À l’été dernier, de la région parisienne j’ai déménagé à Rennes. Le seul inconvénient que je voyais dans mon installation en Bretagne était le fait de m’éloigner encore davantage de ma Tchéquie natale. Depuis, il y a des moments où je me dis que, bien au contraire, prendre ses distances ne saurait être qu’un atout.
Binôme infernal Babiš-Zeman
Les élections législatives tchèques d’octobre ont marqué un début de mes états d’âme. Elles ont été emportées haut la main par le mouvement ANO (« Oui ») d’Andrej Babiš, un ex-communiste slovaque qui aurait collaboré avec la StB, police politique tchécoslovaque. Dans les années 1990, Babiš a fait fortune dans l’industrie agro-alimentaire et, il y a cinq ans, il a lancé son propre mouvement politique. Pragmatique, il ne se situe – comme Emmanuel Macron – ni à droite, ni à gauche et sa devise qui tient lieu de programme est toute simple : « Trimer ! ».
Son côté bosseur tire-sous lui a valu quelques déconvenues et, aujourd’hui, Babiš fait l’objet de poursuites judiciaires pour détournement de fonds européens.
Le président de la République Miloš Zeman lui n’y voit aucun inconvénient et, le mercredi 6 décembre, il a nommé son petit chouchou préféré premier ministre. Il a balayé toute objection d’ordre moral d’un revers de main : « Les gens sont jaloux de ceux qui réussissent ! »
Pour ce grand admirateur des régimes russe et chinois, le respect des règles démocratiques est le cadet de ses soucis. À l’heure actuelle, ANO ne dispose pas de majorité au parlement, le président Zeman s’est donc dépêché de déclarer qu’il pourrait laisser gouverner un cabinet minoritaire de Babiš sans confiance des députés « pendant un temps indéterminé ». Pour tenir sa parole, il lui faudra remporter l’élection présidentielle de janvier où il se présente pour un second mandat.
Les communistes et l’extrême droite jubilent
Mais ce n’est pas encore tout. Les autres partis parlementaires refusent de pactiser avec un homme mis en examen, à deux exceptions près : le Parti communiste ainsi que Liberté et Démocratie directe de Tomio Okamura, politicien d’origine japonaise qui mène un discours identitaire et lutte avec acharnement contre l’hydre surnommée « islamisation de la République tchèque ». Ces deux partis-là, jusque-là tenus à l’écart, ont soif de pouvoir et, avec eux, le mouvement de Babiš disposerait d’une large majorité parlementaire.
Tout en n’étant pas officiellement constituée, cette majorité en herbe a déjà imposé aux autres leurs choix de présidents des commissions parlementaires. Par exemple, la commission de contrôle de l’inspection des forces de sécurité devrait être dirigée par un communiste qui, en 1989, a fait partie des unités anti-émeute chargées de disperser les rassemblements pro-démocratiques à Prague.
On verra bientôt, lors du vote de levée de l’immunité parlementaire du premier ministre désigné, si cette même majorité empêchera de traduire Andrej Babiš en justice.
Inspirée par ses voisins hongrois et polonais, la République tchèque se tourne peu à peu vers l’Est. Cherchant à contrecarrer ce mouvement, je lorgne du côté opposé, là où se balancent paresseusement les vagues grises de l’Océan Atlantique…