Simon Shandor, directeur de la société de production et de distribution cinématographique Clavis Films, a tenu à rendre hommage au grand cinéaste hongrois Károly Makk, décédé le 30 août dernier.
Invité d’honneur au Festival de Cannes avec son film Amour dans le cadre de la sélection Cannes Classics en 2016, Károly Makk parcourait les couloirs et les escaliers du festival en racontant à qui veut, les anecdotes de sa vie et les avancées de ses nouveaux projets. À 89 ans, il semblait avoir le secret de la jeunesse, une envie de vivre et de travailler inépuisable.
Ma société, Clavis Films, se préparait à l’accueillir à Paris à la fin de cette année 2017 pour un évènement organisé autour de ses films, quand la triste nouvelle est tombée. Károly Makk ne peut plus venir nous raconter les incroyables anecdotes tirées d’une vie riche en rebondissements. Réalisateur d’innombrables chefs-d’œuvre comme Amour (Szerelem, 1971) ou Un autre regard (Egymásra nézve, 1982), il faisait partie de la génération de Miklós Jancsó, de Zoltán Fábri, d’István Szabó. Autant de cinéastes qui m’ont donné envie de rendre hommage au cinéma des pays de l’Est et de les défendre sans relâche en éditant leurs films en DVD, en les sortant dans les salles de cinéma, ou sur les écrans de télévision en France.
En effet, le destin de Clavis Films est étroitement lié au cinéma venu d’Europe centrale et orientale. Le premier film produit par la société en 1960, l’Enclos d’Armand Gatti, a été tourné en Slovénie, près de Ljubljana avec une coproduction yougoslave. Le film, sélectionné au Festival de Cannes, a reçu un accueil enthousiaste. « L’Enclos témoignage au même titre que Nuit et Brouillard, le film d’Alain Resnais, avec une puissance irrésistible » écrivait Jean Cocteau, qui lui a remis le Prix de la Critique, dans Les Lettres françaises.
Quand j’ai repris Clavis Films, une société un peu abandonnée, quelques années plus tard, il lui fallait redorer son prestige. Quoi de mieux à cet effet que de s’entourer des grands réalisateurs qui, d’année en année, se sont vu remettre des prix prestigieux à Cannes et par l’Académie des Oscars ? Avec l’aide de mon collègue et ami, György Ráduly, nous avons pu constituer un catalogue de plus de 70 films vendus en DVD en France. Son amour pour le cinéma et son histoire, son sens de l’engagement et du contact l’ont propulsé au rang des meilleurs experts européens des films de patrimoine. C’est tout naturellement qu’il a été appelé au poste de Directeur des Archives Nationales du Cinéma Hongrois (Magyar Nemzeti Filmarchivum).
Dans le catalogue prestigieux des grands réalisateurs qui ont foulé le tapis rouge de Cannes, Károly Makk a une place remarquée. Ainsi que l’a écrit Gérald Duchaussoy, assistant de Thierry Frémaux à Cannes Classics et chargé de mission au Marché du Film Classique à Lyon : « Nous aimerions rendre hommage à Károly Makk (…) Je trouve [Un autre regard] visuellement très abouti, politiquement fort et déchirant en ce qui concerne l’histoire d’amour. Encore un prix à Cannes ! (…) Nous considérons [Amour] comme un chef-d’œuvre. »
Interloqué par la longue liste des films de réalisateurs hongrois primés à Cannes, on s’interroge sur le secret de leur talent. Comment est-il possible que ces réalisateurs aient été capables de créer de tels films sous la pression permanente du système communiste ? Le rideau de fer a bouché l’horizon, mais permettait en même temps de développer un langage propre, indépendant, au sens propre, du dumping Hollywoodien.
Grâce à des professionnels sensibles, tels que Gilles Jacob, créateur du festival de Cannes, mais surtout amoureux de cinéma, qui a suivi inlassablement le travail de ces cinéastes, ils ont pu présenter leurs films régulièrement devant un public du monde entier puis devant les écrans des cinémas français. Les chiffres sont souvent spectaculaires. Amour, par exemple, a fait plus 900 entrées au cinéma Reflet Médicis à Paris seulement, après sa ressortie en salles en 2016 par Clavis Films. Ce qui, pour un film « art et essai » et patrimoine, est significatif.
Le cinéma de ces réalisateurs témoigne avec un message fort pour la génération à venir : rien ni personne ne peut t’empêcher de créer si tu as quelque chose de fort à exprimer.
Károly Makk comme ses camarades réalisateurs de l’époque avait quelque chose d’essentiel à dire. Et je suis fier de pouvoir perpétrer, sauvegarder ce message.
Merci Károly Makk et merci à mes collègues qui ont rendu possible ce témoignage.