Le Pape François en Hongrie pour faire entendre un autre son de cloche

Le chef de l’Église catholique est en visite de trois jours dans la Hongrie de Viktor Orbán, défenseur autoproclamé de la Chrétienté.

Après une messe en Transylvanie roumaine en 2019, après une visite express lors du Congrès eucharistique international à l’automne 2021, les catholiques hongrois vont enfin avoir le pape rien que pour eux. Après d’intenses efforts diplomatiques hongrois, François a consenti à une visite de trois jours dans le pays magyar, qui culminera avec une messe dimanche pour des dizaines de milliers de fidèles devant le parlement à Budapest.

Ce pape, plus ouvert et plus libéral que les précédents, a relativement mauvaise presse dans les médias pro-gouvernementaux, où les éditorialistes les plus virulents ont pu aller jusqu’à le qualifier de « menace pour la Chrétienté ». Mais le camp Orbán a baissé d’un ton avant l’arrivée du souverain pontife, mettant l’accent sur la proximité revendiquée de Budapest avec le Vatican concernant la guerre en Ukraine. Lors de son discours annuel sur l’état de la nation en février, le dirigeant hongrois avait en effet affirmé que le Vatican et la Hongrie sont les dernières voix dans le « camp de la paix ».

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Campagne d’affichage des messages papaux

Dans un pays où le combat culturel est virulent entre nationalistes et libéraux, même la venue du Saint-Père alimente la foire d’empoigne. Une revue en ligne qui rassemble des chrétiens d’orientation libérale et très favorables au pape François, Szemlélek, a lancé une campagne d’affichage dans Budapest mettant en exergue des messages papaux dénonçant par exemple « le national-populisme qui prétend protéger la civilisation chrétienne des ennemis perçus » ou appelant à « traiter les homosexuels avec la même tendresse que Dieu traite son peuple ». Une façon de prendre à contrepied les autorités hongroises qui ont fait de la stigmatisation des personnes LGBT un argument électoral, sur le modèle du parti Droit et Justice (PiS) en Pologne.

Le malaise est palpable dans l’Église catholique hongroise, car c’est au nom de la Chrétienté que Viktor Orbán mène sa croisade « illibérale ». Le père Gergely Bese, connu pour avoir béni le bureau du leader hongrois installé dans le couvent des Carmélites, espère que la venue du pape va donner un coup d’accélérateur au « regain spirituel » qu’il sent frémir, malgré la sécularisation grandissante. Un peu moins de 4 millions de personnes, sur 10 millions d’habitants, avaient revendiqué leur appartenance à l’Eglise catholique hongroise lors du recensement de 2011 et seuls 15 % vont régulièrement à l’Eglise, selon diverses enquêtes.

« Ce cléricalisme fait perdre sa crédibilité à l’Église catholique et va détourner les fidèles. »

István Gégény, théologien.

István Gégény, théologien et directeur de la publication en ligne « Szemlélek » précédemment citée, sait de source sûre que le pape désapprouve la proximité actuelle de l’Église catholique avec le pouvoir politique. « Ce cléricalisme, juge-t-il, fait perdre sa crédibilité à l’Église catholique et va détourner les fidèles ». De fait, c’est l’État qui paie désormais une partie des salaires des prêtres. « Ils sont pratiquement devenus des fonctionnaires, c’est fou ! », constate-t-il.

L’élite ultraconservatrice au pouvoir ne verrait-elle dans l’Eglise catholique qu’un instrument au service de son pouvoir ? « Il y a bien sûr des arrivistes qui ont rallié la cause », concède Gergely Szilvay, journaliste du média conservateur Mandiner, « mais je crois en la sincérité du gouvernement, qui est très proche idéologiquement de l’Eglise, sur la question du mariage homosexuel et du genre, et qui veut lui conférer un rôle social plus important ». Après la répression stalinienne qui a suivi la seconde Guerre mondiale, le contrôle strict des ecclésiastiques par le parti unique, puis la restitution des biens spoliés partielle et gâchée par l’inflation dans les années quatre-vingt-dix, ce « partenariat » Eglise-Etat est une aubaine pour les deux parties, estime-t-il.

« J’espère que les fidèles vont s’ouvrir au message du Pape plutôt qu’à celui de la propagande », nous dit Anita, bénévole d’une communauté Sant’Egidio, dédiée à la lutte contre l’exclusion. Ce samedi, elle conduira une trentaine de réfugiés auprès du pape.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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