Antal Rogán, le « Ministre de la Propagande » devenu maître-espion de la Hongrie

Véritable pilier du régime en Hongrie depuis 2010, le très puissant ministre Antal Rogán n’en finit plus de gagner en influence. Dans le gouvernement Orbán V, il a le contrôle de la totalité des services de renseignement du pays. Portrait.

Antal Rogán, ce nom n’évoque pas grand-chose hors de Hongrie. Pourtant, il est l’un des hommes les plus influents du pays et l’un des piliers du régime orbanien. Tristement désigné par la presse indépendante comme le « ministre de la Propagande », à la tête de la totalité des services de renseignement du pays au sein du gouvernement Orbán V, sa toile ne cesse de s’étendre.

Son influence n’a d’égale que son impopularité. En Hongrie, si l’on peut être sûr que tout le monde connaît Antal Rogán, il est tout aussi certain qu’à peu près tout le monde le déteste. Un sondage de 2016 le donnait encore moins populaire que Ferenc Gyurcsány, l’ancien Premier ministre socialiste, pourtant honni d’une grande partie de la population. Puisque même les électeurs Fidesz ne portent pas M. Rogán leur cœur, Viktor Orbán a dû se résoudre à méthodiquement cacher son ministre du public.

Antal Rogán lors d’un meeting politique en 2009. Crédit photo : Wikicommons / By Solymári – Own work, CC BY-SA 4.0.

Son ascension en politique s’est pourtant longtemps accompagnée d’une ascension médiatique spectaculaire. Il n’y a pas si longtemps encore, Antal Rogán était un jeune politicien populaire et prometteur, habitué des plateaux TV et des interviews. À tel point qu’après le retour du Fidesz au pouvoir en 2010, Rogán était souvent perçu comme le dauphin – celui qui succéderait à Viktor Orbán, si succession il devait y avoir. Las, une interminable succession de scandales a fini par lui tailler une sulfureuse réputation qu’il ne quittera plus. Une popularité en berne qui ne l’a pas empêché de monter en puissance au sein du parti, au point de devenir aujourd’hui l’un des hommes les plus puissants du pays.

Le premier de la classe

Antal Rogán n’est pas un pilier historique du Fidesz. Il n’a que 16 ans lorsqu’une bande d’étudiants fondent le Fidesz en 1988 dans un internat à Budapest. A ce moment-là, il vit encore dans le Comitat de Vas, dans l’ouest du pays, près des frontières autrichienne et slovène. Ce n’est qu’en 1990 qu’il quitte la région (et les jeunesses communistes) pour rallier la capitale, où il entame des études d’économie à l’Université Corvinus.

Une arrivée plus tardive qui ne l’empêchera pas de gravir les échelons du parti en un temps record. Diplômé en 1995, il rejoint très vite les rangs de Fidelitas, l’organisme de la jeunesse rattaché au Fidesz, dont il devient le vice-président. En 1998, il devient à 26 ans le plus jeune député élu à l’assemblée. En 2001, déjà vice-président du groupe parlementaire Fidesz au parlement, il finit par rejoindre la présidence du parti, parachevant son ascension express.

Débute alors sa success-story dont les médias raffolent, celle d’un jeune provincial brillant qui, pétri d’ambition, n’a pas froid aux yeux – au point d’être surnommé « Arrogán » par ses collègues – et qui a su s’imposer au sein du parti au pouvoir. Marié à son amour d’enfance, toujours souriant derrière de petites lunettes rondes et montrant alors un visage encore très juvénile, Antal Rogán fait figure de gendre idéal et incarne la nouvelle génération de politiciens hongrois.

La défaite surprise du Fidesz en 2002, qui repasse dans l’opposition, n’a pas franchement nuit à sa carrière. Il est tenu en haute estime par Viktor Orbán, qui lui propose de devenir chef de son cabinet. Le jeune Rogán refuse et cherche plutôt à s’imposer indépendamment de son mentor dans le paysage politique hongrois. L’ancien Premier ministre ne s’offusque pas des ambitions de son protégé, qu’il nomme directeur de campagne en 2006, un rôle qui préfigure déjà ses futures fonctions gouvernementales dix ans plus tard.  

En voulant s’implanter en tant qu’élu local, Antal Rogán ne choisit pas n’importe quelle circonscription : il jette son dévolu sur le 5ième arrondissement de Budapest, soit le centre-ville huppé de la capitale, dont il devient le maire en 2006. « Je voulais être Budapestois. Il n’y a que les provinciaux qui peuvent comprendre, » confessera-t-il. Pari réussi pour le jeune père de famille, qui règne en maître dans son arrondissement et s’est imposé comme un poids lourd du parti.  

De retour au pouvoir

Après le retour au pouvoir triomphal du Fidesz en 2010, si Antal Rogán n’intègre pas le gouvernement, il reste un homme clé du système Orbán, placé à la tête du groupe parlementaire Fidesz à l’Assemblée. En tant que député, il est l’une des principales personnalités politiques du pays. Son deuxième mariage, organisé dans la plus grande église du pays, la basilique Saint-Étienne, a fait les choux gras de la presse people, qui raffole du style de vie, devenu très tapageur, de l’élu Fidesz.

Mais, au grand dam de tous les paparazzis, Antal Rogán a tout bonnement fini par disparaître cinq ans plus tard. Il faut dire qu’entre-temps, quelques affaires sont venues ternir son image : comme l’enquête sur de possibles ventes de biens immobiliers de la mairie du 5ième à des proches ; ses possibles liens avec László Vizoviczki, véritable magnat de la vie nocturne budapestoise, condamné à sept ans de prison ; ses déclarations de revenus sous-évaluées et sans commune mesure avec son train de vie exubérant ; le mécanisme des golden visas accordés à des ressortissants russes ou chinois, imaginé de toutes pièces par Rogán ; sans parler de ses allées et venues en hélicoptères, des juteux contrats publics obtenus par son voisin, ou encore des contrats avantageux décrochés par sa femme, etc…

Même pour un élu Fidesz, c’en était trop. Or, Viktor Orbán gardait toujours de grandes ambitions pour son protégé. Et qu’importe s’il s’avérait être l’homme politique le plus mal-aimé du pays, le Premier ministre a su trouver le job parfait pour Rogán, un rôle de l’ombre qu’il lui conviendrait à merveille.

« Ministre de la Propagande »

En 2015, Antal Rogán est ainsi nommé ministre auprès du bureau du cabinet du Premier ministre, où il aura la charge de la « communication ». La question que tout le monde se pose alors : mais qu’est-ce que c’est que ce « bureau du cabinet du Premier ministre », créé ex nihilo et élevé au rang de ministère ? « Pour faire court, c’est le ministère d’Antal Rogán », répond Márton Gulyás, le fondateur du média Partizán.

Antal Rogán lui-même ne dissimule pas le rôle de son nouvel organisme : « le bureau du cabinet du Premier ministre n’a qu’un seul objectif : mener une nouvelle fois Viktor Orbán vers la victoire. Autrement dit [qu’]après 2018, le Premier ministre hongrois s’appelle toujours Viktor Orbán », expliquait-il devant une commission parlementaire en 2016, n’essayant même pas de cacher le fait que l’argent du contribuable hongrois servait à financer les campagnes électorales du Fidesz.

Lire : Le gouvernement Orbán est accroc aux sondages d’opinion

Avec un budget à la croissance exponentielle, Antal Rogán a mené d’innombrables campagnes d’affichages, désormais bien connues : il y avait celle contre Bruxelles, les migrants, George Soros ; puis encore Bruxelles, les migrants, la propagande LGBT… C’est aussi lui qui est en charge des fameuses « consultations nationales », véritables campagnes de propagande déguisées en questionnaires envoyés directement dans toutes les boites aux lettres.

De gauche à droite : Antal Rogán et Viktor Orbán, lors d’un sommet du parti populaire européen en 2017. Crédit photo : European People’s Party – EPP Summit, Brussels, April 2017, CC BY 2.0.

Mais c’est loin d’être tout. La véritable force de frappe du Fidesz pour travailler l’opinion publique réside avant tout dans l’immense empire médiatique qu’il contrôle, patiemment construit à coup de rachats de titres et autres fermetures déguisées. « Il n’existe aucun autre pays occidental où une seule institution politique contrôle plus d’une centaine de médias. Ces journaux, et ces rédacteurs-en-chef reçoivent leurs ordres directement depuis le bureau d’Antal Rogán, » rappelle le journaliste Daniel Ács de chez 444.hu.

Le maître-espion

Le cinquième gouvernement de Viktor Orbán a rendu Antal Rogán plus puissant que jamais. Tout en gardant son poste de « ministre de la Propagande », l’ensemble des services de renseignement passent désormais sous sa supervision. Aux dépens de l’indéboulonnable ministre de l’Intérieur, Sándor Pintér, historiquement en charge du renseignement.

Pour le journaliste András Dezső, spécialiste des questions de renseignement, il s’agit d’un véritable changement générationnel comparable à celui ayant frappé les médias du service public : « Tout d’un coup, une nouvelle jeune génération est apparue. Ils ne savent peut-être même pas comment fonctionnent les médias, mais ils se socialisent quand même au sein de cette machine propagandiste, pour eux cela devient la norme. Ils finissent par devenir d’excellents soldats. Je pense que la même chose va se produire avec les services secrets ».

Szijjártó, Pintér, Rogán et les autres tôliers du régime dans le gouvernement Orbán V

Le nouveau maître-espion du pays prend en tout cas son nouveau rôle déjà très à cœur. « Quiconque viole les intérêts de la Hongrie viole aussi la sécurité nationale de la Hongrie. Quiconque voudrait entraîner la Hongrie dans la guerre et propage de la désinformation représentent un risque pour la sécurité nationale, » déclarait-il au moment de prêter serment. Mais qui sont-ils au juste, ces ennemis qui « violent les intérêts » de la Hongrie ? Le leader de l’opposition, Péter Márki-Zay, était accusé nuit et jour pendant la campagne de vouloir entraîner la Hongrie dans la guerre en Ukraine. Représente-il dès lors un risque pour la « sécurité nationale » ?

Début septembre, les nouvelles ambitions d’Antal Rogán ont même été formalisées à travers la création d’un Bureau d’Administration de la Défense. Cette nouvelle institution vient à nouveau diminuer les prérogatives des ministères de l’Intérieur et de la Défense au profit de Rogán, désormais à la tête de « l’organe central de l’administration de la défense et de la sécurité », aux responsabilités encore floues.

Sans surprise, l’opposition s’inquiète de l’usage que fera Rogán des services secrets. D’autant que, par le passé, le gouvernement ne s’était pas gêné. La Hongrie était le premier pays de l’UE à confirmer qu’elle avait acheté le logiciel espion Pegasus. D’après l’enquête du média d’investigation Direkt36, plusieurs personnalités hongroises, dont des journalistes et des hommes politiques, ont été visés par ce logiciel espion.

Lire : La Hongrie, seul pays européen mis en cause dans le scandale d’espionnage « Pegasus »

Les journalistes de 444.hu ont pu profiter d’un rare moment d’accessibilité du tout-puissant ministre pour lui poser la question : les services de renseignement seront-ils mis au service de la réélection de Viktor Orbán ? Le ministre répond d’abord sans broncher que les services de renseignement sont tenus de respecter la loi. Avant d’ajouter, avec un léger rictus : « En revanche excusez-moi, mais des hommes politiques qui n’ont pas à penser à leur campagne pendant leur mandat, ça n’existe pas. […] Comme l’a dit le président Reagan, une campagne électorale se termine le jour des élections, et reprend dès le lendemain. »

  • Mise à jour : depuis l’écriture de cet article, Antal Rogán s’est vu attribuer de nouvelles prérogatives avec le transfert du Bureau d’audit du Gouvernement (Kehi) sous l’autorité du Bureau du Cabinet du Premier ministre. Cette instance est en charge d’examiner la bonne utilisation des fonds publics, la gestion des actifs nationaux ainsi que la bonne exécution des tâches publiques au sein des institutions gouvernementales.
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