En pleine campagne électorale, le président polonais Andrzej Duda s’est illustré par des propos et des actions hostiles aux LGBT. Le PiS est résolu à présenter cette élection comme un « choix entre une Pologne blanche et rouge et une Pologne arc-en-ciel ». Analyse par Daniel Tilles.
Cet article de Daniel Tilles a été publié le 17 juin sur Notes from Poland sous le titre original Poland’s anti-LGBT campaign explained: 10 questions and answers. Traduction : Mathieu Besson.
Pourquoi les questions LGBT font-elles à nouveau la une des journaux en Pologne ?
La semaine dernière, le président polonais Andrzej Duda, qui se présente à la réélection le 28 juin, a intégré les questions LGBT dans sa campagne. Il a publié une « Charte de la famille » qui comprend des engagements pour « interdire la propagation de l’idéologie LGBT dans les institutions publiques » et qui s’oppose au mariage de personnes de même sexe et à l’adoption par celles-ci.
S’en est suivi un discours de campagne condamnant les LGBT comme une forme de « néo-bolchevisme » qui est « introduit clandestinement dans les écoles » pour « sexualiser les enfants » et qui est « encore plus dangereux pour l’homme que l’idéologie communiste ».
Mais cela se produisait déjà, n’est-ce pas ?
Oui et non.
L’année dernière, le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), ainsi qu’une partie de l’Eglise catholique, ont mené une campagne anti-LGBT acharnée. En conséquence, la Pologne a récemment été classée comme le pire pays de l’Union européenne pour les personnes LGBT dans un indice annuel publié par ILGA-Europe, une ONG basée à Bruxelles.
Cependant, bien que Duda soit originaire du PiS et en reste un proche allié, il a évité de commenter cette question jusqu’à présent. En fait, au début de l’année, il a indiqué qu’il serait prêt à inscrire dans la loi le partenariat civil entre personnes de même sexe, une position beaucoup plus modérée que celle du PiS.
Alors pourquoi les problèmes LGBT ressurgissent-ils maintenant ?
Une des raisons principales est la décision de l’opposition de changer de candidat à la présidence le mois dernier.
Leur nouveau choix, Rafał Trzaskowski, a été, en tant que maire de Varsovie, un défenseur des droits des LGBT, notamment en devenant le premier maire de la ville à participer à la parade annuelle pour l’égalité des LGBT. L’année dernière, c’est la décision de Trzaskowski de signer une « Charte LGBT » promettant de soutenir les personnes LGBT à Varsovie qui a incité le PiS à lancer sa campagne anti-LGBT.
Dès que la candidature de Trzaskowski à la présidence a été annoncée en mai, des personnalités du PiS ont commencé à présenter l’élection de cette année comme un « choix entre une Pologne blanche et rouge et une Pologne arc-en-ciel ». La semaine dernière, Duda a ensuite signé sa Charte de la famille – une référence et une réponse directes à la Charte LGBT de Trzaskowski.
C’est donc une décision stratégique de Duda de faire ressurgir les questions LGBT, afin de lui faire gagner des voix contre Trzaskowski ?
Oui, mais il y a aussi un soupçon de panique à propos de cette stratégie.
Après l’entrée en lice de Trzaskowski, ses sondages ont rapidement augmenté alors que ceux de Duda ont diminué. Trzaskowski a transformé un inconvénient théorique – avoir moins d’une semaine pour collecter 100 000 signatures soutenant sa candidature – en un avantage, en lançant une action nationale qui a dynamisé et mobilisé ses partisans, aboutissant à 1,6 million de signatures.
Pendant ce temps, la campagne de Duda semblait stagner. Avant la première élection, abandonnée – lorsque la campagne traditionnelle était impossible en période de confinement – Duda pouvait simplement jouer l’homme d’État en gérant la crise alors que ses rivaux ne pouvaient pas se présenter en public. Mais après le déclenchement d’une nouvelle élection et l’entrée en lice énergique de Trzaskowski, le président ne semblait pas savoir comment réagir.
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Même un rédacteur en chef de la télévision publique, qui fait en réalité campagne pour la réélection de Duda, a écrit que le président semblait « fatigué, se cachant ou ayant honte de quelque chose ». Il a également noté que le camp au pouvoir est divisé en interne, ce qui a rendu plus difficile la coordination et le soutien de la candidature de Duda à la réélection.
De plus, les retombées économiques du coronavirus, le fait que les nouvelles infections ne diminuent pas, et les accusations de corruption, de copinage et d’autres manquements dans la réponse du gouvernement à la pandémie ont ajouté au sentiment de crise qui entoure le camp au pouvoir.
Début juin, Duda et le gouvernement ont cherché à déplacer l’accent de la campagne vers l’investissement dans les infrastructures, en visitant divers chantiers de construction, souvent accompagnés par le Premier ministre. Cependant, comme rien ne laisse présager une amélioration des résultats des sondages, le président mise maintenant sur une rhétorique anti-LGBT pour relancer sa campagne (et peut-être détourner l’attention d’autres questions).
Cela l’aidera-t-il ?
C’est difficile à dire.
PiS a remporté cinq élections consécutives depuis 2015, et est clairement en phase avec ce que veulent les électeurs. L’année dernière, le parti a fait de la rhétorique anti-LGBT un élément important de ses campagnes pour les élections européennes et parlementaires, qui ont toutes deux été couronnées de succès.
Cependant, les élections présidentielles sont différentes, car le vainqueur doit obtenir plus de 50 % des voix (au premier ou au second tour), ce qui signifie qu’il doit s’adresser à un public autre que son électorat de base. Pour cela, il faut normalement trouver un terrain d’entente plus modéré, et jusqu’à présent, Duda a généralement cherché à éviter les termes extrêmes (bien qu’il y ait eu des exceptions).
Le PiS espère peut-être que la rhétorique anti-LGBT pourra augmenter la participation de sa base. Il pourrait également attendre le second tour contre Trzaskowski, où Duda pourra récupérer une grande partie des électeurs qui, au premier tour, ont soutenu le candidat d’extrême droite Krzysztof Bosak (qui a environ 7 % des intentions de vote actuellement).
Mais la rhétorique anti-LGBT n’a-t-elle pas un attrait plus large en Pologne ?
La Pologne est certainement un pays culturellement conservateur. Il n’existe pas de droit au partenariat civil entre personnes du même sexe, encore moins au mariage ou à l’adoption, et relativement peu de personnes demandent activement leur introduction.
Le principal parti d’opposition, la Plate-forme civique (PO), dont Trzaskowski est originaire, n’a rien fait pour faire avancer les droits des LGBT au cours de ses huit années de gouvernement entre 2007 et 2015. Avant les élections parlementaires de l’année dernière, un député du PO a été enregistré disant à un membre du public que le parti ne pouvait pas « agir d’une manière progressiste » sur les droits des LGBT avant les élections parce que les électeurs des « provinces » seraient « repoussés » par cette question.
Lors de cette élection, un seul groupe militant ouvertement en faveur de droits accrus pour les LGBT a été élu au Parlement, La Gauche (Lewica), qui a obtenu 12,5 % des voix. Au-delà de PO et de la gauche, les autres partis vont du centre-droit à l’extrême-droite et ne soutiennent pas – et souvent s’opposent activement – à l’extension des droits des LGBT.
Pourtant, la situation politique peut masquer le fait que la société polonaise est devenue plus réceptive à certains droits des LGBT. Un sondage périodique réalisé par IPSOS a révélé que le soutien aux partenariats civils est passé de 52 % en 2017 à 60 % en 2019. Selon CBOS, une agence de sondage d’État, la proportion de Polonais qui pensent que l’homosexualité ne devrait pas être tolérée a chuté.
Et un tiers de la Pologne a été déclaré « zone sans LGBT », n’est-ce pas ?
En quelque sorte.
Un grand nombre d’autorités locales, pour la plupart contrôlées par le PiS, ont depuis l’année dernière voté pour adopter des résolutions anti-LGBT. Aucune d’entre elles ne comporte spécifiquement l’expression « sans LGBT » (bien que celle-ci figure sur les autocollants distribués par un journal conservateur).
Certaines sont soi-disant des « Chartes des droits de la famille » qui déclarent que le mariage est exclusivement entre un homme et une femme, et demandent que les enfants soient « protégés de la corruption morale » (langage souvent utilisé pour critiquer le mouvement LGBT). D’autres se déclarent explicitement « libres de toute idéologie LGBT ».
Mais le terme « idéologie LGBT » n’est qu’un euphémisme pour désigner les personnes LGBT, n’est-ce pas ?
En effet, oui.
Ceux qui utilisent ce terme affirment qu’ils n’attaquent pas des personnes spécifiques, mais plutôt une idéologie extrémiste qui cherche à renverser les définitions traditionnelles du genre, à saper des institutions comme le mariage et la famille, à corrompre moralement les enfants par des cours d’éducation sexuelle et à faire taire tous ceux qui s’y opposent.
Le président du parti PiS (et leader de facto de la Pologne) Jarosław Kaczyński a averti l’année dernière que la Pologne doit « défendre les enfants et les familles normales » contre les « LGBT importés », qui « menacent notre identité, notre nation, sa pérennité, et donc l’État polonais ».
C’est pourquoi Duda a déclaré la semaine dernière dans un discours sur les LGBT : « ils essaient de nous convaincre que ce sont des personnes, mais c’est simplement une idéologie ». Comme preuve de son affirmation, il a souligné le fait que « certaines personnes qui ont des préférences homosexuelles ne s’identifient pas à ce mouvement ».
Une « marche contre la violence » après les attaques homophobes à Białystok
Mais bien sûr, de nombreuses personnes s’identifient comme LGBT, et les attaques contre « l’idéologie LGBT » – qui reposent souvent sur des affirmations exagérées, déformées ou inventées – ont pour conséquence la marginalisation et la diabolisation de ces personnes.
Ces attaques ont également ravivé la violence physique contre les événements LGBT qui, jusqu’à récemment, avait disparu. Ces deux dernières années, les marches pour l’égalité à Lublin ont été attaquées, notamment par une tentative d’utilisation d’un engin explosif. Le défilé de l’année dernière à Białystok a été marqué par une violence extrême exercée par les manifestants nationalistes à l’encontre des marcheurs, avec la police qui cherchait à protéger ces derniers.
Il convient toutefois de noter que les résolutions adoptées par les autorités locales n’ont eu aucune conséquence juridique pour les LGBT et que, malgré la rhétorique anti-LGBT du PiS, le parti au pouvoir n’a pas introduit de législation dirigée contre les LGBT.
Comment les rivaux de Duda ont-ils réagi ?
La plupart d’entre eux ne l’ont pas fait.
Trzaskowski et son parti Plate-forme civique ont tenu à éviter le problème. Sachant qu’ils ont besoin de gagner quelques voix auprès des conservateurs modérés, ils pensent sans doute qu’exprimer un soutien explicite aux droits des LGBT peut leur nuire, et ont donc cherché à se focaliser sur d’autres sujets.
Lorsque Duda a publié sa « Charte familiale » anti-LGBT, Trzaskowski n’a répondu qu’en publiant une vidéo de sa propre famille. Il a évité de discuter des sujets LGBT pendant la campagne.
Les deux principaux candidats de centre-droit – Władysław Kosiniak-Kamysz et Szymon Hołownia – ont eux aussi pour la plupart esquivé la question, arguant que le PiS l’utilise simplement pour détourner l’attention de questions plus importantes. Selon Hołownia, Duda a créé un « adversaire imaginaire » dans une tentative désespérée de relancer sa campagne.
Hołownia, un catholique pratiquant qui a un jour envisagé de devenir moine, a cependant clairement rejeté la rhétorique de Duda, en affirmant : « l’idéologie LGBT n’existe pas, il y a des personnes [LGBT] ». Il a averti que les « absurdités homophobes » encouragées par le président pourrait conduire certaines personnes au suicide.
Entre-temps, le candidat d’extrême droite, Krzystof Bosak, a accusé Duda de s’approprier la position de son groupe sur les LGBT et souligne que le président n’a rien fait pendant son mandat pour « réprimer l’offensive LGBT en cours en Pologne ».
Le candidat qui s’est le plus prononcé contre Duda sur cette question est Robert Biedroń de La Gauche, qui est lui-même homosexuel et militant de longue date des droits des LGBT. Biedroń a qualifié la « Charte de la famille » de Duda de « document radical… introduisant des normes rappelant les périodes les plus brutales de l’histoire polonaise et européenne ».
Il a également condamné tous les gouvernements polonais de l’après-1989 pour n’avoir pas « eu le courage de réglementer l’homophobie » (les lois polonaises sur les crimes de haine ne couvrent pas l’orientation ou l’identité sexuelle). Biedroń affirme que la position des « personnes LGBT est un test décisif pour l’état de la démocratie polonaise ».
Que va-t-il se passer ensuite ?
Il y a déjà des indications que le PiS et Duda craignent d’être allés trop loin dans l’escalade de leur rhétorique anti-LGBT.
Le président a invité Biedroń et sa mère, qui cette semaine a critiqué les déclarations de Duda, à une réunion. Ils ont répondu en disant qu’ils ne participeraient que si le président s’excusait d’abord pour ses récentes déclarations.
Un rapport publié aujourd’hui dans un journal polonais affirme que l’administration américaine est intervenue en privé pour dire à Duda que ses récentes remarques anti-LGBT sont inacceptables. L’ambassadeur des États-Unis à Varsovie nie cependant cette histoire.
Pourtant, la télévision publique, qui est utilisée par le PiS pour diffuser son récit, a continué à faire des reportages négatifs sur « l’idéologie LGBT » et à y associer Trzaskowski. Les élections se déroulant à la fin de la semaine prochaine (suivies d’un éventuel second tour deux semaines plus tard), il est probable que les questions LGBT restent au centre de la campagne.
La poursuite de ce débat après les élections peut dépendre du résultat – et, ironiquement, une victoire de Trzaskowski peut augmenter les chances qu’il se poursuive. Si Duda gagne, alors le PiS, sans perspective d’élections pendant trois ans, peut abandonner la question LGBT après qu’elle ait servi son objectif électoral.
Mais si Trzaskowski gagne, ils pourraient continuer à l’utiliser pour l’attaquer et chercher à saper sa présidence. Il pourrait s’agir, par exemple, d’adopter une législation anti-LGBT au Parlement et de forcer ainsi le nouveau président à y opposer son veto ou à l’accepter.