Des milliers de personnes venues d’Ukraine se rendent en Roumanie pour transiter ou trouver un refuge. Les deux pays partagent 650 kilomètres de frontière, soit la plus longue de l’Union européenne. À Siret, dans la région de Bucovine, les locaux affluent pour prêter main forte aux arrivants.
« Je suis venu aider nos confrères qui sont dans la guerre » s’exclame Liviu en français dans sa voiture, entouré de pain et de jus de fruits. Il est venu d’un village voisin pour les donner aux Ukrainiens, qui arrivent une centaine de mètres plus loin par centaines, au poste-frontière de Siret. Ce sont des femmes principalement, avec des jeunes enfants et des bébés, car les hommes de 18 à 60 sont mobilisés et ont l’interdiction de quitter le territoire, sauf s’ils sont pères célibataires ou qu’ils ont une autre nationalité. À pied, le temps d’attente était d’environ quatre heures vendredi après-midi, mais plus d’une journée pour ceux qui arrivaient en voiture. « On entendait parler des tensions depuis quelques mois, et on pensait que cela allait s’arrêter, mais ça a commencé, et très fort, déplore Liviu. Tout le monde a peur maintenant. Ça peut vite arriver chez nous aussi. »
« Tout le monde a peur maintenant. Ça peut vite arriver chez nous aussi » (Liviu)
Selon les autorités, le 25 février à midi, 10 600 personnes sont entrées depuis l’Ukraine en 24 heures. Déjà 34 d’entre eux ont demandé l’asile et se trouvent dans des centres d’accueil. Les autres peuvent rester 90 jours sur place. 34 ont demandé l’asile et se trouvent dans des centres d’accueil. Il y a 1 100 places dans ces derniers, occupés à 50%. Les Ukrainiens qui ne sont pas binationaux peuvent rester 90 jours sur place, sauf s’ils demandent l’asile.
Une femme qui vient de traverser la frontière fond en larme, une poussette à la main, émue par les volontaires qui lui apportent de l’aide et de la nourriture pour son nourrisson. D’autres sourient, une expression de soulagement sur le visage. Sur près d’un kilomètre, des voitures sont garées le long de la route. Ce sont des locaux venus aider les personnes qui arrivent, avec un sandwich, de l’eau, des couvertures, un lieu où dormir, et même pour de la traduction. De nombreux binationaux habitent cette région de Bucovine, du côté ukrainien comme du côté roumain.
Dans tout le pays, l’élan de solidarité prend une ampleur sans précédent
Dans tout le pays, l’élan de solidarité prend une ampleur sans précédent : samedi, près de 140 000 personnes sont inscrites sur le groupe Facebook « Uniti pentru Ucraina » (Unis pour l’Ukraine) où des particuliers proposent des hébergements et transports gratuits, et même des offres d’emplois. Certains s’organisent pour envoyer des minibus pour chercher des personnes en Ukraine, parfois jusqu’à Kiev, car l’essence y est rationnée.
Le gouvernement roumain, qui annonçait être « prêt pour accueillir 500 000 réfugiés » mercredi, ne s’est pour autant pas précipité. Toutefois, le Département des situations urgentes a annoncé ce samedi après-midi que des tentes allaient être installées à Siret, où la demande est forte. Le ministère des Affaires étrangères a par ailleurs demandé aux Ukrainiens de passer par d’autres points de la frontière. Selon Gabriela Lazarescu, de la Direction assistance sociale de la mairie de Siret : « Les autorités attendaient qu’il y ait des besoins forts car la plupart des personnes sont en transit. » En effet, beaucoup veulent rejoindre leur famille en Pologne ou Europe de l’Ouest.
Gabriela et la dizaine de volontaires qui l’accompagnent sont sur tous les fronts. Ils ont installé un stand avec du café, des plats chauds, des couches pour bébés et des couvertures. « On a commencé dès ce matin, on a reçu des dons, pas seulement de Siret mais aussi d’autres départements du pays. Il y a des camions qui vont arriver de Sibiu et de Cluj avec de la nourriture et des lits de campements » précise-t-elle. Elle a également une liste de numéros pour des logements gratuits, surtout que les hôtels de la région sont quasi tous pleins. « On avait organisé une campagne pendant la pandémie pour aider des gens au niveau local, mais là c’est beaucoup plus impressionnant, ça a plus d’ampleur pour nous ici. »
Pour les Ukrainiens qui ne savent pas où aller, de nombreuses associations, religieuses et laïques, proposent en effet des espaces où ils peuvent dormir et manger gratuitement. Igor, Ivana ainsi que leur de fille de cinq ans sont arrivés de Tchernivtsi, à 45 kilomètres, et ont marché près de deux heures pour atteindre la frontière. Ivana doit accoucher dans quelques semaines et voulait s’assurer d’être en sécurité. Le jeune maçon a réussi à passer avant que le passage ne soit interdit pour les hommes. Après la traversée, l’association chrétienne « Fight For Freedom » s’est présentée à eux pour les accueillir à une heure de route, à Vernesti, dans un centre d’hébergement pour des anciens prisonniers en réinsertion.
Sur place, plusieurs chambres sont mises à disposition avec des matelas par terre. Une vingtaine de personnes sont déjà installées. Pavel, un informaticien moldave, est venu de Bucarest pour quelques jours afin d’aider l’association avec ses compétences de traduction. Il nous aide à parler avec Igor et Ivana, qui attendent de voir s’ils peuvent aller en Italie rejoindre les parents de celle-ci. « C’est la première fois que l’on vient en Roumanie, relate Ivana. On aurait aimé venir dans d’autres circonstances. On remercie toutes les personnes qui nous ont aidés aussi, ça nous permet de respirer et d’être au calme. »
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris.