Au cours des derniers mois, le juriste Marcin Matczak s’est imposé comme une des figures publiques majeures du débat politique en Pologne. Dans les médias, sur les réseaux sociaux et même en rappant s’il le faut, il dénonce les atteintes à la démocratie.
Marcin Matczak peut se vanter d’être un juriste très populaire. La renommée de cet avocat, professeur spécialisé en sciences juridiques de l’Université de Varsovie, se doit notamment par ses prises de positions tranchées en faveur de la protection des tribunaux et de la constitution, faisant de lui l’un des critiques du PiS les plus en vogue.
Côté scientifique, il est connu en tant que spécialiste de droit public. Il est l’auteur d’une cinquantaine d’articles scientifiques polonais et étrangers, rédacteur en chef du Life Sciences Law Blog, et collabore sur de nombreux textes de vulgarisation scientifique dans le domaine du droit publiés, entre autres, dans des médias tels que Tygodnik Powszechny, Gazeta Wyborcza et sur Verfassungsblog.
Mais il est impossible de parler de lui sans mentionner son fils, Michał Matczak, connu sous le pseudonyme de Mata. En 2020, il publiait le morceau Patointeligencja qui, en 24 heures, comptait déjà un million de vues sur YouTube (aujourd’hui : presque 50 millions !). À l’époque, le titreavait fait réagir plusieurs médias d’habitude indifférents à la culture pop, et Mata se retrouvait dans l’œil du cyclone : loué par les uns comme un artiste courageux, accusés par les autres de cynisme et de vulgarité. En dévoilant la face sombre de la vie des jeunes de bonnes familles, marquée par la drogue et l’alcool (« on deal pour le plaisir et pas pour la survie »), son titre a fait l’effet d’un pavé dans la mare de la bonne société.
Marcin Matczak n’a pas tenu rigueur à son fils de rapper qu’il « nique maman et papa pour les rhododendrons, jacuzzi et trois étages », jouant le rôle du père bienveillant sur Twitter, où il publiait une photo en compagnie de son fils : « Écoutez vos enfants ! Ils ont beaucoup de choses sages à vous dire ». Plus tard, dans une vidéo sur sa chaîne Youtube, il dévoilait que voir son fils s’enregistrer et faire du rap, c’est-à-dire réaliser son rêve, a été l’un des meilleurs moments de sa vie.
En mai 2020, Marcin Matczak a pris le micro à son tour lors de #hot16challenge2, une levée de fonds destinée aux hôpitaux, mis à mal par le coronavirus. Renommé Tata Maty (littéralement « père de Mata »), il rappe ses 16 vers, dans lesquels, grimé en professeur, il défend la Constitution et montre sa défiance à l’égard du PiS : « Je veux élever ces consciences dans le futur, où la Constitution est respectée par Jarek et Zbyszek »(Jarosław Kaczyński et Zbigniew Ziobro).La présence de son fils dans la vidéo alimentait l’effet de buzz recherché, notamment chez les jeunes. La vidéo comptabilise aujourd’hui 9 millions de vues sur Youtube.
Quand il envoie bouler le président Duda
L’aisance avec laquelle l’avocat militant utilise les réseaux sociaux lui permet de toucher beaucoup de personnes. Sa chaîne YouTube compte 125 000 abonnés, il y publie des vidéos de théorie et philosophie du droit. Sur Twitter, il compte presque 93 000 followers. Il a surtout un certain talent pour construire des métaphores faisant référence aux images de la pop-culture, comme Games of Thrones : « Vous vous souvenez de cet épisode de Game of Thrones où le roi de la nuit tue Viserion, l’un des dragons de Daenerys Targaryen, puis le ressuscite en tant que bête zombie ? Quelque chose de similaire se produit lorsqu’une autorité autoritaire prend le contrôle du Tribunal constitutionnel ».
En février 2021, les médias s’enflammaient à nouveau quand Matczak refusait d’accepter la nomination professorale du président Andrzej Duda. Il lui adressait alors une lettre ouverte dans laquelle il dénonçait la situation d’autres universitaires qui attendaient leurs nominations depuis des années. Il le remerciait tout de même de n’avoir pas fait de sa nomination une affaire politique : « Je vous remercie sincèrement et sans aucune ironie pour n’avoir pas fait de ma nomination au poste de professeur une question politique.[…] J’apprécie et vous remercie pour la neutralité dont vous avez fait preuve par cette décision ».
Une façon de rappeler que d’autres scientifiques polonais n’ont pas eu droit à la même mansuétude, notamment Walter Żelazny et le spécialiste de l’antisémitisme Michał Bilewicz, qu’il n’est pas rare de croiser dans les rassemblements du Comité pour la défense de la démocratie (le KOD). L’affaire a été jugée suffisamment sérieuse pour que le défenseur des droits, Adam Bodnar, poussé depuis vers la sortie, se penche sur le sort de ces deux universitaires, et Walter Żelazny a déposé une plainte auprès du tribunal administratif.
« Bien sûr, aujourd’hui je critique le PiS, mais avant je critiquais la Plateforme Civique (PO) et PSL quand ils étaient pouvoir ».
Il exposait également sa critique de l’action du président : « Je suis obligé de rester fidèle aux valeurs qui sont celles de tout juriste : la fidélité à la Constitution et le respect de la loi. Vos actions ces dernières années ont malheureusement été en contradiction avec ces valeurs. Ce n’est pas mon opinion personnelle, mais celle partagée par la grande majorité des avocats polonais et confirmée par la Cour constitutionnelle polonaise indépendante et la Cour de justice de l’Union européenne. Je ne peux pas laisser une simple poignée de main être perçue comme une ombre d’acceptation de ces actions ».
Suite à la publication de sa lettre, Marcin Matczak entamait une tournée des médias. Dans un entretien avec Karolina Lewicka à la radio TOK FM, le juriste ne cachait pas son indignation à ce sujet. « Si 150 professeurs jugent que le professeur Bilewicz ou le professeur Żelazny doivent obtenir un poste de professeur, et qu’une personne se tient devant eux, le président, et dit “non”, c’est une situation dangereuse pour nous tous ».
Avec ces prises de positions musclées, certains le verraient bien se lancer en politique. « Je ne suis pas un politicien, je ne l’ai jamais été, je n’ai jamais brigué un poste politique et je ne le ferai pas », balaie-t-il dans une vidéo. « Bien sûr, aujourd’hui je critique le PiS, mais avant je critiquais la Plateforme Civique (PO) et PSL quand ils étaient pouvoir. Avec nos confrères avocats, nous avons signé une lettre ouverte contre le démantèlement de fonds de pension privés connus sous le nom de OFE, parce que nous l’avons considéré comme anticonstitutionnel. (…) Quand l’ancien gouvernement a enfreint la Constitution, nous nous y sommes opposés. Quand le gouvernement actuel enfreint la Constitution, nous nous y opposons ». Que ceux qui veulent voir en lui un leader de l’opposition ne se fassent pas trop d’illusions…