Depuis mars, les heurts meurtriers se multiplient sur la ligne de front en Ukraine, en parallèle d’une montée des tensions entre Moscou et les Occidentaux. Le Courrier revient en trois questions sur cette nouvelle escalade et l’apparent retrait russe, sept ans après le début du conflit.
Article publié en coopération avec la Heinrich-Böll-Stiftung Paris, France.
Depuis quelques semaines, les yeux et les oreilles des chancelleries occidentales, mais aussi des médias internationaux se tournent vers le Donbass, à mesure que les bruits de bottes s’intensifient. Le conflit, qui a fait plus de 13.000 morts et 1,4 millions de déplacés selon l’ONU, avait largement diminué en intensité. Il s’était transformé depuis 2015 en une guerre d’attente et de tranchées entre Kiev et les séparatistes soutenus par Moscou.
Le dernier cessez-le-feu en date, conclu en juillet 2020, avait été globalement respecté, à la surprise des observateurs. Mais depuis début mars, les combats reprennent sur la ligne de front, faisant une trentaine morts parmi les forces ukrainiennes depuis le 1er janvier, contre 50 en 2020. En parallèle, derrière la frontière ukrainienne et sur la péninsule annexée de Crimée, les Russes ont déployé 100.000 soldats officiellement pour des exercices militaires très visibles. Si Moscou a annoncé qu’il allait retirer ses troupes le 23 avril, les tensions n’ont pas baissé selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les autorités ukrainiennes.
Pourquoi les relations entre Moscou et Kiev ont elles connu une soudaine aggravation ?
Ce regain de tension apparaît à un moment où l’arrivée d’une nouvelle administration américaine rebat les cartes dans la région, après la politique étrangère ambigüe de Donald Trump. L’ancien président avait en effet alterné entre déclarations relâchant la pression sur Moscou et envoi inédit d’armes létales à l’Ukraine. Le président Joe Biden, déjà très engagé dans la région lorsqu’il était Vice-président de Barack Obama, apparaît être un partenaire plus fiable pour l’Ukraine. Face à ce changement outre-atlantique, autant Kiev que Moscou ont pris des mesures fortes depuis janvier, des ”signaux” pour tester leur partenaire américain.
« La situation est surtout préoccupante en Mer Noire où les forces navales déployées vont rester sur la zone. Moscou a ainsi déclaré une zone d’exclusion maritime jusqu’à l’automne autour du détroit de Kertch qui relie la Crimée à la Russie, officiellement pour des exercices militaires. »
D’abord partisan d’un dialogue avec Moscou, le président ukrainien Volodymyr Zelensky durcit sa position depuis février, avec une série de mesures contre ceux qu’il considère comme défendant les intérêts du Kremlin en Ukraine. Trois des cinq chaînes les plus regardées dans le pays, 112, NewsOne et Zik ont ainsi été interdites par le Conseil national de sécurité et de défense. Ce dernier a également pris de nombreuses sanctions à l’encontre d’entreprises ou d’individus russes mais aussi ukrainiens et en premier lieu Viktor Medvedtchouk, leader du parti d’opposition pro-russe “Plateforme d’opposition-Pour la vie”. Parrain de la fille de Vladimir Poutine, le député et oligarque est la véritable cible de l’exécutif ukrainien. Ses avoirs et ceux de sa famille ont été gelés par Kiev. Presque immédiatement après toutes ces décisions, les violations du cessez-le-feu ont été observées du côté séparatistes. Pour certains analystes, ce regain de tensions peut en parallèle être expliqué depuis la Russie où Vladimir Poutine est en position de faiblesse face à l’opposition, à l’approche des élections législatives. Les mouvements de troupes à la frontière seraient alors un moyen pour Moscou de montrer ses muscles, face aux Européens et aux Occidentaux.
L’annonce du retrait des troupes russes à la frontière marque-t-elle la fin des tensions ?
Moscou a déclaré le 23 avril retirer ses 100.000 militaires de la frontière. Mais selon Volodymyr Zelensky, ce retrait est “trop lent”, avec seulement 3.000 à 3.500 soldats déplacés pour le moment. « Les forces placées le long de la frontière ukrainienne permettraient à la partie russe de commencer une opération militaire contre l’Ukraine à tout moment », a-t-il déclaré, lors de la visite du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken le 6 mai. Le chef d’Etat ukrainien a également noté une diminution des tirs de snipers sur le front, nouvelle arme redoutable des séparatistes qui a fait de nombreuses victimes ukrainiennes récemment. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a de son côté également affirmé qu’il restait des dizaines de milliers de soldats dans la région, “beaucoup plus qu’avant la récente augmentation des tensions”.
Pour l’expert militaire ukrainien Oleg Jdanov interrogé par Le Courrier, la situation est surtout préoccupante en Mer Noire où les forces navales déployées vont rester sur le terrain. Moscou a ainsi déclaré une zone d’exclusion maritime jusqu’à l’automne autour du détroit de Kertch qui relie la Crimée à la Russie, officiellement pour des exercices militaires. Une démonstration de force, alors que les interdictions de navigation durent par convention seulement le temps de l’exercice.
Poutine et Zelensky vont-ils se rencontrer ?
Les négociations en format Normandie entre les chefs d’Etat allemand, français, russe, ukrainien, sont au point mort depuis la rencontre très médiatisée de Paris en 2019. Volodymyr Zelensky supporte mal les pertes sur le front et s’active sur le plan diplomatique pour chercher du soutien. Depuis quelques semaines, le président ukrainien cherche à rencontrer directement son homologue russe. Le 20 avril, dans une adresse à la nation diffusée à la télévision et sur internet, Volodymyr Zelensky a adressé un message à son “voisin du Nord”. “Monsieur Poutine, je suis prêt à aller encore plus loin et à vous inviter à une rencontre n’importe où où la guerre se déroule, dans le Donbass ukrainien”, lance-t-il en russe à la fin de son adresse, avec une pointe de provocation. Les semaines suivantes, la question du lieu de la rencontre a noirci les pages des médias ukrainiens, au fil des déclarations de l’administration présidentielle. Genève, Budapest, Israël avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou, le Vatican avec le Pape : Kiev multiplie les déclarations, parfois sans concertation avec les pays concernés.
“Je ne serais pas surpris, si demain le bureau du président annonçait une rencontre sur la lune. Zelensky doit bien dire quelque chose à son électorat”
Le Belarus, lieu avant la pandémie des négociations du Groupe de contact trilatéral (composé des représentants de l’Ukraine, la Russie et l’OSCE), aurait pu être une place de choix. Mais les manifestations contre le président bélarusse Alexandre Loukachenko, qui secouent le pays depuis l’été 2020, ont refroidi les partenaires et réduisent les chances d’une rencontre. “Je ne serais pas surpris, si demain le bureau du président annonçait une rencontre sur la lune. Zelensky doit bien dire quelque chose à son électorat”, ironise Oleg Jdanov. “La société est fatiguée de la guerre. La population sait que les négociations sont dans une impasse.”
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