Un documentaire tchéco-allemand coproduit par Arte revient sur l’héritage artistique fabuleux d’Alfons Mucha, l’initiateur du mouvement Art nouveau. Nous avons rencontré son petit-fils, John Mucha, qui gère aujourd’hui son œuvre.
L´héritage artistique d´Alfons Mucha, initiateur du mouvement Art nouveau, a deux visages : le premier, connu dans le monde entier, grâce à ses affiches et œuvres décoratives ; le second, connu seulement en République Tchèque, à la suite d’un procès douloureux concernant L´Épopée slave, son œuvre majeure. L´histoire d´Alfons Mucha est racontée par son fils Jiří, qui traite de ses mémoires et par l´écriture s´acquitte du message de son père. Le film utilise des documents d´archives, ses correspondances et ses mémoires inédits rédigés dans les années 1930.
Pourquoi, au XXIe siècle, le célèbre artiste de street art américain Mear One a-t-il peint un portrait de dix mètres sur la façade d’une maison à Los Angeles ? Pourquoi l’illustrateur japonais Yoshitaka Amano et d’autres auteurs contemporains du phénomène appelé manga soutiennent-ils fièrement son héritage ? Nous avons rencontré John Mucha, son petit-fils, à l’occasion de la projection parisienne du film sur son grand-père, dans le cadre de la 7ème édition du Czech-In Film Festival.
Genre : Documentaire / Réalisateur : Roman Vávra / Production : République tchèque, France, Allemagne / Année : 2020 / Durée : 95
Le Courrier d’Europe centrale : John Mucha, vous êtes connus à l’international et en Tchéquie en particulier comme le représentant de la Fondation Mucha et un fervent promoteur de l’art de votre grand-père, Alfons Mucha. Vous co-organisez des expositions à travers le monde, pouvez-vous évaluer dans quelle région l’intérêt pour son travail est le plus important ?
John Mucha : Mon père Jiri Mucha s’est occupé de l’héritage de son père jusqu’à sa mort en 1991. Ma mère, la compositrice Géraldine, a énormément de mérite. Après la mort de mon père, nous avons fondé la Fondation Mucha, dont l’objectif principal est de rendre l’art de Mucha accessible à tous les spectateurs sur tous les continents. La Fondation sert de cadre législatif et logistique à la collection. Depuis sa création, nous avons organisé plus de 50 expositions à travers le monde : en Amérique, en Asie, en Europe, et bien sûr en République tchèque. À partir de la semaine prochaine, par exemple, une grande exposition de Mucha, visionnaire de l’art Nouveau aura lieu au North Carolina Museum of Art, aux États-Unis. Nous en préparons également une pour Taipei à Taiwan.
C’est probablement au Japon que Mucha suscite le plus d’intérêt. Signe de nos contacts étroits avec le Japon, la Fondation Mucha est la seule institution non-japonaise à avoir pour marraine d’honneur Hisako, Princesse Takamado, visage officiel du Japon pour les arts et les sports.
L’État tchèque vous aide-t-il également à valoriser son héritage ? Pouvez-vous décrire brièvement au lecteur français les vicissitudes que vous traversez concernant L’épopée slave ? Rappelons que c’est un ensemble de 20 toiles mesurant 8,10 × 6,10 m chacune, racontant l’histoire des nations slaves du IIIe au XXe siècle à travers dix événements. Cette œuvre a été présentée à Prague en 1928, à l’occasion du dixième anniversaire de la Tchécoslovaquie.
En tant qu’organisation indépendante, nous n’avons jamais demandé d’aide financière à l’État tchèque, parce que nous n’avons pas besoin de subventions directes. Cependant, nous sommes conscients que la Fondation agit comme une carte de visite culturelle de l’État et de la société. Je fais de mon mieux pour ce rayonnement. Par exemple, à l’occasion du 100e anniversaire de la fondation de la Tchécoslovaquie, une médaille commémorative a été décernée à Chicago aux trois familles qui ont contribué à la fondation de la République. Elles ont été remises par Charlotta Kotíková (arrière-petite-fille de Tomáš Masaryk, Tom Crain et mon fils Markus Mucha). C’était un très grand honneur pour nous.
Quant aux vingt immenses toiles d’Épopée, précisément, après de nombreuses années où il n’y avait pas de place pour elle à Prague pour sa présentation (NDLR : Mucha a fait don de l’œuvre à la ville de Prague à condition que celle-ci y soit exposée, sauf que cette condition n’est pas respecté et la Fondation Mucha fait des démarches pour la récupérer) : La situation évolue positivement, Épopée est actuellement à Moravský Krumlov, où elle est revenue solennellement après la reconstruction de l’équipement technique. Dans moins de 5 ans, un lieu central pragois devrait être prêt pour accueillir l’œuvre dans son entier : le Palais Savarin. Nous sommes aussi ouverts pour soutenir réciproquement les institutions tchèques : par exemple à Taipei, le Prague Tourism, disposera d’un espace pour la présentation de la ville de Prague.
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L’œuvre de Mucha a-t-elle quelque chose à dire au spectateur d’aujourd’hui ? Selon vous, à quoi sert son héritage aujourd’hui ?
De mon point de vue, le travail de Mucha n’a pas pris une ride. Après une relative perte d’intérêt dans les années 50, son œuvre parle de nouveau aux spectateurs. L’Art nouveau est un style d’art qui vit, grandit, qui a des choses à dire, et comme cela est démontré dans le documentaire, après tout, il résonne auprès des artistes du monde entier le monde, à travers les générations. Moi-même, j’ai plus de 70 ans, j’ai vécu les années 60, le flower-power, avec l’invasion des fleurs que mon grand-père, déjà, utilisait si bien. À travers le film, on voit bien que cette période a impacté aussi le monde du manga qui s’en est beaucoup inspiré.
Pourquoi Mucha est si populaire ? J’imagine le spectateur comme un petit voilier, qui traverse la tempête quotidienne de la vie. Mucha et ses œuvres sont comme un port. Du point de vue humain et de l’histoire de l’art, le monde de Mucha est une sorte de havre de paix où le visiteur peut se détendre, réfléchir. Et cela ne concerne pas que ses affiches, mais aussi ses huiles et ses pastels.
La devise de Mucha était : Ne jamais détruire, mais construire. Alors que dans le monde d’aujourd’hui, c’est partout la panique.
Avez-vous déjà une idée de l’orientation des projets de votre Fondation dans les années à venir ? Vous planifiez quelque chose avec la ville de Paris, qui a été un « tremplin » majeur pour « Alphonse » Mucha, la ville qui l’a rendu célèbre. Quelle est votre relation personnelle avec cette ville ? Suivez-vous les traces de votre grand-père ?
Bien que j’habite entre la République tchèque et l’Angleterre, j’aime revenir à Paris, pour des occasions comme le Czech-In Film Festival à l’Hôtel de Ville de Paris. Nous entretenons également des contacts personnels avec ceux qui ont aidé pendant le tournage du documentaire. Paris a été un moment crucial de la vie d’Alfons, car sans ses premières affiches pour Sarah Bernhardt, son talent n’aurait pas été remarqué. Sa carrière a été à son apogée à Paris, et il a été découvert par le public. Pour la petite histoire, c’est à Paris, qu’il a intégré la loge maçonnique. Il y a trois ans, il y avait une exposition de nos collections au Musée du Luxembourg, la deuxième plus grande exposition après Cézanne.
Dans le cadre de la réouverture de l’exposition à Moravský Krumlov, la Fondation a commencé les préparatifs du projet La Route de Mucha, qui comprend toutes les villes de la résidence d’Alfons ou les lieux auxquels elle était liée. Et nous espérons qu’elle deviendra l’une des étapes de la Route.
Propos rapportés par Markéta Hodouskova.