A l’occasion du soixantième anniversaire de la Révolution des Conseils de 1956 en Hongrie, nous publions ci-dessous la brève biographie d’Ernő Gerő (dirigeant stalinien doublement contre-révolutionnaire) que l’historien marxiste et ouvrier espagnol Antonio Liz a écrit pour Révolution Permanente. A. Liz est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le mouvement ouvrier et vient de publier Revolución et contrarevolución à l’occasion des 80 ans de la révolution espagnole.
Article publié originellement le 26 mai 2017 dans Révolution permanente. |
Ernő Gerö possède la singularité d’avoir été un contre-révolutionnaire lors de deux révolutions, l’espagnole et la hongroise.
Le 17 juillet 1936 marque le début d’un coup d’Etat dans l’Etat Espagnol qui se transforme en Guerre Civile (1936-1939). Le gouvernement républicain qui dirigeait l’Etat suite à la victoire du Front Populaire lors des élections de février 1936, demanda des armes à la France de Léon Blum pour combattre l’offensive des réactionnaires et fascistes, commandés par un groupe de généraux parmi lesquels Francisco Franco, qui en peu de temps, est devenu chef du Mouvement National.
La demande du gouvernement républicain espagnol présidé par José Giral, gouvernement « frère » de celui de Léon Blum – « frères » car tous les deux étaient au pouvoir grâce aux victoires électorales obtenues par les Fronts populaires respectifs – s’est soldée par le lancement du comité de Non intervention. Ce comité, fut, dans la pratique, une structure politique qui empêcha que le gouvernement républicain espagnol achète des armes aux pays « démocratiques » voisins, la France, l’Angleterre, la Tchécoslovaquie alors que les généraux putschistes ont reçu l’aide directe de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste.
C’est face à l’absence d’aide de la part des gouvernements « démocratiques » de Sa Majesté britannique et du front populaire français que l’URSS de Staline commence à jouer un rôle politique de premier ordre dans la Guerre Civile espagnole. Bien que dans un premier temps Staline avait lui-même signé le pacte du comité de Non intervention, il s’est vu ensuite obligé d’aider la Seconde République afin de ne pas être discrédité politiquement aux yeux du mouvement ouvrier international – qu’il utilisait comme base politique dans ses relations avec l’Angleterre et la France – et pour lequel il était le référent qui se présentait comme le continuateur de la révolution d’octobre. L’immense majorité du mouvement ouvrier le considérait ainsi car il n’avait pas connaissance des aberrations et des crimes du stalinisme en URSS.
Ainsi, Staline s’est vu de vendre des armes à la République mais sous certaines conditions : en payer un prix très élevé et permettre l’envoie de « conseillers » militaires. Cela a en réalité été le moyen d’introduire des cadres politiques stalinistes et sa police politique (NKVD). Ainsi, en plus d’une bonne affaire, la vente d’armes permettait au stalinisme de contrôler à travers ses agents la révolution sociale qui avait éclaté dans l’Etat Espagnol. Une révolution au cours de laquelle la classe ouvrière espagnole avait défait les armes à la main les troupes putschistes et avait commencé à créer ses propres milices et comités ainsi qu’à occuper terres et usines pour les collectiviser.
Dans cette nouvelle conjoncture politique créée par l’absence d’aide des gouvernements des pays dits « démocratiques », à cause de la peur qu’ils avaient de la révolution sociale, et l’aide très peu solidaire de l’URSS de Staline, qui craignait également la révolution, le Parti Communiste d’Espagne (PCE) et le Parti Socialiste Unifié de Catalogne (PSUC) vont jouer un rôle politique déterminant.
Le PCE n’a jamais eu une influence de masse dans la classe ouvrière espagnole car celle-ci était encadrée majoritairement par le mouvement socialiste et par le mouvement anarcho-syndicaliste, et le PSUC était très nouveau étant donné qu’il fut créé en juillet 1936. Cependant, le rôle du PCE et du PSUC ne fera que progresser après juillet 1936 grâce à leur position d’intermédiaires politiques directs de Staline au cours de la révolution espagnole. Pour que cette politique soit appliquée, des agents politiques de Staline sont venus en Espagne chargés de faire appliquer la ligne politique du stalinisme à l’intérieur de la révolution espagnole.
Parmi les agents politiques que le stalinisme avait envoyé figurait Ernst Moritsovitch Gere (Ernő Gerő). Si d’autres agents politiques avaient pris les commandes du PCE (Vittorio Codovila – alias Luis ou Medina -, Stoian Minev – alias Stepanov ou Moreno – et Palmiro Togliatti – alias Alfredo ou Ercoli), Gerő prit en charge le PSUC à partir de fin août 1936. Dans la révolution espagnole il sera connu fondamentalement sous le nom de « Pedro ».
Le rôle politique de ces agents est documenté par des contemporains, militants staliniens de l’époque, comme Fernando Claudín, qui a par la suite quitté le PCE. Celui-ci évoque dans son livre Santiago Carrillo. Crónica de un secretario general (chronique d’un secrétaire général) la composition des « réunions ou l’on décidait les questions importantes, dans lesquelles intervenaient les délégués de l’Internationale Communiste (Togliatti, Stepanov, Gerő, Codovila), les hauts représentants soviétiques (diplomates, militaires, responsables des services secrets) et les dirigeants les plus importants du PCE (José Diaz, Pasionaria, Pedro Checa, Jesus Hernandez, Vicente Uribe et Antonio Mije) ».
Le PSUC avait sont propre secrétaire général officiel, Joan Comorera. Cependant, ce sera « Pedro » qui transmettra directement les directives de Moscou, ce qui faisait de lui de fait le directeur politique du PSUC, son chef de l’intérieur.
La ligne générale du stalinisme pendant la révolution espagnole était que celle-ci ne pouvait pas aller au-delà d’une « révolution démocratique-bourgeoise nationale ». C’est Palmiro Togliatti qui l’a ainsi formulé pendant la révolution. Cette ligne stratégique sera propagée publiquement par le secrétaire général du PCE, José Diaz, et par le secrétaire général du PSUC, Joan Comorera.
Le rôle politique de « Pedro » a pris une importance politique fondamentale car la Catalogne était le centre de la révolution sociale et sa capitale, Barcelone, la capitale de la révolution sociale espagnole.
En Catalogne en général et à Barcelone en particulier, le mouvement anarchosyndicaliste était dominant. L’avant-garde sociale, c’est à dire les éléments les plus combattifs de la classe ouvrière, était organisée au sein de celui-ci. Mais cette avant-garde sociale n’était pas une avant-garde politique car l’anarchosyndicalisme n’avait pas une théorie révolutionnaire pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière. C’est précisément cela qui a permis la consolidation du stalinisme au sein de la révolution espagnole, ce qui s’exprimait en Catalogne à travers de l’influence du PSUC dirigé publiquement pas Joan Comorera et à l’intérieur par « Pedro ».
Le mouvement anarchosyndicaliste en Catalogne était composé par la Confédération Nationale du Travail (CNT), par la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI), par Mujeres Libres [Femmes Libres] (la première organisation révolutionnaire des femmes travailleuses dans l’Etat Espagnol) et par la Fédération Ibérique des Jeunesse Libertaires (FIJL). Cependant, ce sera la CNT-FAI qui sera à la tête de tout le mouvement libertaire. La CNT en tant que grande organisation de masse et la FAI comme une sorte de parti-guide. La CNT regroupait l’une des plus grosses fractions des masses ouvrières – on estime qu’elle organisait 1,5 million d’affiliés mais on peut estimer que son influence sociale était encore plus grande après 1936 où elle est apparue comme la direction de la victoire sur les putschistes en Catalogne. La FAI était plus un mythe qu’une réalité. C’est à Catalogne aussi que se trouvait la plupart des membres du Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM) qui était très fort à Lérida et qui dans les fait se soumettra politiquement à la CNT-FAI.
Indépendamment de l’incapacité politique de la direction de la CNT, la classe ouvrière encadrée au sein du mouvement anarchosyndicaliste a été l’avant-garde sociale puisqu’à peine finie la lutte dans les rues contre le coup, elle a commencé à collectiviser les entreprises et les terres. C’est contre cette dynamique que le stalinisme se battait en Catalogne, et sur ce terrain c’était « Pedro » qui était à la tête.
Il est très difficile d’obtenir des informations directes sur des personnages qui se situent tiraient les ficelles politiques dans l’ombre, comme c’était le cas des agents staliniens pendant la révolution espagnole. Et « Pedro » n’a pas été une exception. Cependant, les informations indirectes aident à sortir ce personnage de l’ombre, au moins partiellement. Ainsi, Enrique Castro Delgado, un stalinien convaincu, avant et pendant la guerre civile, puis un fervent renégat, fera une caractérisation de deux des agents politiques les plus importants du stalinisme, le « camarade Pedro » et le « camarade Codovila ». Alors, dans Hombres made in Moscú, il dit : « l’un était hongrois, l’autre argentin d’origine italienne. Le premier sombre et grand, avec des cheveux emmêlés et blancs, avec des grands yeux, des gestes doux et un parler lent ; l’autre, passionné, bavard, grand et rondelet et avec une respiration sifflante. Mais tous les deux étaient des infatigables, méthodiques, implacables, maîtres de la magouille et du coup de couteau dans le dos ».
Un autre stalinien devenu par la suite eurocommuniste, Santiago Carrillo, dans ses mémoires dira d’Ernő Gerő la chose suivante : « au début de la guerre j’ai connu un autre des délégués de l’IC (Internationale Communiste), Gerő, le hongrois. Il travaillait directement avec le PSUC. C’était une personne très différente de Codovilla, il se faisait remarquer le moins possible. Dans ses rapports avec moi je l’ai vu comme un homme avec une grande bonté et compréhension, patient, en rien autoritaire, sans aucune envie d’avoir toujours le dernier mot. C’est ainsi que je l’ai revu à Moscou, durant les mois ou j’y ai travaillé, pendant la première moitié des années 1940. C’est pour cela que les descriptions sur son rôle en Hongrie, à l’époque de Rákosi m’ont étonné (…) Gerő m’a semblé aussi un homme cultivé, un travailleur inlassable et modeste qui donnait l’impression de ne dormir jamais, ce qui se reflétait dans ses yeux malades ».
L’importance politique du rôle de « Pedro » dans la structure des agents politiques staliniens dans l’Etat Espagnol est démontrée par exemple par l’une des lettres politiques que Giorgi Dimitrov, le cadre le plus important de la III Internationale stalinisée, envoyée en septembre 1937 à Kliment Vorochilov – qui passait l’information directement à Staline – où figurait « un rapport du camarade Pedro, conseiller politique en Catalogne ». Mais cela faisait déjà longtemps que « le camarade Pedro » commandait au sein du PSUC, avec autant d’autorité que celle qu’il avait démontré quand il avait été à Madrid pour remplacer Vittorio Codovila quand celui-ci était en chemin vers Moscou. Dans une lettre d’octobre 1936 André Marty, chef des Brigades Internationales, envoie à la « maison » (Moscou), une critique aussi bien au vrai chef du PCE, V. Codovila, qui « voit le parti comme s’il s’agissait de sa propriété », qu’à celui qui le remplace puisque « le camarade Gerő l’imite à une moindre échelle mais avec la même ligne ». C’est pour cette raison qu’il « était le seul à recevoir les rapports des secrétaires généraux et de district et leur donnait des instructions ». Cela au sein du Bureau Politique du PCE. Peu de temps après « Pedro » ira à Barcelone diriger « le PSUC dans les coulisses avec une extraordinaire énergie, tact et efficacité ».
Il semblerait que la surveillance de Gerő sur le consul soviétique à Barcelone Antonov-Ovseenko, qui « tremblait devant Gerő », n’était pas menée avec beaucoup de « tact ». Cela indiquerait que Gerő n’a pas seulement exercé des fonctions politiques mais aussi directement répressives.
Il est évident que toutes les décisions stratégiques du PSUC ont été validées par « Pedro » puisque celui-ci participait aux réunions du bureau politique du PCE où les agents staliniens décidaient la ligne politique à suivre. Ainsi, il est très certainement lié à la politique du PSUC de défense de la révolution démocratique-bourgeoise, quand celui-ci attaquait la CNT et le POUM, quand on décidait du rôle du PSUC au sein des gouvernements de front populaire dans la Generalitat, quand on a lancé la provocation de l’assaut du bâtiment de Telefonica, ce qui sera l’étincelle pour les journées de Mai 1937 et quand on a décidé de l’arrestation et de l’assassinat des militants anarchistes, poumistes et Trotskistes.
Après les Journées de Mai 1937 le PCE provoquera la chute de Largo Caballero. Le ministre de la Justice de l’époque, l’anarchiste Garcia Oliver, dans ses mémoires décrit le comportement des deux ministres du PCE, Jesus Hernandez et Vicente Uribe, dans la réunion du conseil de ministres du 15 mai 1937 où ils demandent la répression contre le POUM, ce que Largo Caballero a refusé provoquant le refus de poursuivre la réunion de la part des ministres communistes.
Mais dans une réunion antérieure du Bureau Politique du PCE, à Valence, la capitale en mars 1937, on avait déjà décidé de la stratégie visant à pousser Largo Caballero à quitter le gouvernement. Dans cette réunion auraient participé « Pedro » et tous les agents politiques staliniens : Togliatti, Codovila, Stepanov, Party, en tant que chef des Brigades Internationales, et le secrétaire de l’ambassade soviétique, Gaikis.
Dans cette réunion Palmiro Togliatti aurait donné l’ordre de « commencer immédiatement la campagne pour « adoucir » la position de Caballero. Nous devons commencer avec un grand meeting à Valence où le camarade Hernandez fera le discours. Cela aura un grand impact politique qu’un ministre de Caballero lui-même se soulève contre le président (…) Quant au successeur de Caballero, il s’agit d’un problème pratique sur lequel j’invite les camarades à réfléchir. Je crois que nous devons procéder à choisir par élimination : Prieto ? Vayo ? Negrin ? De ces trois là, Negrin semble le plus adéquat. Il n’est pas anticommuniste comme Prieto, ni stupide comme Vayo »[1]Jesús Hernández Tomás. Yo fui un ministro de Stalin. Epublibre (1953). PDF, p.53 .
« Pedro » n’a rien rétorqué. L’accord de « Pedro » avec cette stratégie de faire tomber Caballero est documenté par un membre du Comité Central du PSUC, Miguel Serra Pamies, à qui « Pedro » lui-même aurait dit que Negrin était le meilleur successeur de Largo Caballero[2]Burnett Bolloten. La Guerra Civil española. Revolución y contrarrevolución. Alianza (1997), p.724.
Palmiro Togliatti écrivait que « le deuxième gouvernement de Negrin a été sans aucun doute celui qui a le plus étroitement collaboré avec la direction du Parti Communiste et qui a accepté et mis en œuvre le plus largement et le plus rapidement les propositions du parti »[3]Palmiro Togliatti. Escritos sobre la guerra de España. Crítica (1980), p.229. Enfin, tout semble indiquer que les Journées de Mai ont été le prétexte parfait pour se libérer de l’encombrant Largo Caballero, qui avait su expulser de son bureau l’ambassadeur soviétique Marcel Rosenberg.
« Pedro » est possiblement l’un des agents staliniens qui sont à l’origine de la propagande mensongère selon laquelle les Journées de Mai ont été un « putsch » de la part de secteurs de l’anarcho-syndicalisme[4]Miquel Amorós. La revolución traicionada. La verdadera historia de Balius y Los Amigos de Durruti. Virus (2003), p.239 soutenus par les communistes du POUM et non une provocation instiguée par les staliniens eux-mêmes.
A peine deux jours après la fin des Journées de Mai (le 9 mai), le secrétaire du PCE lui-même, José Díaz, dans un meeting dans le cinéma Capitol à Valence, accusait le POUM d’être « l’inspirateur du putsch criminel en Catalogne »[5]José Díaz. Tres años de lucha. Ebro (1970), pp. 431-432, étant donné qu’on ne pouvait pas dire la même chose encore des anarcho-syndicalistes car ils avaient toujours une grande force sociale.
Plus d’un an après les Journées de Mai (le 25 novembre 1938), dans un rapport politique à la « Maison », « Pedro » affirmera que « les partisans de Largo Caballero, les Trotskistes et les éléments Trotskisants de la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI) ont lancé une forte offensive contre le Parti Communiste ».
L’évidence historique démontre que les seuls « éléments Trotskisants » de la FAI dont il parlait – ayant une réelle vie politique – était le groupe Les Amis de Durruti. En effet, le secteur lié à Largo Caballero dans le PSOE était dispersé et Caballero totalement privé de toute activité publique. Le POUM de son côté était mis hors de la légalité et son leader, Andreu Nin, avait été assassiné et ses autres dirigeants emprisonnés.
En réalité cela n’a été qu’une astuce de la part des staliniens pour justifier les faiblesses du PCE/PSUC qui malgré le fait de dominer l’Armée Populaire et que le gouvernement proto-stalinien de Negrin soit « consolidé significativement », après la Bataille de l’Ebro « on doit s’attendre à ce que la République Espagnole se voit soumise à une épreuve très dure, la plus dure qui ait eu lieu depuis le début de la guerre d’indépendance »[6]Ronald Radosh, Mary R. Habeck y Grigory Sevostianov (eds.). España traicionada. Stalin y la guerra civil. Planeta (2002), pp.588-598 (c’est comme cela que le stalinisme qualifiait la Guerre civile espagnole.
En réalité, après que les staliniens et les républicains aient défait la révolution sociale, les victoires de l’armée fasciste de Franco sur l’Armée populaire ont été la norme. Bien sûr cette réalité ne pouvait pas être avouée par un cadre stalinien car la « Maison » n’était pas intéressée à entendre la vérité.
« Pedro » n’était pas seulement le leader politique dans l’ombre du stalinisme en Catalogne. Il était aussi le chef de la NKVD à Barcelone. En juillet 1937, dans la dynamique contre-révolutionnaire qu’ont déclenché les Journées de Mai à Barcelone, il s’est occupé de l’enlèvement et de l’assassinat d’Erwin Wolf, ex secrétaire de Trotski, qui depuis mai de cette année là était à Barcelone en tant que correspondant du journal anglais Spanish News.
On ne peut pas être certain de sa participation personnelle dans l’assassinat d’Andreu Nin car les documents retrouvés ne sont pas concluants sur certains des noms car le « Pierre » qui y apparait aurait pu être aussi bien Gerő que Eitingon (qui sera quelques années plus tard l’organisateur sur le terrain de l’assassinat de Trotski).
Après la guerre civile espagnole « Pedro » partira vers l’URSS. A Moscou il habitera dans le célèbre Hôtel Lux, accompagné d’autres fonctionnaires internationaux du stalinisme, dont le hongrois Mihály Farkas et l’espagnol Santiago Carrillo. Plu tard, après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il rentrera en Hongrie accompagnant l’armée soviétique.
Pointons que le fait que « Pedro » n’ait pas été éliminé par les purges staliniennes, qui ont touché une grande partie des cadres politiques et conseillers militaires qui avaient participé à la Guerre Civile espagnole, témoigne de son importance politique pour le stalinisme ; un laquais de ses chefs, un cynique et un assassin inflexible. Il démontrera à nouveau ces qualités en Hongrie.
En Hongrie, « Pedro », désormais Ernő Gerő, sera un cadre stalinien de première ligne du Parti des Travailleurs Hongrois (PTH), le nom du PC hongrois depuis aout 1948, quand le Parti Communiste Hongrois et le Parti Social-Démocrate ont fusionné. Il formera un tandem avec le leader stalinien hongrois Mátyás Rákosi, avec lequel il mettra en place dans le gouvernement de front populaire hongrois « la tactique du salami » qui consistait en occuper les postes dans les corps répressifs pour réprimer et éliminer leurs « alliés ».
En 1956, suite au XXe Congrès du Parti Communiste de l’Union Soviétique, quand Nikita Khrouchtchev lance une attaque contre Staline le rendant le seul responsable des aberrations et des crimes du stalinisme dans l’Union Soviétique et dans les « démocraties populaires », Gerő substituera Rákosi à la tête du PTH en juillet 1956. L’objectif était de mettre un frein à la dynamique de protestation qui se développait dans le pays et dont l’une des démonstrations sera l’enterrement de László Rajk, le 6 octobre 1956.
Le 23 octobre 1956 a lieu une grande manifestation d’étudiants et ouvriers à Budapest. Les étudiants l’avaient convoqué pour démontrer leur solidarité avec les mobilisations en Pologne, en même temps qu’ils exigeaient des réformes en Hongrie. Au début les autorités staliniennes interdirent la manifestation, mais face à la massivité de celle-ci, ils furent forcés à l’autoriser.
Gerő procéda de la façon typique des cadres staliniens. Il sera tellement méprisant à l’égard des manifestants que, dans le cadre de la dynamique sociale de l’époque, cela deviendra sa mort politique car aux yeux de la nomenklatura de Moscou il n’était plus utile.
Il rentrait de Yougoslavie et a parlé à la radio en insultant les milliers de manifestants en les traitant de « racaille » et « chauvins ». Cela a eu comme conséquence de réchauffer le climat social. Les ouvriers et les étudiants, portant des drapeaux hongrois troués au milieu, où se trouvait l’emblème stalinien, lançaient des slogans comme « A bas Gerő », « Nous voulons Nagy », « Rákosi au Danube, Nagy au gouvernement », « les Russes à la maison ».
Une partie des manifestants se sont dirigé vers la radio d’où avait parlé Gerő, en exigeant que l’on lise les 16 points programmatiques du mouvement de masses, alors que d’autres commençaient à mettre à bas l’énorme statue de Staline. Les « avos », agents de la détestée police politique (AVH), contrôlée par Gerő, ont ouvert le feu sur la foule. Les manifestants vont chercher des armes dans les casernes. L’insurrection commençait.
Le 24 octobre des tanks soviétiques entrent à Budapest au même moment qu’Imre Nagy prend la tête du gouvernement en appelant les manifestants au calme et en essayant d’arriver à un accord avec la bureaucratie soviétique. Le lendemain, le 25 octobre, les troupes soviétiques reprennent la radio et il y a de forts affrontements devant le parlement. On déclare que des « avos » sont en train d’être lynchés à Budapest, beaucoup d’entre eux sont pendus par les pieds.
L’armée soviétique commence alors à se retirer. La bureaucratie soviétique semble vouloir trouver un accord mais Khrouchtchev change d’opinion et lance une deuxième intervention le 4 novembre 1956. János Kádár, qui avait été dans le camp « réformateur », sera chargé de commander la contre-révolution hongroise.
Gerő, qui avait une image trop dégradée pour les néo-staliniens, sera expulsé du parti en 1957. Il vivra en URSS jusqu’à 1962.
Aussi bien pendant la révolution espagnole que pendant la révolution hongroise, « Pedro », Ernő Gerő, a été un professionnel de la contre-révolution, un cadre stalinien. Voilà son CV politique.
Notes
↑1 | Jesús Hernández Tomás. Yo fui un ministro de Stalin. Epublibre (1953). PDF, p.53 |
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↑2 | Burnett Bolloten. La Guerra Civil española. Revolución y contrarrevolución. Alianza (1997), p.724 |
↑3 | Palmiro Togliatti. Escritos sobre la guerra de España. Crítica (1980), p.229 |
↑4 | Miquel Amorós. La revolución traicionada. La verdadera historia de Balius y Los Amigos de Durruti. Virus (2003), p.239 |
↑5 | José Díaz. Tres años de lucha. Ebro (1970), pp. 431-432 |
↑6 | Ronald Radosh, Mary R. Habeck y Grigory Sevostianov (eds.). España traicionada. Stalin y la guerra civil. Planeta (2002), pp.588-598 |