Avant même le vote de la motion de censure prévu à la Chambre des députés ce vendredi en République tchèque, Andrej Babiš a la certitude qu’il restera Premier ministre et que la coalition gouvernementale minoritaire composée de son mouvement populiste ANO et du parti social-démocrate restera à la barre.
Réunis mercredi, les sociaux-démocrates du ČSSD ont décidé qu’ils quitteront le parlement au moment du vote de la motion de censure contre le gouvernement d’Andrej Babiš. Une façon pour eux d’exprimer leur désapprobation vis-à-vis d’une coalition dont ils sont membres, sans pour autant entraîner la chute du gouvernement. Leur non-participation au scrutin garantira en effet à ce dernier de survivre à la motion de censure déposée par les partis de l’opposition suite aux révélations de la semaine dernière. Ceux-ci, au nombre de six, ne disposent en effet que d’un total de 92 voix, alors qu’un minimum de 101 serait nécessaire pour que leur projet aboutisse. Grâce au soutien du parti communiste, le KSČM, qui avait déjà permis à la coalition minoritaire d’obtenir la confiance de la Chambre basse du Parlement en juillet dernier, Andrej Babiš va donc pouvoir continuer à diriger un cabinet qu’il a mis près de huit mois à former suite à la nette victoire de son mouvement ANO aux élections législatives en octobre 2017, avec près de 30 % des suffrages.
S’ils souhaitaient unanimement la démission du Premier ministre, ancien homme d’affaires entré en politique en 2013 et mis en examen en 2017 dans le cadre d’une enquête sur l’abus de deux millions d’euros de subventions européennes qui aurait permis la réalisation d’un vaste complexe de loisirs et hôtelier au sud de Prague baptisé « Nid de cigognes », les sociaux-démocrates étaient toutefois partagés sur l’attitude à adopter quant à la motion de censure. « Nous constatons que les problèmes personnels de monsieur le Premier ministre pèsent sur le gouvernement et restons convaincus que la meilleure solution serait que le mouvement ANO adopte une solution sur le modèle slovaque », a expliqué Jan Hamáček, leader du ČSSD, devant la presse mercredi.
Cette solution « à la slovaque » reposerait sur une démission d’Andrej Babiš semblable à celle de son ancien homologue Robert Fico en Slovaquie en mars dernier, quelques semaines après l’assassinat du journaliste Ján Kuciak, qui enquêtait sur des affaires de corruption. Sous la pression de la rue et de l’opposition, Robert Fico, tout en conservant la direction du parti social-démocrate SMER, avait été contraint d’abandonner ses fonctions de Premier ministre au profit de son bras droit Peter Pellegrini, permettant ainsi la poursuite de la coalition gouvernementale en place depuis 2016.
Malgré les derniers rebondissements de l’affaire, le mouvement ANO, créé par Andrej Babiš en 2011 et qui reste – avec une confortable avance de 10 à 15 points – la formation préférée des Tchèques selon les sondages, a toutefois toujours fait savoir qu’il restait solidaire de son leader spirituel et qu’il excluait toute autre solution que son maintien au pouvoir. De leur côté, les communistes, dont le fonctionnement d’un gouvernement tchèque n’a jamais été aussi dépendant depuis la révolution en 1989, ont eux aussi fait part de leur intention de soutenir la coalition en ne votant pas en faveur de la motion de censure.
L’extrême-droite SPD se dite prête à prendre la relève
Cette répartition des cartes explique pourquoi le chef des sociaux-démocrates Jan Hamáček estime qu’il « n’existe pas de bonne solution » dans la configuration actuelle et compte tenu de la répartition des forces au Parlement. « Une démission comme l’adoption d’une motion de censure ne changeraient rien. Nous serions confrontés soit à une crise constitutionnelle qui entraînerait le pays dans le chaos, soit à un gouvernement qui s’appuierait sur le soutien du SPD », s’est-il dit convaincu. Dirigé par Tomio Okamura, lui aussi ancien businessman reconverti dans les affaires politiques au début des années 2010, le SPD (Liberté et démocratie directe), formation d’extrême droite proche du Rassemblement national de Marine Le Pen qui a réalisé un score de près de 11 % aux dernières législatives, s’est déclaré prêt à prendre le relais du ČSSD au sein de la coalition gouvernementale en cas de mise en retrait de ce dernier.
Toujours selon le leader du ČSSD, formation symbole d’une gauche tchèque en perdition ces dernières années (7 % aux législatives, son plus mauvais résultat depuis la fondation du parti en 1921, contre 7,7 % pour le KSČM, son plus faible résultat depuis la chute de l’ancien régime en 1989), la seule solution consisterait en la dissolution de la Chambre des députés et l’organisation d’élections anticipées. Pour cela, le soutien d’au moins 120 députés serait toutefois nécessaire, un cas de figure fortement improbable dans la mesure où le mouvement ANO dispose à lui seul de 78 mandats sur un total de 200 à la Chambre basse.
Cette position ambiguë du ČSSD, dont les derniers sondages laissent à penser qu’il aurait plus à perdre qu’à gagner avec l’organisation de nouvelles élections qui, au contraire, pourraient renforcer les positions du mouvement ANO, des Pirates et du parti conservateur ODS (Parti civique démocrate), fait finalement le jeu d’un Andrej Babiš qui a affirmé, mercredi soir, « ne pas comprendre que la social-démocratie puisse ne pas soutenir son propre gouvernement ». Mais comprenne qui pourra…ou voudra.