La question des travailleurs détachés oppose traditionnellement nouveaux et anciens membres de l’Union européenne. Pourtant, c’est toute l’Europe qui aurait à gagner à ce que les pays entrés à partir de 2004 puissent sortir du piège des bas salaires.
Tribune publiée le 23 janvier 2017 dans Pole sous le titre « Vysielanie zamestnancov: rovnaká pláca za tú istú prácu na tom istom mieste » puis le 17 mars 2017 en anglais dans Political Critique sous le titre « Posting Abroad: Same Pay, Same Work, Same Place ». Hulala est membre du réseau Political Critique. |
De plus en plus d’entreprises slovaques continuent de se positionner sur les marchés européens, procurant des commissions, signant des contrats, et envoyant leurs employés à l’étranger pour travailler. En 2014, plus de deux millions d’employés au sein de l’Union européenne ont été affectés à l’étranger (0,7% de la capacité totale de main-d’œuvre de l’Union). Ce nombre est en augmentation constante et le phénomène est particulièrement visible en Slovaquie, où plus de 80 000 citoyens travaillent à l’extérieur du pays, tandis que les employés d’autres pays détachés en Slovaquie sont eux moins de 8 000.
De manière évidente, la Slovaquie est un pays qui envoie beaucoup plus de travailleurs qu’il n’en reçoit. Les travailleurs détachés sont employés dans le bâtiment, les services et l’industrie […]. Les destinations les plus courantes pour ce qui concerne les entreprises slovaques sont la République tchèque, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Belgique et la France. De l’autre côté, la Slovaquie reçoit surtout des travailleurs de Roumanie, de République tchèque, de Hongrie et d’Allemagne.
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Stop au dumping social
Un employé détaché d’un pays du Groupe de Visegrád (V4) dans un État membre de l’ouest de l’Union européenne gagne actuellement plus que le salaire qu’il aurait dans son pays en raison des salaires minimums plus élevés en Europe de l’Ouest et du Nord (que son employeur est obligé de lui verser). (…) [Mais] c’est encore inférieur au montant qu’un employé « normal » du pays hôte recevrait pour le même travail.
La Commission européenne propose d’apporter des modifications pour obliger les employeurs à verser le même salaire à un employé étranger et à un « régulier ». En bref, le même salaire pour le même travail. Toutefois, ce projet de loi a été introduit avant la transposition de la directive 2014 concernant l’application de la directive 96/71/ES – qui concerne spécifiquement le détachement de travailleurs à l’étranger – et donc introduit avant que toute révision puisse être effectuée.
Onze parlements des États membres de l’UE ont envoyé à la Commission leurs réponses, considérant que la proposition d’examen de la directive concernant les travailleurs détachés à l’étranger était contraire aux principes de subsidiarité et ont sorti le carton jaune. Mais aujourd’hui, la Slovaquie, sous la pression des syndicats et de nombreuses autres institutions, envisage de modifier sa position.
Les nouveaux États membres qui ont présenté le carton jaune l’ont fait en raison des préoccupations concernant la libre circulation des services, éliminant les pays favorisés avec des salaires plus bas sur le marché du travail. La Slovaquie, comme le reste du V4, a fondée sa stratégie de marché depuis des années sur ses salaires inférieurs. Aujourd’hui, il est cependant presque impossible pour un pays européen de rester compétitif, en raison de la concurrence des pays asiatiques utilisant la même stratégie, particulièrement le géant économique chinois. Si la Slovaquie s’entêtait dans cette direction, cela n’entraînerait que la précarisation du travail des employés et des citoyens.
Quelle part des salaires dans la valeur ajoutée ?
Dans les pays développés comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) [1]La part des salaires dans la valeur ajoutée, ou part salariale, est un indicateur de la richesse qui revient aux salariés et reflète le rapport de force entre le capital et le travail. représente actuellement de 52% à 55% et les revenus des entreprises représentent environ 39%. Ces chiffres sont inversés en Slovaquie : la part des salaires a chuté depuis 1997 de 43% à 37,5% tandis que les revenus des entreprises est passé de 48% à 54% du PIB. La rentabilité des entreprises slovaques augmente donc beaucoup plus rapidement que les salaires qu’elles versent.
Tous les pays du V4 se trouvent à l’heure actuelle pris au piège du prétendu « revenu moyen ». La combinaison de l’augmentation progressive de la productivité et du modèle de main-d’œuvre bon marché continue tirer le niveau de vie des citoyens vers le bas, tout comme leur santé physique et mentale.
L’affrontement entre la rhétorique de la protection de nos entreprises et de notre économie (par un travail à faible coût) et la rhétorique de la protection internationale des travailleurs contre le dumping social est en fait un conflit qui oppose la nation à la classe. Quand les représentants des pays qui sont entrés dans l’UE à partir de 2004 se rendront-ils compte qu’il est absolument nécessaire de changer notre modèle de développement économique ?
Photographie d’illustration issue de istockphoto.com (creative commons).
Notes
↑1 | La part des salaires dans la valeur ajoutée, ou part salariale, est un indicateur de la richesse qui revient aux salariés et reflète le rapport de force entre le capital et le travail. |
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