Révolutions perdues à Bucarest et Téhéran. Entretien avec le réalisateur Vlad Petri

Le documentaire « Between Revolutions » réalisé par le roumain Vlad Petri raconte à travers une conversation épistolaire fictive entre deux amies d’université – Maria la Roumaine et Zorah l’Iranienne – le destin de deux femmes qui, à dix ans d’intervalle, ont vécu une révolution dans leur pays respectif.

Composé uniquement d’archives iraniennes et roumaines (souvent rares), « Between Revolutions » allie habilement la réalité et la fiction et montre avec beaucoup d’émotion comment les espoirs des révolutions sont (presque) toujours déçus. A travers les lettres imaginaires de ces deux femmes, Vlad Petri aborde la (dure) condition des femmes et l’inéluctable confiscation des pouvoirs, le plus souvent par les hommes. Ce documentaire où se mêlent réflexion politique, intimité, sensibilité et soubresauts du monde est une œuvre fascinante et d’une actualité brûlante. Entretien avec le réalisateur.

Le Courrier d’Europe centrale : Comment est née l’idée de votre film ?

Vlad Petri : L’idée est venue d’une discussion avec ma mère qui, sous le communisme, a fait ses études de médecine à Cluj en Transylvanie. Elle m’a parlé de ses années étudiantes en me montrant des photos de son université. Elle m’a expliqué qu’à cette époque, il y avait de nombreux étudiant(e)s du Moyen Orient sur le campus car Ceaușescu entretenait de bonnes relations avec certains pays de cette région, dont l’Iran alors sous la dictature du Shah. J’ai été curieux de savoir comment ces étudiant(e)s venu(e)s d’un autre monde vivaient dans notre pays. Le point de rupture étant 1979 avec la révolution islamiste en Iran qui a porté au pouvoir l’ayatollah Khomeini. J’ai ainsi imaginé le destin de deux étudiantes, l’une roumaine Maria et l’autre iranienne Zorah qui, à travers une correspondance épistolaire réfléchissent, échangent et luttent à leurs manières contre le totalitarisme.

La réalité vient des archives et la fiction a été construite sur la base des lettres et des notes trouvées dans les cartons de la Securitate.

Votre film est composé uniquement d’archives de l’époque provenant d’Iran et de Roumanie. Avez-vous rencontré des difficultés pour les rassembler ?

V.D. : Cela a été relativement facile de trouver des archives en Roumanie car le centre national des archives m’a ouvert ses portes et j’ai pu numériser assez rapidement de nombreux films. Mais, cela a été plus compliqué avec l’Iran. Mon coproducteur iranien a pu toutefois récupérer des archives de la télévision iranienne et a trouvé aussi d’autres sources. Et, petit à petit, l’histoire s’est construite.

Avez-vous réussi à récupérer des archives personnelles, des films amateurs ?

V.D. : Oui, mais au départ, j’étais plus intéressé par les images de propagande produites dans les deux pays. Je me suis alors vite rendu compte que ces images ne suffisaient pas. Pour construire mon récit, il fallait y insérer des images plus intimes et, surtout, je ne voulais pas avoir un regard occidental sur l’Iran. Nous avons donc cherché des films personnels qui pouvaient éclairer l’histoire. Quelques-uns ont été trouvé en Iran, mais certains de nos interlocuteurs nous ont demandé de ne pas les utiliser toutes les images, par crainte de représailles.

« Between Revolutions » a été récompensé en février à la Berlinale par le prix des critiques de cinéma internationaux et a été programmé en mars au Festival international du documentaire à Thessalonique (Grèce).

Dans votre documentaire, quelle est la part de fiction et de réalité ?

V.D. : La réalité vient des archives et la fiction a été construite sur la base des lettres et des notes trouvées dans les cartons de la Securitate, la police politique de Ceaușescu, où étaient recensées des informations sur les étudiants étrangers, des lettres de cette période, des photographies. Un matériel très précieux. Le plus difficile a été de trouver un bon équilibre entre les informations récoltées et les images qui pouvaient leur correspondre. Ce fut un long travail de montage car avec un film d’archives, il faut trouver un rythme, une bonne fluidité !

Comment avez-vous travaillé avec l’écrivaine roumaine Lavinia Braniște qui a écrit les textes lus en voix off ?

V.D. : Lavinia Braniște est une des plus talentueuses écrivaines roumaines contemporaine. Avec ses livres racontant la vie sous le communisme, elle était la meilleure personne pour contribuer à notre documentaire. Elle a visionné de nombreux films Iraniens, lu des livres sur cette époque et s’est appuyée sur les textes de deux poétesses féministes, la roumaine Nina Cassian et l’iranienne Forugh Farrokhzad. Nous avions aussi un contact en Iran, qui pouvait traduire les différents textes écrits par Lavinia et nous exposer un point de vue iranien. L’important était de savoir comment les Iraniens se voyaient eux-mêmes. Et, petit à petit, les lettres sont venues s’agréger aux images. Pour les lire en voix off, j’ai organisé un casting et j’ai retenu deux femmes aux voix différentes. L’une est actrice et l’autre pas. Maria est plus nostalgique avec une voix plus douce, Zarah est plus dans la rébellion. J’ai donc essayé de garder l’équilibre des émotions.

En Iran puis en Roumanie, les dictateurs sont tombés à dix ans d’intervalle.

La musique joue aussi un rôle important dans votre film…

V.D. : Oui. Nous avons conservé la musique des archives de propagande et l’on a ajouté une chanson de Marjan, une chanteuse et actrice iranienne très populaire qui a vu sa carrière stoppée dès 1979 avec l’arrivée des islamistes.

Que ce soit en Roumanie ou en Iran les deux révolutions ont été confisquées, comme le dit Maria dans le film. Pensez-vous que ce soit malheureusement inévitable ?

V.D. : Mon message dans ce film est que nous devons faire très attention et être très vigilants après une révolution. A ce moment-là, les espoirs sont énormes. En Iran puis en Roumanie, les dictateurs sont tombés à dix ans d’intervalle. Et, dans les deux cas, une petite poignée de gens a ensuite confisqué le pouvoir et tout s’est écroulé.

Il reste toutefois de l’espoir avec, aujourd’hui, la révolté des femmes en Iran…

V.D. : Oui, mais il a fallu malheureusement la mort brutale de Masha Amini pour que la révolte prenne la forme d’une nouvelle résistance. C’est pourquoi mon film reste d’une grande actualité.

Propos recueillis par Daniel Psenny

Between Revolutions (Intre Revolutii) / (Roumanie/Croatie/Qatar/Iran), 2023, 68 minutes / Réalisateur : Vlad Petri ; Scénario : Lavinia Braniște, Vlad Petri

Daniel Psenny

Journaliste, ex-« Le Monde ».

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