Dans un entretien à la veille d’un sommet européen, Emmanuel Macron a mis en garde contre les régimes « illibéraux » qui s’installent en Europe, notamment à l’Est du continent. Des mots qui ne cachent pas le tournant autoritaire de son gouvernement en France.
Article publié originellement le 23 juin 2017 dans Révolution permanente. |
Le nouveau président français a réalisé un entretien avec huit journaux européens pour parler de la place de la France sur l’arène internationale. Le premier entretien de Macron, depuis qu’il a été élu président de la France. Il n’a dit pratiquement rien sur la politique nationale, il a seulement évoqué son point de vue sur la politique internationale de la France. Et il s’est posé en « homme d’Etat » défendant les valeurs soi-disant démocratiques de l’Europe contre les menaces du terrorisme mais aussi des régimes autoritaires qui se développent notamment en Europe centrale et de l’Est.
En effet, sans vraiment nommer un gouvernement en particulier, les mots de Macron visaient clairement les gouvernements du fameux « groupe de Visegrád » (Pologne, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie). « [L’Europe] va-t-elle réussir à défendre ses valeurs profondes, dont elle a irrigué le monde pendant des décennies ou va-t-elle s’effacer devant la montée des démocraties illibérales et des régimes autoritaires ? », se demande Macron. Et plus loin il ajoute : « Quand j’entends aujourd’hui certains dirigeants européens, ils trahissent deux fois. Ils décident d’abandonner les principes, de tourner le dos à l’Europe, d’avoir une approche cynique de l’Union qui servirait à dépenser les crédits sans respecter les valeurs. (…) Les pays d’Europe qui ne respectent pas les règles doivent en tirer toutes les conséquences politiques ».
Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, a été l’un des premiers à réagir à ces déclarations de Macron se sentant directement visé car il se revendique ouvertement « illibéral ». Ainsi, il a déclaré à la presse : « Le président français est un petit nouveau qui vient à un sommet pour la première fois. (…) Son entrée en matière n’est pas très prometteuse : hier il a trouvé que la meilleure marque d’amitié à notre égard était un coup de pied dans les pays d’Europe centrale ».
Quand Macron emprunte au FN le danger du « plombier polonais »
Mais l’attaque de Macron contre l’Europe de l’Est ne s’est pas limitée aux régimes et aux gouvernements de la région, il s’est attaqué à sa façon aux travailleurs est-européens. En effet, en se posant en défenseur d’une « Europe qui aille vers un mieux-être économique et social », il a ressorti le vieux discours de Le Pen père lors du référendum constitutionnel de 2005 quand il mettait en garde les travailleurs français contre le danger du « plombier polonais » qui viendrait leur voler le travail.
Ainsi, le président français s’est livré à un petit exercice xénophobe : « Sur quoi le Brexit s’est-il joué ? Sur les travailleurs d’Europe de l’Est qui venaient occuper les emplois britanniques. (…) Le travail détaché conduit à des situations ridicules. Vous pensez que je peux expliquer aux classes moyennes françaises que des entreprises ferment en France pour aller en Pologne car c’est moins cher et que chez nous les entreprises de BTP embauchent des Polonais car ils sont payés moins ? ».
Ces propos ont également entrainé la réaction de la première ministre polonaise, Beata Szydło : « La Pologne est ouverte à la coopération avec la France. Mais cela va dépendre du président Macron : s’il veut étaler dans les médias son hostilité à l’égard des pays d’Europe centrale ou bien s’il veut parler des faits, plutôt que de se servir de remarques basées sur des stéréotypes ».
Les « barbares de l’Est »
Lors du second tour de l’élection présidentielle française, beaucoup ont utilisé l’épouvantail « illibéral » et l’exemple de la Hongrie d’Orbán pour justifier leur soutien à Macron contre Marine Le Pen. Nous avions pointé les limites d’une telle comparaison. Mais aujourd’hui l’épouvantail semble continuer à être profitable aux intérêts de la « macronie » : présenter le nouveau président comme le principal rempart contre l’avancée des « populismes autoritaires » et asseoir sa légitimité.
Et Macron, tant que cela lui sert à améliorer sa posture d’homme d’Etat fort, semble prêt à incarner le rôle. Même si pour cela il faut ressortir les vieux stéréotypes racistes contre les peuples d’Europe centrale et de l’Est, en vogue dans les pays occidentaux notamment pendant la Guerre Froide.
A l’époque cela servait à créer une barrière entre les classes populaires occidentales et est-européennes, dont l’unité aurait été très dangereuse non seulement pour les capitalistes occidentaux mais aussi pour les gouvernements staliniens à l’Est. Mais aussi, cela servait à donner des arguments presque essentialistes sur les « valeurs démocratiques » intrinsèques aux peuples européens de l’Ouest contre les tendances « naturellement » autoritaires des peuples de l’Est du continent. Ainsi, on comprenait aisément le règne de « l’arbitraire communiste » (stalinisme) dans ces pays et la « mission libératrice du monde libre ». Macron ne fait que reproduire une caricature de ces vieux discours.
Libéralisme contre illibéralisme ?
Le caractère réactionnaire des gouvernements en Europe centrale et de l’Est ne fait aucun doute. Et cela ne se limite absolument pas au groupe de Visegrád. Leur politique réactionnaire vis-à-vis de la « crise migratoire » n’est qu’une des expressions les plus claires et plus en vue du grand public. Les politiques limitant les libertés démocratiques les plus élémentaires en Hongrie et dans d’autres pays de la région sont connues également. Et ces politiques répressives sont tout à fait complémentaires des plans d’austérité brutaux imposés dans la région depuis le début de la crise économique mondiale. Lesdits plans d’austérité ont été dictés évidemment par l’UE, la Banque Mondiale et le FMI.
Car en réalité, au-delà des discours réprobateurs, les politiques adoptées par ces gouvernements sont tout à fait fonctionnelles par rapport aux intérêts des capitaux transnationaux européens qui, au cours du processus de restauration du capitalisme dans les années 1990, ont transformé la région en véritable « arrière-cour » des puissances impérialistes de l’UE, à commencer par l’Allemagne. Un « vivier » de main d’œuvre bon marché, source d’immenses profits pour les multinationales.
Il en va de même en ce qui concerne la politique migratoire. Qui d’autre a le plus profité de la politique réactionnaire et xénophobe de Viktor Orbán contre les réfugiés que l’Allemagne et les autres pays riches du continent ? Tout le monde sait qu’aucun migrant ne voulait rester en Hongrie mais se diriger vers le Nord du continent. La politique de « contention » du gouvernement hongrois a permis à Merkel de ralentir le flux des migrants, le temps de passer un accord réactionnaire, à coup de millions, avec le gouvernement turc pour les empêcher d’arriver en Europe.
En ce sens, en temps de crise économique et de risque d’explosions sociales, les mesures limitant les droits démocratiques élémentaires servent justement à rendre plus difficile la contestation populaire et spécifiquement des travailleurs et de la jeunesse précarisée.
Pour les classes populaires Macron est un danger majeur
Dans le cas de Macron le cynisme dépasse des sommets. Car en même temps qu’il prétend défendre des valeurs soi-disant démocratiques de l’Europe face aux « dérives » de certains gouvernements de la périphérie de l’Europe capitaliste, les quelques semaines qui se sont déroulées depuis sa victoire aux élections présidentielles ont été marquées par une volonté de renforcer le caractère autoritaire du régime français.
Et dans l’interview il le répète au cas où on aurait des doutes : « L’état d’urgence était destiné à répondre à un péril imminent résultant d’atteintes grave à l’ordre public. Or la menace est durable. Il faut donc s’organiser sur la durée. Je prolongerai l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre, le strict temps nécessaire pour permettre au parlement d’adopter toutes les mesures indispensables à la protection des Français ». Autrement dit, le temps de faire passer les mesures « exceptionnelles » de l’état d’urgence dans le droit commun. Hollande l’a rêvé, Macron essaye de le faire.
A cela il faut ajouter la création d’une cellule anti-terroriste au sein de l’Elysée, dont Macron serait à la tête : « Il faut ensuite renforcer la coordination de l’ensemble de nos services face à la menace terroriste. C’est dans ce cadre que j’ai souhaité la création de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, avec la création en son sein d’un centre national de contre-terrorisme ».
Le gouvernement Macron-Philippe, en quelques semaines seulement, a également montré à quel point il était attaché au contrôle de la presse et à la surveillance généralisée de la population sur les réseaux sociaux. Et cette tendance n’est que renforcée par l’énorme majorité parlementaire obtenue grâce au régime anti-démocratique de la Ve République.
Ce renforcement de l’autoritarisme, dans le pays inventeur du bonapartisme, est nécessaire pour un gouvernement qui sait que, malgré les apparences, sa légitimité est faible et les contre-réformes néolibérales qu’il entend appliquer, et qui vont dégrader les conditions de vie de millions de personnes, sont immenses.
Car en effet, au contraire de ce que la presse dominante dit, le libéralisme ne s’oppose aucunement à l’autoritarisme, à l’illibéralisme. Au contraire, l’autoritarisme est intrinsèque au libéralisme. Les régimes est-européens dits illibéraux sont un fardeau pour les travailleurs et les classes populaires de la région sans aucun doute. Mais les gouvernements occidentaux ultra pro-patronaux et néolibéraux comme celui de Macron représentent un danger bien plus grand.
A la différence d’Orbán, Macron est à la tête d’une des puissances impérialistes les plus importantes au monde. Le pouvoir de nuisance géopolitique, économique et militaire de la France est incomparablement plus dangereux pour les masses, comme sa position sur la Syrie le démontre.
Empêcher que les plans réactionnaires de Macron soient un succès c’est une question vitale pour la classe ouvrière et les classes populaires en France, mais qui aura des répercussions pour l’ensemble des exploités et opprimés du continent et d’ailleurs.