Depuis peu, une porte vers l’Europe s’est ouverte pour le Kazakhstan à Budapest. Plus exactement dans la « Asztana utca », rebaptisée du nom de la capitale centre-asiatique l’été dernier. Ce changement de nom constitue un symbole du rapprochement politique et économique des deux pays observé ces dernières années. Pourquoi, cependant, le Kazakhstan renforce-t-il ses liens avec la Hongrie ? Quels espoirs place Astana dans ce « peuple frère » ? Un regard sur les relations entre ces deux partenaires dépareillés.
Article publié le 14 janvier 2015 dans Novastan. Il a été corrigé par Daniela Neubacher et Antje Lehmann et traduit de l’allemand par Pierre Falconetti. |
La poussière virevolte autour des chevaux qui s’agitent en tous sens – on joue au kokpar. Non pas dans la steppe kazakhe, mais dans le village hongrois de Bugac – 3000 âmes – situé à environ 160 kilomètres au sud de Budapest, dans les basses plaines de Hongrie. Chaque année se tient ici le «Kurultáj», la «rencontre des racines», où participent entre autres des représentants kazakhs afin de faire revivre le passé «commun».
Peu de gens se sont consacrés de manière aussi intense au thème des racines historiques communes entre la Hongrie et le Kazakhstan que le Hongrois István Kongur Mándoki. Contrairement à son collègue András Zsolt Bíró, Mándoki étudie l’histoire au travers de la turcologie. Beaucoup de ses publications indiquent que les Hongrois seraient originaires d’un peuple de cavaliers turciques. Mándoki est retourné à la fin de sa vie là où tout aurait commencé. Après sa mort en 1982, il a été enterré à Almaty. En septembre dernier, une partie de son énorme bibliothèque de 16 000 volumes a été transférée dans la capitale kazakhe d’Astana, située à plus de 1000 kilomètres au nord d’Almaty. A cette occasion, sa femme, Onaysha Maksumkyzy, a souligné qu’il «a toujours souhaité que les peuples turciques soient réunis».
Passé, présent et futur – une création de liens rhétoriques
Le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev prolonge l’héritage de Mándoki jusqu’à nos jours : « Il est nécessaire de regarder le passé afin de comprendre le présent et de prévoir l’avenir », est une phrase habituelle du président. Le «partenariat stratégique» établi entre les deux pays démontre la volonté de leurs représentants de porter aux nues leur proximité culturelle pour transformer le passé en futur. En effet, si les relations diplomatiques sont établies depuis 1992, elles se sont élargies par une collaboration étroite dans le domaine économique grâce à la création du Conseil économique magyaro-kazakh en 2012. Une des commissions créées pour l’occasion se consacre au combat contre le terrorisme et le trafic de drogue.
L’intensité du partenariat stratégique entre les deux pays est montée d’un cran au début de l’an dernier. Le signal de départ a été donné en février 2014, lorsqu’une délégation kazakhe composée notamment du Ministre des Affaires étrangères Yerlan Ydyryssov a assisté à un forum multilatéral à Budapest concernant un rapprochement entre l’Union Européenne (UE) et le Kazakhstan. Au niveau bilatéral, la délégation kazakhe a rendu visite aux ministres hongrois de l’Economie et de l’Agriculture. Les deux parties n’ont pas signé d’accord mais ont toutefois déclaré leur volonté d’établir des relations plus étroites dans les domaines économique, agricole et éducatif.
L’esprit du partenariat a en revanche été renforcé. L’ancien Ministre hongrois des Affaires étrangères János Martonyi a encore souligné les supposées origines communes à cette occasion : «nous partageons un passé et des racines. Comme il a été prouvé dans de nombreuses études, la patrie historique des Hongrois se trouve sur le territoire du Kazakhstan contemporain». Dans cette perspective, le Kazakhstan pourrait se présenter comme un «pont vers l’Orient» pour la Hongrie. Cette dernière, toujours selon Martonyi, serait prête en contrepartie à devenir le « pont vers l’Occident » du Kazakhstan.
Sur les talons des Seychelles : les négociations d’entrée à l’OMC
Le même ton fut employé en mai et en juin derniers lors de rencontres bilatérales entre les premiers ministres Orbán et Massimov à Budapest et Astana. La coopération économique entre les deux pays se trouvait au premier plan de ces deux rencontres. M. Orbán a alors déclaré dans son discours que le Kazakhstan se dirigeait vers un brillant futur, du moins économiquement.
Le Premier ministre hongrois faisait notamment allusion à l’entrée du Kazakhstan dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les négociations d’entrée, après une décennie de procédure, se concentrent actuellement sur les chapitres légaux concernant la protection des producteurs et travailleurs locaux, ainsi que sur l’harmonisation des tarifs douaniers. Lorsque ces points seront clarifiés, le Kazakhstan pourrait dès cette année suivre les traces des Seychelles en intégrant l’OMC.
Pour le Kazakhstan, cette intégration est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans la perspective de la fondation de l’Union Economique Eurasiatique (UEE). La Russie, membre de l’OMC depuis 2012, a ouvert son marché aux pays tiers, qui ont donc automatiquement accès aux deux autres pays de l’Union douanière, le Kazakhstan et la Biélorussie. Par la force des choses, une bonne partie des standards de l’OMC a trouvé de cette façon une porte d’entrée dans les accords portant sur l’UEE, sans que le Kazakhstan ne puisse profiter des avantages d’une intégration formelle dans l’Organisation, tels que le mécanisme de règlement des différends.
Boîtes de conserves, maïs et pesticides
La richesse du Kazakhstan se base encore et toujours sur l’export de matières premières, notamment d’hydrocarbures. L’Italie est son premier client européen depuis plusieurs années. Par ailleurs, environ un quart des importations pétrolières allemandes provient du Kazakhstan. Depuis quelques années, le gouvernement kazakh essaie de se dégager de cette dépendance à l’égard des matières premières. «Un des secteurs à forte croissance potentielle du Kazakhstan est l’agriculture et la transformation de produits agricoles» selon une analyse de la Délégation de l’économie allemande pour l’Asie centrale.
Il manque toutefois des matériels durables, des entrepôts frigorifiques et des silos. Les principales fabriques se concentrent au sud du pays, qui ne peut ainsi pas devenir autosuffisant, malgré des récoltes en hausse constante. Selon le ministère kazakh de l’Agriculture, le pays importerait actuellement environ 40% de ses produits laitiers, 29% de sa viande, et environ 40% de ses fruits et légumes chaque année. Une étude de la Société Allemande pour la Coopération Internationale (GIZ) explique que «la principale raison à l’origine de la désolation actuelle du secteur agraire est le manque de moyens financiers».
C’est ici que la Hongrie entre en jeu : en effet, le partenaire occidental ne se contente pas d’apporter des investissements afin de développer l’industrie. L’importation de technologies pour le secteur agro-alimentaire constitue également une des facettes du partenariat. Doualt Aitzkhanov, patron de la holding agraire « KazAgro » espère que la coopération avec la Hongrie peut améliorer la filière, notamment lors des processus manufacturiers. M. Aitzkhanov explique être persuadé que des spécialistes hongrois pourraient aider à résoudre les problèmes de qualité (notamment dans le traitement de la viande et du lait), ainsi que ceux posés par le manque de technologies innovantes et de main-d’œuvre qualifiée. La Hongrie était déjà connue du temps de l’URSS pour ses conserves de fruits et légumes.
L’ambassadeur kazakh en Hongrie, Nourbakh Roustemov, souligne également dans une interview au Times d’Astana que son pays est intéressé par la valeur qui pourrait être dégagée de l’optimisation et de l’automatisation de la filière agro-alimentaire.
La prospérité grâce à la Hongrie ?
Au vu de la situation désolante du secteur agricole, le gouvernement du Kazakhstan a établi des objectifs ambitieux. La stratégie «Agrobusiness 2020» prévoit de couvrir 80% des besoins en denrées alimentaires par la production nationale. Les subventions étatiques qui jusqu’à présent permettaient de moderniser les chaînes de production ne suffiront pas à atteindre ces objectifs ; des investisseurs étrangers doivent donc être mis à contribution. Dans ce but, des facilités ont été introduites en 2003 : des exemptions de taxes douanières ou bien des abattements fiscaux pour les personnes morales. La banque hongroise Eximbank et la holding publique KazAgro ont par ailleurs créé fin 2014 un fonds à hauteur de 40 millions de dollars afin de réaliser plusieurs projets communs dans le secteur agricole.
Les semences d’origine hongroises constituent un facteur essentiel. Le pays a fondé en 2012, en partenariat avec FLORA, un consortium visant à fournir le marché kazakh en semailles hongroises. La Hongrie a ainsi exporté 25 000 sacs de graines de maïs vers le Kazakhstan l’an dernier. L’objectif à court terme est de passer à 60 000 par an, selon FLORA. Des exportations de pesticides seraient également à l’étude. La suite du programme prévoit des recherches sur les différentes espèces de maïs sur le sol kazakh.
Selon l’ambassadeur Roustemov, outre dans le secteur agricole, le Kazakhstan souhaiterait se montrer attractif pour les banques et instituts financiers hongrois, et également pour d’autres investisseurs : «le Kazakhstan s’intéresse à la médecine et aux équipements médicaux hongrois». Un centre commercial a d’ores et déjà été ouvert à Astana. De plus, cet été, sous la houlette du Premier ministre kazakh Karim Massimov, un accord de transfert de technologies et d’investissement à hauteur de 100 millions de dollars entre Alibi LPP et Tranzit-Ker Zrt a été signé.
Selon les médias hongrois, la coopération entre les deux pays se serait étendue dirigée en 2014 au secteur éducatif. Un programme d’échange permettra dorénavant à des étudiants et professeurs kazakhs d’étudier à l’Université Corvinus de Budapest. L’ambassadeur kazakh à Budapest a également soulevé dans une interview la question d’une liaison aérienne directe entre les deux capitales (comme l’avait rapporté Novastan).
Du côté hongrois, l’on paraît ouvert à une coopération élargie. Les médias hongrois insistent sur le rôle de la république centre-asiatique en tant que troisième partenaire commercial de la Hongrie au sein de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). Le Ministre du Commerce extérieur Varga accompagne le processus de rapprochement avec une admiration personnelle pour le « peuple frère », visible sur la page d’une association de consommateurs dont il est le président. Le Kazakhstan y est présenté comme un exemple pour la Hongrie. Le ministre admire particulièrement la bonne estime d’elle-même qu’entretient la nation kazakhe, et conclut son argumentation en déclarant qu’une nation «a besoin d’au moins une de ces choses : du gaz, du pétrole, de la steppe ou de la Puszta».