Qui se souvient que des prisonniers français évadés d’Allemagne ont trouvé refuge en Hongrie pendant la Seconde guerre mondiale ?
Balatonboglár, envoyé spécial – La petite ville de Balatonboglár, sur les rives du lac Balaton, est un agréable lieu de villégiature pour de nombreux Hongrois et touristes étrangers. L’été, ils y viennent pour profiter du lac, du soleil et de la tranquillité sans trop savoir que dans ce petit bourg de 6 000 âmes s’est déroulé, il y a plus de quatre-vingts ans, lors de la Seconde guerre mondiale, un exceptionnel épisode de solidarité et de fraternité entre les habitants de cette localité et des prisonniers évadés français.
Pour perpétuer ce moment d’Histoire, mardi 29 mars, Pascale Andréani, l’ambassadrice de France en Hongrie et Miklós Mészáros, le maire de Balatonboglár accompagnés d’István Boros, président de l’Association hongroise des décorés français, ont officiellement inauguré un petit musée dans l’annexe de la mairie, où une exposition accessible en Hongrois et en Français retrace cette épopée. A travers les deux salles exigües, les visiteurs peuvent utiliser un dispositif interactif qui leur permet d’accéder à des vidéos avec sous-titrage, et d’entendre, entre autres, des témoignages de personnes ayant connu cette période.
« Je voulais que l’histoire de ces prisonniers français soit chronologique et la plus complète possible tout en montrant la grande hospitalité du peuple hongrois », explique l’historienne Victoria Muller, auteure d’une thèse sur les relations franco-hongroises de 1940 à 1944. Contactée début décembre 2021 par l’ambassade de France, elle n’a eu que quelques semaines pour rassembler tout le matériel de l’exposition, qui complète celle organisée en 2018 à l’Institut Français de Budapest.[1]A lire le compte-rendu du colloque 10 octobre 2018 qui s’est tenu à l’Institut Français de Budapest avec René Roudaut, ancien ambassadeur de France en Hongrie. https://parizs.mfa.gov.hu/fra/news/un-paradis-provisoire
L’histoire singulière de ces hommes commence fin août 1940 lorsque plusieurs soldats français, évadés des camps ou fuyant le Service du Travail Obligatoire (STO), débarquent dans les petites villes hongroises situées sur la frontière autrichienne. A cette époque, la Hongrie est une alliée de l’Allemagne nazie, mais elle n’a jamais déclaré officiellement la guerre à la France. C’est pourquoi, en tant que pays neutre, les autorités hongroises s’appuyant sur les dispositions de la Convention de la Haye et de Genève relatives à l’accueil des réfugiés, décident de ne pas renvoyer en Allemagne tous ces prisonniers et déserteurs.
La (bonne) nouvelle se répand rapidement dans les camps de prisonniers en Allemagne où se trouvent également des milliers de Polonais qui vont profiter de l’aubaine. Ainsi, entre 1942 et 1944, plus de 1 200 prisonniers français débarquent en Hongrie pour fuir la féroce répression des Allemands. Certains d’entre eux ne s’attardent pas et continuent leur route pour rejoindre la France Libre en passant par la Yougoslavie. Mais, assez rapidement, l’aggravation de la guerre dans cette partie des Balkans bloque près de 800 d’entre eux qui vont rester sur le sol hongrois jusqu’en 1945.
D’abord regroupés à Balassagyarmat, ville frontière entre la Hongrie et la Slovaquie, ils sont envoyés par petits groupes de 120 hommes à Balatonboglár où la municipalité et la population vont les accueillir et les cacher. Les plus chanceux sont logés dans les deux luxueux hôtels de la ville ainsi que dans une dizaine de villas donnant sur le lac. Officiellement, tous ces lieux sont des « gyűjtőtábor » (camp de rassemblement) ou des « internálótábor » (camp d’internement). Mais ici, pas de barbelés ou de gardiens armés. Les prisonniers français ont une liberté totale. Balatonboglár sera surnommée « le paradis provisoire » par beaucoup de prisonniers.
Pour faciliter leur séjour, l’ambassadeur et le consul de France en Hongrie leur fournissent des papiers officiels qui leur permettent de circuler. Quelques-uns ont aussi de faux papiers. Attaché militaire auprès de la Légation de France à Budapest dès 1942, le colonel André Hallier va apporter son aide à tous ces prisonniers pourchassés par les Allemands et qui ne peuvent plus rejoindre la France pour continuer le combat. Hallier les aident, entre autres, à rejoindre les maquis en Slovaquie ou à trouver du travail dans les quelques usines encore en activité. Une solution qui permet aux prisonniers de gagner un peu d’argent et de se disséminer les dans tout le pays pour que les Allemands les trouvent moins facilement.
Munis d’une autorisation de sortie, ces Français peuvent aussi quitter leurs « lieux d’internement » pour plusieurs jours afin de chercher du travail ou tout simplement aller se promener pour des randonnées. Beaucoup se rendent à Budapest pour y prendre du bon temps… Une troupe de théâtre est aussi créé et, au cours de l’hiver 1943, elle obtient l’autorisation de partir en tournée dans le pays. En compagnie de quelques acteurs et actrices hongrois, la troupe présente « Le malade imaginaire » de Molière au centre universitaire de Gödöllo, situé à une trentaine de kilomètres de Budapest. Grâce à leur équipe de football, les prisonniers disputent également de nombreux matches contre des équipes locales.
Le 14 juillet 1943, sous l’impulsion d’André Hallier, tous les prisonniers célèbrent la fête nationale en chantant La Marseillaise devant le drapeau Français. Un défilé qui se déroule en présence des autorités et d’officiers hongrois, ainsi que du Nonce apostolique Mgr Rotta plus tard nommé « juste parmi les nations ». De cette cérémonie – la seule qui se soit tenue en Europe – il reste une photo exposée dans le musée.
Mais, à partir du 15 mars 1944, la vie dorée touche à sa fin avec l’invasion de la Hongrie par les troupes allemandes et la prise de pouvoir des Croix Fléchées en octobre. Pourchassés par les Allemands et leurs supplétifs qui font la chasse aux juifs, les prisonniers se cachent un peu partout. Ils échappent à leurs arrestations grâce aux autorités hongroises qui ne répondent pas aux demandes allemandes.
Au cours de cette traque, quelques prisonniers se terrent à Budapest. Parmi eux, Pierre Godefroy – devenu après la guerre sénateur gaulliste de la nouvelle Vème République – est accueilli par Balázs Samu, acteur et directeur du théâtre Andrássy, qui le cache dans la salle des accessoires. Arrêté par les Croix Fléchées, il est libéré grâce à l’intervention de Balázs Samu et rejoint la France après la prise de Budapest par l’Armée Rouge le 11 février 1945. Dès la libération de la ville, les évadés français sont regroupés à Tura, ville du Nord-Est de la Hongrie, d’où ils seront évacués par train vers Odessa puis par bateau jusqu’à Marseille.
Une cinquantaine d’entre eux qui s’étaient mariés avec des femmes hongroises font partie de ce retour pour s’installer en France. De nombreux contacts seront gardés avec la population de Balatonboglár où, en 1992, une stèle commémorative a été installée « en reconnaissance pour l’hospitalité de la Hongrie aux prisonniers de guerre français évadés des camps nazis ». Dans son discours d’inauguration, Mme Andréani n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que « cet esprit d’entraide extraordinaire des Hongrois nous renvoie à ce qui se passe aujourd’hui avec l’accueil des réfugiés qui fuient l’Ukraine ». L’Histoire, éternel recommencement.
Notes
↑1 | A lire le compte-rendu du colloque 10 octobre 2018 qui s’est tenu à l’Institut Français de Budapest avec René Roudaut, ancien ambassadeur de France en Hongrie. https://parizs.mfa.gov.hu/fra/news/un-paradis-provisoire |
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