Nous présentons ci-dessous la deuxième partie de notre article sur l’histoire du peuple Rrom en Europe. Dans la première partie nous avons abordé l’arrivée des Rroms en Europe et leur réduction à l’état de servage et d’esclavage et ensuite un début de prolétarisation, conjointement au développement du capitalisme en Europe de l’Est, à la fin du XIX siècle.
Article publié originellement le 17 septembre 2015 dans Révolution permanente. |
Dans cette deuxième partie nous revenons sur le génocide des Rroms au cours de la Seconde Guerre Mondiale et sur leur évolution au sein des pays du « bloc soviétique » en Europe centrale et de l’Est.
Un génocide « oublié » ?
Vers les années 1930, la crise économique mondiale du capitalisme, la montée des nationalismes et des tendances profascistes dans tout le continent, allaient avoir des conséquences terribles pour la population Rrom. Les préjugés s’accentueront et les actes racistes venant de bandes d’extrême droite, ainsi que de l’État, se multiplieront.
Outre le fait d’être les premiers à perdre leur emploi et/ou à être chassés des terres ou logements qu’ils occupaient, souvent pour les donner aux « nationaux », les Rroms seront perçus de plus en plus comme une « charge » pour l’État. A ce propos Gabriel Troc indique : « en Roumanie la taxonomie visait à séparer les Rroms « utiles » (un petit nombre de travailleurs de la métallurgie en province et d’artisans dans les villes, plus quelques musiciens) des « mendiants », des « vagabonds », et des Rroms « primitifs » qui, par leur fort taux de reproduction, pourraient altérer la composition « pure » de la population roumaine (…) La conséquence de cette classification a été la déportation massive des populations rroms en Transnistrie (…) pendant la guerre ».
En effet, en 1942, le régime pronazi d’Ion Antonescu en Roumanie enverra 25 000 Rroms (12% des 210 000 qui habitaient dans le pays jusqu’alors) dans des camps de concentration. 11 000 d’entre eux ne reviendront jamais. Au total, selon les estimations, entre 230.000 et 500.000 Rroms sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale dans les camps de concentration. Des Rroms qui ne venaient pas seulement d’Europe de l’Est mais aussi des pays d’Europe de l’Ouest (plus de 30.000 Rroms étaient internés dans des camps de concentration en France).
Le silence qui pèse sur le génocide du peuple tsigane (l’Allemagne – ancienne RFA – ne l’a reconnu officiellement qu’en 1979) ne peut se comprendre sans constater la continuité de la discrimination et du racisme anti-Rrom qui imprègne encore aujourd’hui l’Europe.
Un racisme qui s’exprime par des politiques discriminatoires dans les différents États. Christian Bernadac dans L’holocauste oublié (1979) affirme que « le préjugé, entretenu par d’incessantes répressions « officielles », a abouti à cet inquiétant paradoxe : être contre les Tsiganes c’est être avec la loi. Oui, le terrain propice à la « Solution finale » était parfaitement débroussaillé lorsque le national-socialisme s’empare du pouvoir en 1933. Toutes les exactions imaginables – à l’exception des chambres à gaz – avaient été prévues, décrites, mises en œuvre par d’autres gouvernements : déportation massive en Louisiane (France 1802), enlèvement des enfants tsiganes à leurs parents (Allemagne 1830), expulsions armées (Grande-Bretagne, 1912), interdiction de la langue ou des vêtements tsiganes (plusieurs régions de France, Espagne, Portugal), interdiction de mariage entre Tsiganes, du nomadisme ; automatisation du servage (Roumanie), dissolution des mariages entre Tsiganes et non-Tsiganes (Hongrie), confiscation de biens, interdiction de posséder un cheval, une roulotte, d’exercer certains métiers, d’acheter une maison (Portugal). Obligation de présenter un livret anthropométrique à toute réquisition (France). Projet de marquage au fer (Hongrie, 1909) ou de stérilisation (Norvège, 1930) » (pages 33-34).
Pour compléter le tableau du racisme anti-Rrom généralisé, l’auteur des lignes qui précèdent rapporte le témoignage de survivants juifs de la Shoah concernant les Tsiganes : professeur Hagenmuller : « les Tsiganes nous parurent avoir en gros deux caractéristiques : la passion du vol et celle de la musique ». Professeur Charles Richet : « Quant aux Tsiganes, leur disparition totale n’eût affecté dans le camp qu’un petit nombre de philanthropes déterminés »… . Si dans des témoignages sensés dénoncer la barbarie des camps de concentration nazis on peut trouver de tels jugements sur les Rroms, il n’est pas étonnant que le génocide de ce peuple soit autant méconnu, voire occulté.
Régimes staliniens : entre amélioration des conditions de vie et répression
La victoire sur l’armée nazie et la progression de l’Armée rouge depuis le front Est vers l’Ouest a permis à celle-ci d’instaurer, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans toute une série de pays d’Europe centrale et de l’Est, des Etats ouvriers déformés et bureaucratisés.
La politique de ces régimes staliniens concernant les populations rroms avait comme axe leur sédentarisation et leur assimilation à la population majoritaire, en niant ainsi toute spécificité culturelle ou nationale. Leur politique d’industrialisation, cependant, allait permettre aux Rroms d’être embauchés dans les entreprises d’État et les fermes collectives.
En Hongrie par exemple, le taux d’emploi parmi les hommes en âge de travailler en 1971 sera de 85%, peut-être le taux d’activité de la population rrom le plus élevé de leur histoire dans le pays. Néanmoins, les Rroms occuperont les places les moins qualifiées et effectueront en général les tâches les plus ingrates. Cela se répétera dans pratiquement tous les pays de la région.
Ces revenus stables permettront aux Rroms d’avoir accès au système de protection sociale, à l’éducation pour les enfants, à la formation professionnelle. Cependant, comme l’a expliqué l’étude du ministère des affaires étrangères hongrois, « fréquemment l’enseignement des enfants tziganes était dispensé dans des classes séparées ou bien, en invoquant leur « déficience », on les faisait participer à un programme d’enseignement spécialisé ». Les enfants rroms étaient scolarisés dans la langue de la majorité et n’avaient pas de cours dans leur langue (ce qui n’était pas le cas des autres minorités nationales comme les Hongrois ou les Allemands en Roumanie).
Quant au problème du logement, la politique des différents gouvernements a permis de construire des maisons et des immeubles où les Rroms pouvaient habiter avec leurs familles. En quelques années seulement les bidonvilles rroms avaient disparus. Cependant, le confort de ces logements était souvent rudimentaire et, surtout, les Rroms étaient tous logés dans les mêmes immeubles, séparés du reste de la population. Dans d’autres cas, comme en Roumanie, « dans les blocks de pavillons nouvellement construits par le pouvoir socialiste, ils étaient mélangés avec des agents de la police ou de l’armée, avec le double objectif de les contrôler et de les « civiliser » » (Gabriel Troc, déjà cité).
De manière générale, pendant la période stalinienne, les conditions de vie de la population rrom d’Europe de l’Est se sont améliorées. Et cela, malgré le régime politique réactionnaire des bureaucraties des Partis Communistes. En quelque sorte, ces expériences laissaient entrevoir la potentialité de ce qu’un vrai État ouvrier pourrait faire pour sortir des populations marginalisées et discriminées, comme les Rroms, de leur misère séculaire. D’ailleurs, les bureaucraties staliniennes n’ont jamais été capables d’en finir avec les préjugés anti-Rroms qui existaient dans la société et, au contraire, ces préjugés étaient souvent véhiculés par les institutions de l’État lui-même.