En Pologne, des internes en médecine sont allés jusqu’à observer une grève de la faim de plusieurs semaines pour dénoncer la très forte dégradation du système de soins. Si leurs revendications ont été en partie satisfaites, ils continuent de se battre pour une réforme en profondeur de l’accès à la santé publique.
Cet article est en grande partie construit à partir de l’article publié le 9 novembre 2017 dans Mérce sous le titre « „A kórházakban zombik mentik az életeket” – az éhségsztrájktól sem riadtak vissza a lengyel rezidensek ». |
Cela faisait deux ans que les internes polonais pressaient le gouvernement de s’emparer des dysfonctionnements du système de santé polonais, d’améliorer les conditions de travail des professionnels de santé et de prendre mieux en compte les intérêts des patients. En vain. En septembre dernier, après une énième réunion jugée insatisfaisante avec le ministre de la Santé, les internes ont décidé d’entamer une grève de la faim afin d’interpeller l’opinion publique sur la gravité de la situation.
Une vingtaine d’internes a lancé le mouvement le 2 octobre dans le hall de l’un des hôpitaux pour enfants de Varsovie. Ils ont rapidement reçu le soutien du plus important syndicat de professionnels de santé, ainsi que celui de nombre de leurs collègues à travers tout le pays.
L’objectif affiché par les grévistes : une réforme complète du système de santé pour valoriser les professionnels du secteur et garantir aux patients l’accès à des soins de qualité. Les internes veulent porter le budget de la santé de 4,5% du PIB aujourd’hui (en queue du classement européen) à 6,8% sur trois ans.
« Les zombies sauvent des vies dans les hôpitaux »
Autre chantier conséquent : endiguer la pénurie de médecins, qui impose aux patients de longs délais d’attente et reporte l’exigence de soin sur les internes, déjà malmenés par la multiplication d’heures supplémentaires non-réglementées. Alors que ces derniers ont effectué une formation médicale de six ans et n’ont pas achevé leur période de spécialisation, ils se retrouvent confrontés aux mêmes responsabilités que les médecins aguerris. Cela pour un salaire de misère, équivalent à celui d’un employé d’entrepôt ou d’un caissier. « Les zombies sauvent des vies dans les hôpitaux », pouvait-on par exemple lire sur la banderole d’une manifestation à Wrocław pour expliciter l’état de fatigue avancé dans lequel de nombreux internes exercent leur métier au quotidien.
La pénurie de médecins est principalement liée à un redoutable effet de ciseaux : l’émigration massive des jeunes diplômés polonais ne permet pas le renouvellement des nombreux départs à la retraite dans la profession médicale. Or la situation ne devrait pas s’arranger dans les prochaines années, dans la mesure où l’âge moyen des infirmiers et des médecins est d’environ 50 ans. Bien que formés en Pologne, c’est souvent en Allemagne, en Suède et au Royaume-Uni que les jeunes soignants se rendent pour exercer leur métier dans de meilleures conditions.
Signe de l’inquiétude du gouvernement face à la grève de la faim des internes, c’est la Première ministre Beata Szydło qui a décidé de s’emparer du dossier. Si ses promesses de porter les dépenses de santé à 6% semblent répondre partiellement aux revendications du mouvement, le délai annoncé de huit ans pour y parvenir, a quant à lui jeté de l’huile sur le feu. La preuve en est l’élargissement de la grève de la faim à de plus en plus d’hôpitaux à travers tout le pays.
« Qu’ils s’en aillent ! »
Le parti Droit et justice (PiS) a clairement choisi la voie du mépris pour tenter d’étouffer une mobilisation qui gagnait en popularité au sein de la population. La députée PiS Józefa Hrynkiewicz a par exemple balayé d’un revers de la main le problème d’émigration massive des jeunes diplômés de la santé par un « qu’ils s’en aillent ! » exclamé crânement lors d’un débat parlementaire.
« Les responsables politiques mettent en place un système qui fonctionne mal et ce sont pourtant nous, les médecins, qui sommes responsables de la vie de nos patients », a expliqué K. Ostaszewski, membre de la Fédération des internes au site d’information Wyborcza.pl. Si les professionnels de santé déplorent se retrouver en première ligne pour faire face à la frustration des patients contre les décisions du gouvernement, ils témoignent également de la sympathie que leur mobilisation suscite chez les Polonais.
« Le fait que nous ne nous battons pas seulement pour nous-mêmes, est reconnu par la réaction des patients », a ainsi raconté Magdalena Stańczyk, interne gréviste de Gdańsk à Gazeta Wyborcza. « Ils viennent nous voir et nous disent qu’ils aimeraient faire la grève avec nous, parce qu’ils en ont assez. Je ne suis pas surprise. Je ne peux pas compter le nombre de fois où les patients m’ont reproché de devoir attendre longtemps avant de pouvoir accéder à un spécialiste. J’aurais honte de dire que les choses vont plus vite dans le privé, parce que je sais que ces gens ne peuvent pas se le permettre », a-t-elle également déclaré.
Le jeûne de protestation a pourtant tourné court le 30 octobre, en raison de problèmes de santé rencontrés par les grévistes de la faim. Entre le début et la fin de la mobilisation, ce sont pas moins de 200 internes issus de huit villes de Pologne qui avaient ainsi cessé de s’alimenter. Le ministre de la Santé a bien entendu salué il y a une semaine la fin de la fronde, estimant que les demandes des internes avaient été en partie satisfaites. Si leurs salaires ont bien été revalorisés, ces derniers ont d’ores-et-déjà annoncé ne pas renoncer à leur combat en faveur d’un système de santé publique de qualité.