Depuis 2014 et le départ de Donald Tusk pour Bruxelles, la Pologne a beaucoup changé. Pas sûr que l’homme d’Etat, qui vient de reprendre les rênes de la Plateforme civique, en ait fait autant…
Comme un air de déjà-vu. Donald Tusk fait son retour dans le jeu politique polonais, alors que le grand parti libéral qu’il a fondé en 2001, la Plateforme civique (PO), est en difficulté dans les sondages. L’objectif de l’ancien président du Conseil européen est simple : enrayer la domination du Droit et Justice (PiS) au pouvoir. Le duel des meilleurs ennemis Tusk-Kaczyński, un feuilleton qui dure depuis plus de quinze ans, reprend donc en Pologne.
Depuis la fin de son mandat de président du Conseil européen (2014-2019), le retour de Donald Tusk faisait l’objet de nombreuses spéculations en Pologne. L’ancien chef du gouvernement (2007-2014) a renforcé sa stature européenne et internationale ces dernières années, occupant même le poste de président du Parti Populaire Européen. De quoi incarner le contrepoids parfait du Droit et Justice (PiS), qui défie la solidarité européenne depuis 2015 sans être inquiété électoralement par les forces d’opposition.
Chef de la Plateforme civique (PO) depuis janvier 2020, Borys Budka a donc cédé son fauteuil ce samedi lors du Congrès National du parti. Mis sous pression en interne, il n’est jamais parvenu à marquer la formation politique de son empreinte, faute de charisme et de coup de force mémorable.
Ces dernières semaines, la Plateforme civique s’est même vue rétrogradée comme troisième force politique du pays, avec environ 15 % d’intentions de vote, derrière le PiS en tête et Pologne 2050 de Szymon Hołownia (centre-droit). Ce marasme politique explique le retour de Donald Tusk aux affaires nationales. Figure d’expérience, il est associé à l’ère dorée de la Plateforme civique, lorsque les victoires électorales s’enchainaient (législatives de 2007 puis 2011, présidentielles de 2010). Mais depuis 2015, c’est bien Jarosław Kaczyński, le chef du Droit et Justice (PiS), qui tire les ficelles de la politique polonaise.
Tusk et Kaczyński sont deux « animaux politiques » qui s’affrontent frontalement depuis les parlementaires de 2005. La prochaine bataille électorale sera sans doute leur dernière danse. Plus que jamais, il semble que chacun a besoin de l’autre pour exister politiquement. Ils se connaissent par cœur, et vont s’utiliser mutuellement pour diviser la scène politique selon un filtre manichéen. D’un côté le « bien », de l’autre le « mal ».
« Tusk ne revient pas sur son cheval blanc, mais bien à pied » – Szymon Hołownia.
Une figure providentielle qui ne fait pas l’unanimité
Mais depuis 2014 et le départ de Tusk pour Bruxelles, la Pologne a beaucoup changé. Pas sûr que l’homme d’État en ait fait autant. D’après un récent sondage Kantar, 60 % des interrogés sont défavorables à son retour, qui symbolise la « politique du passé ».
Ces dernières années, le débat idéologique en Pologne s’est concentré sur le terrain des valeurs. Les questions de société liées au droit à l’avortement, à la place de la communauté LGBT+ et au rôle de l’Eglise sont devenues fondamentales, en particulier pour la jeunesse. Or, il semble peu probable que Donald Tusk réponde aux aspirations progressistes d’une frange importante de l’électorat centriste, ce qui arrange la Gauche (Lewica).
Aussi, Donald Tusk va devoir s’adapter à la disparition du duopole PiS-PO. Trouver un terrain d’entente avec Szymon Hołownia, le leader de Pologne 2050 (centre-droit) qui s’appuie sur une base électorale similaire, est un enjeu primordial. En effet, Hołownia, l’ancien animateur télé novice en politique, capture aujourd’hui 20 % de l’électorat, devançant la PO. Il compte jouer pleinement la carte de la nouveauté et relativiser le retour de l’ancien chef du gouvernement : « Tusk ne revient pas sur son cheval blanc, mais bien à pied », lance-t-il au micro de la chaîne d’information TVN24.
En parallèle, il sera intéressant de suivre les manœuvres de Rafał Trzaskowski (PO), l’ambitieux maire de Varsovie. Candidat malheureux lors du second tour de la présidentielle de 2020, il jouit d’une forte cote de popularité : il est souvent plébiscité comme le politique qui inspire le plus confiance.
Ces derniers jours, il avait annoncé être prêt à reprendre le parti en cas de changement de direction, un projet contre-carré par le retour effectif de Tusk. Appuyé par de jeunes députés de l’aile gauche comme Nitras et Sterczewski, Trzaskowski illustre la fracture générationnelle qui existe au sein de la PO et avec laquelle Tusk peut avoir des problèmes.
Alors que la Plateforme civique dispose d’une image quelque peu dépassée dans l’opinion publique, Trzaskowski a lancé son propre mouvement « La Pologne Commune » (Wspólna Polska), qu’il assure être une initiative complémentaire. Reste à savoir si Trzaskowski contiendra effectivement ses aspirations dans les prochains mois, ou s’il sera le Brutus de sa famille politique.
Photo : UK Prime Minister / CC BY-NC-ND 2.0