire, le syndicat serait contraint d’engager une action en justice contre l’entreprise. De plus, les autorités compétentes, ainsi que les parlementaires polonais et les médias français, seraient informés de l’affaire. Grégoire Nitot a pris cela comme une menace – et a annoncé qu’il utiliserait cela lui-même au tribunal. « Cela décourage les entrepreneurs d’investir et de créer des emplois en Pologne », conclut-il.
La gauche fait appel à l’inspection du travail
Suite à cette affaire, M. Nitot n’a pas manqué d’envoyer un courriel à tous les employés pour expliquer les raisons du licenciement de Krystian Kosowski. Ce ne serait pas la création d’un syndicat qui lui a coûté son poste, mais ces agissements contre l’entreprise. Il ajoute que « les syndicats sont dirigés par des extrémistes dont les actions visent des entreprises telles que Sii ».
Piotr Szumlewicz souligne que son syndicat a maintenant pour objectif la réintégration de Krystian Kosowski. Par conséquent, Związkowa Alternatywa a mis en place une cagnotte en ligne pour collecter des fonds afin de couvrir les frais de justice de Kosowski. « Peut-être que cela dérange M. Nitot qu’en France, il ne puisse pas licencier un employé pour des raisons disciplinaires en cinq minutes », commente Szumlewicz. « Bien sûr, la Pologne n’est pas la France, mais elle n’est pas un pays sauvage et vous ne pouvez pas licencier un employé et, encore moins, un représentant syndical, à cause d’un caprice du patron ». Le député du parti de gauche Razem Adrian Zandberg, s’est également intéressé à l’affaire. Il a annoncé sur Twitter avoir demandé un contrôle urgent de Sii Polska auprès de l’Inspection générale du travail.