A la fin de l’année 1919 et au début de l’année 1920, les trois États baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – parviennent à repousser, après plusieurs mois de lutte, les différentes forces qui occupaient partiellement leur territoire.
Entretien avec Julien Gueslin, docteur en histoire, spécialiste de l’histoire des pays baltes et en particulier des premières indépendances (1918-1940). Il est actuellement responsable du département du Musée de « La Contemporaine » (Paris-Nanterre). Propos recueillis par Matthieu Boisdron.
Le Courrier d’Europe centrale. Pendant la Grande Guerre, le territoire qu’occupent actuellement les trois États baltes indépendants constitue une zone très disputée du front Est. Pouvez-vous revenir sur les épisodes essentiels du premier conflit mondiale dans cette région ?
Julien Gueslin. La Baltique est effectivement, au nord du front russe, un théâtre de guerre important pendant la Première Guerre mondiale. Il n’est pas facile d’expliquer ces événements avec clarté tant l’enchevêtrement des faits rend complexe leur lecture. Il faut d’abord dire que le premier conflit mondial est fondamental dans les trois récits nationaux des pays considérés que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Il faut aussi préciser que ces récits ont très vite été bousculés par l’évolution ultérieure de la région, et notamment par une relecture idéologique qui intervient dès les années d’indépendance et qui s’accentue après la Seconde Guerre mondiale. À l’écriture d’une histoire nationale est venue se greffer naturellement une lecture soviétique de cette histoire.
Le conflit, bien évidemment, démarre en août 1914 comme pour les autres États européens. Si on essaie de résumer les grandes phases et leur importance dans l’évolution historique de la région, on peut dire qu’après une première avancée russe stoppée lors de la bataille de Tannenberg, ce qui caractérise le front balte, ça va être en 1915 l’avancée allemande et la conquête de la Lituanie et du sud de la Lettonie, donc de la Courlande. Le front se stabilise au milieu de l’année 1915, devant Riga, le long du fleuve Daugava.
Cette étape est évidemment fondamentale, notamment pour la Lituanie, qui est de facto coupée de l’Empire russe. En 1917/18, après que Berlin a commencé à douter de sa politique polonaise et, en réponse à la politique alliée, l’idée d’un État lituanien soumis à l’Empire allemand se fait jour. Tout en résistant le plus possible à la mainmise allemande, le mouvement national lituanien tente cependant d’utiliser au maximum les opportunités d’émancipation qui lui sont offertes. Cela aura donc une certaine influence sur le regard, notamment occidental, qui sera ensuite porté sur le mouvement national lituanien.
Sur les territoires estonien et letton, les sociétés sont caractérisées par une opposition entre les populations et l’aristocratie germano-balte.
C’est également fondamental pour l’identité nationale lettone car face à la débâcle des troupes russes en 1915, l’Empire russe va accepter la formation d’unités nationales lettones – les fameux tirailleurs lettons – qui vont se couvrir de gloire sur le front et contribuer ainsi à stopper la progression allemande et éviter la prise de Riga. Ces soldats lettons regroupés montant au front constituent la première manifestation de l’idée national lettone. A l’époque, si on ne parle pas du tout, bien évidemment, d’indépendance, ni même d’autonomie, ces soldats vont arborer les couleurs lettones, ils sont suivis par des peintres en mission qui dessinent des emblèmes, ils composent des chansons. C’est donc un premier motif de fierté et d’affirmation nationales d’une communauté prête à défendre sa terre face aux envahisseurs allemands.
Il faut également préciser qu’à la veille de la guerre, les provinces baltiques n’appartiennent à l’Empire russe que depuis le XVIIIe siècle seulement. Sur les territoires estonien et letton principalement, les sociétés sont caractérisées par une opposition entre les populations et la noblesse – l’aristocratie germano-balte – qui contrôlait l’ensemble des propriétés foncières et la majorité des structures industrielles et commerciales. En dehors de l’administration tsariste, la vie politique régionale (hormis à la fin de la période dans quelques villes) est encore contrôlée par la noblesse locale qui a un droit de regard sur beaucoup d’aspects de la vie sociale (justice, écoles, églises…). Pour autant, les populations locales ont commencé à bénéficier d’un début d’émancipation. Les serfs ont été progressivement affranchis dans la première moitié du XIXe siècle (en Estonie et en Lettonie) et un mouvement de rachat des terres s’est développé qui débouche sur l’émergence d’une classe de petits propriétaires. L’identité nationale se construit donc dans cette lutte contre les élites germano-baltes (ou polonaises en Lituanie). Les Estoniens et les Lettons voient ainsi dans le retour des Allemands une véritable menace pour leur survie.
Cette situation explique d’une certaine manière pourquoi il y a un tel retard dans les déclarations d’indépendance estonienne et lettone qui sont caractéristiques de la sortie de guerre dans cette région. En 1914, il n’y a pas de prétentions à l’indépendance, ni même à l’autonomie politique. Les revendications de cet ordre sont davantage d’ordre culturel et économique. On attend en effet une certaine libéralisation de l’Empire russe et on met, à cet égard, certains espoirs dans la révolution russe.
Dans quelles conditions s’établit l’indépendance des trois pays baltes ?
L’occupation allemande sépare en deux la région avec, d’un côté, la Lituanie et la Courlande (sud de la Lettonie) sous orbite allemande et, de l’autre, la Livonie, la Latgale et l’Estonie. Après la révolution de février 1917 à Moscou, cette dernière, qui se trouve davantage à l’écart, peut la première aspirer à l’autonomie et commence à s’organiser en conséquence. Entre les deux, la Lettonie est éclatée, soumise au nord à l’occupation russe et au sud à l’occupation allemande. La révolution d’octobre vient chambouler cet équilibre précaire. En Lettonie, en raison du contexte socio-économique évoqué plus haut, de la guerre, de la présence forte du parti social-démocrate, la population est très sensible à la propagande bolchevique. Cette réalité est particulièrement prégnante chez les tirailleurs lettons. Cela ralentit encore le processus d’indépendance.
Face aux atermoiements du nouveau pouvoir russe qui engage des négociations de paix avec l’Allemagne, les jeunes élites baltes s’orientent progressivement vers les indépendances qui seules peuvent permettre d’échapper à la guerre civile russe ou de retomber sous la coupe de l’Allemagne. L’invasion de l’ensemble de la région baltique par l’Allemagne de février à mars 1918 finit de convaincre les dirigeants baltes de miser sur les principes énoncés par les alliés relatifs aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Entre le retrait des troupes russes et l’arrivée des Allemands, les trois pays baltes proclament leurs indépendances en février 1918. Il y a pourtant entre elles des différences sensibles. Si le rôle joué par l’assemblée nationale estonienne (reconnue de facto comme une entité indépendante) est admis par les alliés, il n’en va pas de même pour la Lettonie, profondément divisée entre « nationalistes » et « bolcheviques ». Les Lituaniens restent fortement dépendants de l’Allemagne et doivent lutter fortement en Occident pour convaincre de la justesse de leurs prétentions et contre la reconstitution d’une grande Pologne les englobant.
L’écroulement de l’Empire allemand en novembre 1918 ouvre la perspective de l’indépendance effective des États baltes. Les alliés sympathisent avec les aspirations démocratiques des pays baltes et avec leur volonté de rejoindre « l’Europe nouvelle » regroupée au sein de la jeune SDN. Ils voudraient soutenir le plus possible leur lutte contre les forces bolcheviques cherchant à prendre pied sur les rives de la Baltique et aspireraient à ce que ces pays deviennent des bastions à l’Est contre l’influence allemande. D’un autre côté, ils restent sceptiques face à la capacité de ces trois petits États à devenir indépendants et à résister au retour de la Russie : les Français en particulier sont sensibles à l’idée de reconstituer une Russie forte, certes démocratisée et décentralisée, mais qui pourrait toujours tenir son rôle de contrepoids contre le retour éventuel de l’impérialisme allemand. Malgré l’urgence de la situation, les alliés préfèrent un attentisme prudent du fait de l’incertitude régnant dans l’espace russe et tardent en conséquence à les reconnaître formellement.
Les guerres d’indépendance conduisent néanmoins à l’échec des forces soviétiques à reconquérir l’espace baltique. L’Estonie parvient, dès la fin de 1918 et l’évacuation des troupes allemandes, à s’armer, à résister grâce à l’aide britannique, et finalement à imposer son indépendance au printemps 1919. Cette dernière est reconnue formellement en janvier 1921 après la signature d’un traité de paix avec Moscou en février 1920.
C’est plus complexe pour la Lettonie qui doit faire face tout au long des années 1919-1920 au problème constitué par les troupes allemandes stationnées sur son territoire que rejoignent bientôt des « corps francs » composés de volontaires allemands qui veulent à la fois lutter contre les bolcheviques et maintenir l’influence allemande sur place tout en espérant former un noyau réactionnaire pouvant déstabiliser la république de Weimar. C’est seulement à la fin de l’année 1919, avec le soutien de la flotte alliée, que le gouvernement letton parvient à vaincre les corps francs et obtient l’évacuation des troupes germano-russes. Après avoir libéré ses territoires les plus orientaux de la présence polonaise au début de l’année 1920 (Latgale), la Lettonie signe en juillet un traité de paix avec la Russie et obtient la reconnaissance de son indépendance en janvier 1921.
Le conflit polono-lituanien est le point de départ d’un des conflits qui va empoisonner la vie de la Société des Nations et des puissances alliées et perturber tous les efforts visant à stabiliser la région.
La Lituanie rencontre pour sa part un autre problème qui la différencie des deux autres pays baltes. Pays catholique, aux mains non pas d’une aristocratie germano-balte mais d’une aristocratie polonisée, la Lituanie doit lutter contre les ambitions polonaises. La Pologne en effet revendique une part importante du territoire lituanien et, à défaut, a le projet de satelliser à son profit la Lituanie avec, comme puissante référence historique, la République des deux nations polono-lituanienne qui a connu son apogée dès le XVIe siècle avec l’Union de Lublin. La difficulté pour la Lituanie, c’est que la Pologne est un acteur particulièrement considéré par les alliés, et en particulier par la France. Elle n’a donc que peu de recours face à la Pologne lorsque celle-ci avance en 1919 puis se décide à la fin du conflit polono-russe à réoccuper, à l’automne 1920, la capitale revendiquée par les Lituaniens, Vilnius. La Lituanie n’est donc reconnue qu’en décembre 1922 par les puissances alliées mais amputée de sa capitale Vilnius. Refusant de reconnaître la situation, elle ferme ses frontière avec la Pologne et renonce à toute relation officielle avec celle-ci. C’est le point de départ d’un des conflits diplomatiques les plus célèbres de l’entre-deux-guerres qui va empoisonner la vie de la Société des Nations et des puissances alliées et perturber tous les efforts visant à stabiliser la région.
Quel rôle les grandes puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale – France et Royaume-Uni – jouent-elles à cette occasion ?
Les dirigeants des nations occidentales se retrouvent sans conteste dans une certaine communion intellectuelle avec ces élites baltes démocrates et progressistes. Ses membres ont été formés bien souvent dans les systèmes éducatifs, et notamment universitaires, des puissances alliées et tendent donc en quelque sorte un miroir aux idéologies propagées par les démocraties occidentales. Ces dernières perçoivent par cet intermédiaire la force de leur rayonnement jusque dans l’Est de l’Europe et en sont flattées. Dans le même temps, les puissances alliées sont guidées par une forme de realpolitik qui les oblige à réfléchir en termes d’équilibres géopolitiques entre nations et à la nécessité pour elles de contrebalancer la puissance allemande à l’Est, soit par une Pologne très forte, soit par une entité russe qu’il est nécessaire de voir renaître sous une forme ou sous une autre.
Dans ce contexte, les pays baltes ont cherché à proposer une solution alternative. Ils développent l’idée d’une entente baltique, de la Pologne à la Finlande, entre l’espace germanique et l’espace russe. Cette entente pourrait prendre la forme d’une alliance, militaire ou à tout le moins géopolitique, serait susceptible de donner aux alliés un atout sécuritaire et aux puissances baltes elles-mêmes un argument en faveur de leur indépendance. Si la coopération diplomatique et les échanges au sein des sociétés baltes auront un effet très positif sur la consolidation des jeunes nations, l’Entente baltique se révélera vite une utopie, les dirigeants des trois États s’avérant incapables de définir des orientations communes, avec en premier lieu une Lituanie obsédée par le danger polonais alors que ses deux voisins, tout en se méfiant des ambitions polonaises, ont besoin de nouer des relations politiques avec Varsovie pour contrecarrer les influences allemande ou soviétique.
Il y a un autre aspect à ne pas perdre de vue. Au niveau des échanges économiques, les structures des États baltes sont indéniablement tournées vers l’Allemagne et vers le Royaume-Uni. Les intérêts commerciaux de Londres en mer Baltique sont donc importants. Il faut en effet avoir à l’esprit qu’en 1914, un quart à un tiers du commerce extérieur russe passe par les ports baltes. Riga est une des premières agglomérations de l’Empire russe à cette date. La zone est donc éminemment stratégique pour la puissance navale et commerciale qu’est le Royaume-Uni. Il y a certes une volonté britannique de contrebalancer la concurrence allemande mais aussi une certaine ambiguïté dans le rapport avec la France. L’hégémonie potentielle que Paris serait susceptible d’exercer sur le continent, et notamment à l’Est de l’Europe, au lendemain de la Première Guerre mondiale, n’est pas sans inquiéter Londres. Cela suscite une espèce de mythologie en France, dans la presse et dans certains milieux anglophobes, où l’on soupçonne le Royaume-Uni de chercher à installer des « Gibraltar de l’Est » à travers le soutien apporté à des États clients relativement faibles qui sont autant de points d’accès pour les Britanniques sur le continent. S’il y a beaucoup d’exagération, cela correspond néanmoins à une certaine politique navale et commerciale britannique bien comprise même s’il y a en fait une réticence de Londres à s’engager militairement et un désir de conserver de manière pragmatique une certaine liberté d’action.
Quels sont les défis politiques, économiques et sociaux qu’ont à relever au début des années 1920 ces trois pays désormais indépendants ?
La couche émergente de petits propriétaires et de la petite bourgeoisie a d’abord le souci de conquérir la terre face à quelques centaines de grands propriétaires, allemands au nord, polonais au sud, qui la détiennent à hauteur de 50 à 60 %. Dans ces territoires de latifundia, il y a une forte aspiration des couches paysannes à la propriété et donc à ce qu’aboutisse la réforme agraire pour le partage des terres. Cela est fondamental pour comprendre le mouvement national balte, qui s’associe à un mouvement plus culturel qui demande une éducation dans la langue, l’accès à la justice dans la langue, l’affirmation d’Églises véritablement nationales, la capacité à gérer le développement des territoires locaux et régionaux en toute indépendance.
Les constitutions et les législations qui sont adoptées entre 1920 et 1922 comptent parmi les plus avancées d’Europe : vote des femmes, recours au référendum, lois sociales ambitieuses…
Finalement, ces pays sont marqués par une très forte aspiration démocratique. Il n’y a ainsi pas fondamentalement de « droite » ou de « conservatisme » en 1918 dans ces territoires. La lutte contre l’autocratie russe ou l’autoritarisme allemand sature le spectre politique et explique le triomphe de cet esprit démocratique. La question qui se pose est de savoir où fixer le curseur. En 1917-18, l’expérience bolchevique est regardée par certains acteurs avec une grande bienveillance. La compréhension de la violence de cette idéologie amène toutefois une grande et rapide déconvenue ; par exemple lorsque l’on s’aperçoit que la terre n’est pas redistribuée mais bien spoliée au profit de l’État et collectivisée. Les régimes qui s’installent dans les pays baltes prennent donc la forme de républiques démocratiques assez proches de notre IIIe République mais avec un esprit libéral assez évolué, inspiré partiellement des expériences scandinaves ou, s’agissant des villes, de la social-démocratie autrichienne ou allemande. Les constitutions et les législations qui sont adoptées entre 1920 et 1922 comptent parmi les plus avancées d’Europe : vote des femmes, recours au référendum, lois sociales ambitieuses… Pour beaucoup de contemporains, les démocraties baltes apparaissent comme des exemples, notamment pour les observateurs issus des milieux radicaux et sociaux-démocrates. Elles incarnent le triomphe de l’idée française des républiques de petits paysans, de petits propriétaires avec la valorisation de l’école et de l’instruction publique et obligatoire.
L’évolution, après les années 1920, va toutefois aboutir à une forme de réévaluation de ce fonctionnement démocratique qui débouchera sur un revirement et sur l’instauration de régimes plus autoritaires à partir des années 1930. Néanmoins, les indépendances restent indissociablement liées à cette première expérience dans des conditions économiques et sociales pourtant très difficiles dans des territoires extrêmement bouleversés par le conflit.
Dans les pays baltes aujourd’hui, à l’heure de la construction européenne et de l’émergence de craintes nouvelles du côté de la Russie, quelle mémoire occupent ces événements ?
Cette expérience historique des premières indépendance a été gardée en mémoire mais valorisée, on le comprend bien, de manière très partielle après la Seconde Guerre mondiale. Dans les milieux émigrés, le souvenir des indépendances était sanctifié mais souvent dans un récit simplifiant ou omettant les grandes contradictions sociales ou politiques existant alors, ou le simple fait qu’elles avaient moins été la consécration évidente de mouvements nationaux légitimes que le point de départ d’un processus de démocratisation et d’un travail de reconnaissance par les sociétés occidentales des réalités nationales baltes peu connues en 1918. A l’inverse le pouvoir soviétique ne retenait que la dimension de lutte contre l’Allemagne et le rôle de forces proches des bolcheviques pour passer sous silence ou dénier toute légitimité aux républiques bourgeoises qui n’auraient été que des réalités artificielles, fruit de la politique antisoviétique et de l’impérialisme occidental.
Il y a eu, au début des années 1990, un important travail de remémoration, de revalorisation et de reconstruction d’une mémoire nationale afin de rappeler que les pays baltes avaient de longue date fait le choix de l’Europe.
Il y a donc eu, après la seconde indépendance, au début des années 1990, un important travail de remémoration, de revalorisation et de reconstruction d’une mémoire nationale afin de rappeler que les pays baltes avaient de longue date fait le choix de l’Europe ; c’est-à-dire celui des modèles démocratiques occidentaux ou de la jeune institution internationale qu’était la Société des Nations au sein de laquelle les États baltes ont été des acteurs modestes mais dynamiques. On rappellera aussi que les législations baltes de l’entre-deux-guerres ont emprunté aux meilleures législations des démocraties européennes du moment et engagé à cette fin des missions d’étude partout en Europe. On redécouvrira, après la chute de l’Union soviétique, toute la valeur de cette législation comme outil d’affirmation nationale.
Tout cela est une manière pour les États baltes de s’inscrire dans une réalité européenne et, je pense, de sortir de ce problème que constitue la Seconde Guerre mondiale et de contrecarrer une certaine vision occidentale ne voyant trop l’histoire balte que sous le seul prisme de la lutte contre l’Union soviétique depuis 1940. Il y a en effet la volonté des Baltes de montrer qu’ils s’inscrivent dans le temps long européen et que leur histoire ne commence pas en 1939 ou en 1945. Leur histoire commence en 1918 avec cette Europe nouvelle née des traités de paix, avec la participation active de nombre d’entre eux au mouvement paneuropéen de Richard Coudenhove-Kalergi et au projet de fédération européenne d’Aristide Briand. Le souci est bien de démontrer que les États baltes ne sont pas simplement les successeurs de l’Union soviétique mais qu’ils lui ont préexisté, qu’il ne se sont pas attachés par opportunisme à l’Europe, qu’ils sont bien les héritiers d’un grand passé européen, qu’ils partagent les valeurs et les objectifs du projet européen et qu’ils ont d’ailleurs contribué à les établir.
Propos recueillis par Matthieu Boisdron