L’union politique et idéologique des nations bélarussienne et ukrainienne peut devenir une alternative civilisationnelle et un contrepoids culturel face à une Russie aux visées expansionnistes. Une tribune de Pavel Ousov.
L’utilisation du Bélarus comme base arrière territoriale de la Russie dans la guerre contre l’Ukraine, ainsi que la menace croissante d’une implication plus grande encore du dictateur Loukachenko, vassal de Poutine, ont accru les tensions dans la relation entre Bélarussiens et Ukrainiens. Or, les démocrates bélarussiens forcés à exil soutiennent ardemment l’Ukraine. Il existe également une aversion pour la guerre dans la société bélarussienne restée au pays — et ce, même dans les conditions actuelles d’occupation par le régime pro-russe de Loukachenko et de la présence forcée des troupes de Poutine au Bélarus.
Des unités militaires de volontaires bélarussiennes sont créées et recrutées à l’étranger pour combattre pour l’Ukraine. Les divisions bélarussiennes faisant partie des forces armées ukrainiennes — à commencer par le régiment Kalinowski, entre autres — combattent toutes les troupes russes en Ukraine. Cependant, il n’y a rien de plus destructeur pour les relations ukraino-bélarussiennes que des missiles soient lancés par les Russes sur l’Ukraine depuis le territoire du Bélarus.
Le dictateur Loukachenko, qui depuis des années valse entre Moscou et Bruxelles, est tombé dans le piège du Kremlin. L’heure du châtiment a sonné pour lui, qui ne pouvait probablement pas imaginer qu’il deviendrait un simple instrument entre les mains de Poutine pour satisfaire ses ambitions impériales. La Russie a soutenu financièrement des années durant le régime de Minsk, l’aidant à opprimer et à tuer ses opposants politiques et à démolir la culture et la langue bélarussiennes.
Dans l’esprit de nombre d’Ukrainiens, l’image collective des Bélarussiens a été ternie par les multiples attaques aériennes des derniers mois projetées depuis leur pays sous occupation. Cela se transforme en un état de rejet absolu à leur égard. Il est certes difficile de faire une analyse géopolitique à froid de la situation des voisins bélarussiens quand s’étendent des traces de roquettes… dans le ciel de ces mêmes voisins.
Mais il est aussi difficile pour les forces démocratiques du Bélarus d’entendre la haine et les accusations de la part de l’Ukraine, en particulier pour ceux dont les membres de la famille ont été tués par le régime de Loukachenko, emprisonnés pendant des années pour leurs opinions politiques, pour leur militantisme en faveur des droits de l’homme, pour avoir promu la démocratie dans l’espace public, ou pour un simple like sur Facebook d’il y a deux ans. Un cercle vicieux de haine entre les nations ukrainienne et bélarussienne commence à se former ; et cela ne fait que le jeu de Poutine, lequel cherche à étendre son empire et bâtir une nouvelle Union soviétique.
Il est important de rappeler que ni la société bélarussienne ni la société ukrainienne n’ont de revendications historiques ou politiques l’une envers l’autre. La distance culturelle et idéologique qui a existé entre elles pendant tous ces siècles est une conséquence de la politique de Moscou visant à faire du Bélarus et de l’Ukraine des États « périphériques », et à dissoudre chacune de ces populations dans le projet d’une Russie chauvine.
Moscou met en œuvre ses politiques destructrices par le biais de la guerre contre l’Ukraine et par l’entremise du régime de Loukachenko. Toute tension entre les peuples d’Ukraine et du Bélarus exacerbera un conflit, ce qui est clairement dans l’intérêt de la Russie. Le point clé de Moscou est de renforcer une atmosphère d’hostilité et de saper une mobilisation fédératrice de ces deux nations.
Il faut absolument briser ces perceptions idéologiques et historiques qui ont été fomentées par la culture et la propagande russes, visant à pousser les Bélarussiens plus près de la Russie que de l’Ukraine. C’est d’ailleurs pourquoi la société bélarussienne a regardé l’Ukraine — la révolution ukrainienne de Maïdan et la guerre de 2014 — comme quelque chose d’incompréhensible, de distant, d’étranger, en répétant le mantra dicté : « Il ne faut pas reproduire ce qu’il s’est passé en Ukraine. »
Ukrainiens et Bélarussiens, parlons-nous. Nous avons besoin d’entamer un dialogue continu et intensif, et ce, pour le développement d’une nouvelle vision du monde. Même s’il n’y a toujours pas de volonté de parler à l’échelon politique (pour diverses raisons), un tel dialogue devrait se nouer entre intellectuels. Après tout, ce sont nos élites intellectuelles nationales qui seront capables de former et de développer de nos nouveaux paradigmes civilisationnels. Nos forces, nos réflexions, nos échanges d’informations dans les médias sociaux et les actualités ne devraient pas être l’objet de tensions, mais plutôt celui d’un objectif commun : sortir du projet idéologique et « spirituel » du Kremlin.
Les peuples du Bélarus et de l’Ukraine doivent se consolider. Le Kremlin y voit une menace pour son existence et continue donc à détruire le Bélarus de l’intérieur, soit par la répression, la propagande et la promotion d’une idéologie destructrice. Nous ne pouvons y résister que dans l’unité et la compréhension mutuelle avec l’Ukraine. Pour la communauté culturelle et politique démocratique bélarussienne, ainsi que pour les Ukrainiens, le soutien du peuple bélarussien s’avère une mission cruciale.
J’insiste : l’union politique et idéologique de l’Ukraine et des forces du Bélarus démocratique est une alternative civilisationnelle et un contrepoids culturel au projet néo-impérial de Moscou visant à capturer, coloniser et détruire davantage de nations.
Aujourd’hui, la Russie cherche à détruire l’État ukrainien par la guerre et à détruire le Bélarus en l’occupant et en l’impliquant dans la guerre contre l’Ukraine. Ce n’est que de cette manière que la Russie pourra préserver sa base impériale : en divisant et en détruisant nos nations. Il est important pour nous de ne pas laisser cela se produire. Nous sommes au stade d’une grande transformation civilisationnelle. Et la mener à bien est notre mission commune.