Le 2 mai 1989, armé de simples pinces-monseigneur et de tenailles, un petit groupe de gardes-frontières hongrois coupait les barbelés et les fils électriques qui séparaient la Hongrie de l’Autriche, l’Est de l’Ouest, proche du village de Fertörakos.
La chute du rideau de fer s’est cristallisée dans notre inconscient collectif sur les images très télégéniques de la destruction du mur de Berlin, où la foule mettait fin quasi à mains nues à quatre décennies de division de l’Allemagne. On se souvient moins que quelques six mois plus tôt, c’est la Hongrie qui ouvrait les premières brèches dans le rideau de fer. A l’époque, l’événement est passé presque inaperçu.
Aujourd’hui encore, à en juger par l’enthousiasme qu’il suscite en Hongrie, cet épisode pourtant glorieux de l’histoire hongroise fait figure d’anecdote. Surtout en comparaison avec l’émotion qui étreint le cœur de chaque Hongrois à l’évocation des révolutions de 1848 et 1956. Plusieurs raisons expliquent cela.
L’euphorie douce du début des années 90 a vite disparue devant l’ampleur de la tâche à accomplir pour rattraper le niveau de vie de l’Europe de l’Ouest. La situation économique hongroise est désastreuse et la crise financière et économique qui s’abat sur la Hongrie depuis quelques mois détériore les conditions de vie des couches inférieures de la société hongroise et surtout fait apparaître le doute et l’incertitude : est-ce que tous les efforts consentis depuis la transition du communisme vers le capitalisme sont justifiés ?
D’autre part, en 1989, il ne s’agissait de révolte armée ni de révolution. Seulement des ajustements politiques de la part d’un parti communiste contraint d’évoluer pour ne pas disparaître. De plus, si le communisme en Hongrie est bien tombé, nombre des dirigeants de sa nomenklatura ont su s’adapter avec habileté au changement de régime et tirent aujourd’hui leur épingle du jeu mieux que les autres.
Une majorité des Hongrois à ce sentiment d’être encore exploitée par cette « caste communiste ». Ferenc Gyurcsány, ancien des jeunesses communistes du KISz (Kommunista Ifjúsági Szövetség) et à la tête d’une des premières fortunes du pays, cristallise à lui seul cette rancœur populaire et la comprend : « Je me suis trouvé au bon endroit au bon moment », a-t-il déjà concédé pour expliquer sa fortune.
Retour vingt ans en arrière
Imre Csapo, un garde-frontière qui a participé à l’ouverture du rideau de fer a expliqué à l’Agence France-Presse, le 1er mai dernier: « Les gens essayaient de passer entre les fils barbelés, creuser pour se faufiler en-dessous ou passer au-dessus par des échelles pour accéder au monde libre » le long des 246 km de grillage muni d’un système d’alarme électrique activé dès que quelqu’un tentait de le franchir, ajoute-t-il. « Les fils de barbelés horizontaux n’étaient pas particulièrement tendus pour céder sous le poids des dissidents et déclencher ainsi inévitablement le signal d’alarme pour les patrouilles », explique-t-il.
En 1971, le champ de mines qui séparait les deux pays est remplacé par un double grillage barbelé et électrifié de fabrication soviétique. Des miradors disposés tous les 10 kilomètres complètent le dispositif. Cette clôture aura été d’une efficacité glaçante. De 1966 a 1988, quelques 13.500 tentatives de fuites vers l’Ouest à partir du sol hongrois ont été recensées. Seules 300 ont réussi. Surtout, elle a dissuadé des centaines de milliers de Hongrois candidats a l’exil et plus généralement des millions d’Européens de l’Est.
Dans les années 80, les dernières du rideau de fer, la frontière commence a montrer des signes de porosité. A Moscou, Gorbatchev met en place la « glasnost » et la « perestroika ». A Budapest, Janos Kadar, qui dirige le parti unique depuis la révolution de 1956 exige l’assouplissement des contrôles à la frontière entre l’Autriche et la Hongrie pour fluidifier le passage des voitures de touristes occidentaux, de plus en plus nombreux. Le 27 avril 1989, Budapest ordonne aux gardes-frontières de démanteler la clôture électrifiée. Les Hongrois ignorent les protestation du dirigeant de l’Allemage de l’Est, Erich Honecker.
L’été 1989, des dizaines de milliers de réfugiés est-allemands massés le long de la frontière dans des campements de fortune attendent de pouvoir traverser pour rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. Ces images font le tour du monde et déclenchent un exode massif d’Allemands de l’Est en Hongrie. Trois semaines plus tard, Budapest ouvre ses frontières définitivement et sans restriction. Plus de 100.000 Allemands de l’Est traversent la frontière austro-hongroise.
Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe finalement. Le jour de la célébration de la réunification de l’Allemagne, le chancelier Helmut Kohl rendra hommage au rôle de la Hongrie dans la réunification Est-Ouest: « Le sol sur lequel repose la porte de Brandebourg est hongrois »…