Longtemps envisagée comme un duel entre l’ex-premier ministre Andrej Babiš et l’ex-général Petr Pavel, la campagne présidentielle a été revitalisée par la montée en force de la charismatique ex-rectrice d’université Danuše Nerudová. À la veille du premier tour vendredi et samedi, analyse des enjeux des élections présidentielles en Tchéquie.
Les 13 et 14 janvier, les électeurs tchèques sont conviés aux urnes pour s’exprimer lors du premier tour des élections présidentielles. Ils tourneront la page de dix ans de règne de Miloš Zeman, dont les deux mandats ont été marqués par d’innombrables controverses et un usage maximaliste, pour ne pas dire abusif, des pouvoirs présidentiels. Autant le poste est symbolique, autant le choix populaire livre un fort message sur l’avenir politique du pays.
La course au Château de Prague, siège de la présidence, s’est transformée en une lutte à trois, puisque les chances des six autres candidats sont nulles. Dans les dernières semaines, les sondages sont si serrés que des agences différentes ont prédit la première place à chacun des trois favoris. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun des trois n’obtiendra les 50 % nécessaires dès samedi et qu’un second tour devra départager les deux candidats les plus forts deux semaines plus tard.
Babiš, encore et toujours
S’il sillonnait le pays depuis des mois pour pourfendre la coalition de centre-droit sur les thèmes de la vie chère et de la crise énergétique, l’ex-premier ministre a attendu le dernier moment pour annoncer sa candidature. Il avait souvent déclaré dans le passé que le poste de président ne l’intéressait pas du tout. « À cause de ce qui se passe en ce moment, à cause du gouvernement qui aide si peu les gens dans ce pays, je dois essayer de devenir président », a-t-il dit pour justifier son volte-face.
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C’est justement son image de manager de crise, hyperactif et proche des gens ordinaires, qu’il essaie de mettre de l’avant. Refusant de participer aux débats avec les autres candidats, il a préféré se placer au-dessus de la mêlée en choisissant des rencontres privées avec ses fidèles ainsi que des interventions dans des médias complaisants. Lors de sa campagne, Babiš a tenté de projeter une image plus sereine et a limité ses attaques contre ses adversaires. Ce mardi, lors d’un court voyage en France, il a même pu s’afficher en homme d’État grâce au concours de son allié européen, Emmanuel Macron, qui l’a reçu à l’Élysée.
La montée de Nerudová illustre bien le caractère superficiel de cette campagne présidentielle, dans laquelle la personnalité et le passé des candidats semblent être les éléments décisifs.
Petr Pavel, le général en canadienne
Surnommé ‘Général Pavel’, l’ex-militaire de 61 ans fait depuis longtemps office de favori pour remporter la course à la présidence. Il a fait une carrière militaire impressionnante jusqu’au grade de chef d’état-major général de l’armée tchèque, puis a été président du Comité militaire de l’OTAN jusqu’à sa retraite en 2018. Avant cela, en 1993, il s’était distingué avec son unité sur le champ de bataille en ex-Yougoslavie, sauvant une cinquantaine de soldats français encerclés, ce qui lui a plus tard valu la Légion d’honneur.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la crise socio-économique, le Général se présente comme un garant de stabilité, comme l’exprime le slogan de sa campagne : « Rendons l’ordre et le calme à la Tchéquie. » Malgré ce passé de militaire, la campagne de Pavel a aussi mis de l’avant son image d’homme ordinaire proche des gens, notamment en portant des chemises canadiennes à carreaux de style bûcheron. Cette chemise est même devenue un symbole de ralliement pour ses partisans.
La sympathique rectrice
« Peut-être que certains d’entre vous ne me connaissent pas. Je ne suis pas une célébrité. Je ne suis dans aucun parti, aucun mouvement, aucune organisation. Je suis une économiste, ancienne rectrice d’université et mère de deux enfants. » C’est ainsi que Nerudová s’est présentée au public il y a six mois, au lancement de sa campagne électorale. Âgée de 44 ans, elle a eu une carrière académique fulgurante, qui a fait d’elle la plus jeune rectrice du pays quand elle a pris la direction de l’Université Mendel de Brno en 2018, alors qu’elle n’avait même pas 40 ans.

En plus de miser sur cette brillante carrière, Nerudová a profité de son statut de nouvelle venue en politique, son jeune âge et son sexe pour se présenter comme « le changement qui fera démarrer la Tchéquie ». Même si elle défend des positions de droite libérale, elle se veut aussi la présidente des oubliés et des marginalisés. Grâce à une longue campagne de terrain et un usage réussi des médias sociaux, Nerudová s’est fait connaître du grand public et a conquis tant d’électeurs que certains sondages la mettaient même en tête début décembre.
Bataille d’images
La montée de Nerudová illustre bien le caractère superficiel de cette campagne présidentielle, dans laquelle la personnalité et le passé des candidats semblent être les éléments décisifs. En faisant une campagne strictement positive et en évitant soigneusement les sujets controversés, Nerudová a réussi à s’établir comme une femme sympathique au passé propre. Ses messages vides semblaient plutôt plaire que susciter la critique.
En bondissant dans les sondages, elle a cependant attiré l’attention de la presse, qui s’est penchée de plus près sur une affaire de commerce de doctorats sous sa gouverne à l’Université Mendel. Des agences recrutaient des étudiants étrangers, principalement d’Allemagne et d’Autriche, pour leur offrir des doctorats rapides sous des conditions favorables. Pour la modique somme de 25 000 €, dont seul un cinquième revenait à l’université. Si Nerudová a effectivement mis fin à ces pratiques, il semble qu’elle ait plutôt traîné pour agir. En plus de perdre son innocence aux yeux des électeurs, elle a parfois paru chancelante sous le feu des critiques.
Du côté du Général, son passé au sein de l’armée et du parti au temps du socialisme d’État a fait l’objet de critiques dès l’annonce de ses visées présidentielles. Petr Pavel joue depuis le début la carte de la franchise et du repenti, répétant qu’il n’a jamais caché son passé et qu’il a prouvé dans les trente dernières années qu’il est du bon côté. Alors que Nerudová s’est retrouvée dans la tourmente dans la dernière ligne droite, Pavel a l’avantage d’avoir déjà surmonté la tempête. Les électeurs ont depuis longtemps pu se positionner sur son passé et décider s’il le disqualifie.
Lors des débats, Pavel a paru beaucoup plus calme et décidé dans ses interventions, tandis que Nerudová semblait parfois hésitante et éteinte. Les tout derniers sondages indiquaient que Nerudová était légèrement en baisse au troisième rang. À la fin du débat de dimanche soir à la télévision publique, le syndicaliste Josef Středula est venu à sa rescousse. Candidat crédité de quelques pourcentages d’intentions de vote, il a annoncé qu’il se retirerait de la lutte et a appelé ses partisans à voter pour Nerudová afin d’éviter un duel entre deux candidats au passé lié au régime communiste.
La surprise Babiš
Si Babiš pensait avoir un passe garanti pour le deuxième tour grâce à son fidèle noyau électoral de 25-30 %, la montée de Nerudová est venue le menacer d’une défaite au premier tour. Sa stratégie d’évitement des débats pour ne s’adresser qu’à ses partisans pourrait s’avérer coûteuse. En effet, cette stratégie lui donne moins de visibilité et l’empêche de projeter une image moins conflictuelle au grand public, auprès duquel il suscite plus de rejet que d’adhésion. Il a certes utilisé le temps des fêtes pour se présenter en bon père de famille cuisinant à la maison et ouvrant les cadeaux, mais est-ce que cela a été suffisant pour convaincre les sceptiques et les indécis ?
Andrej Babiš a certes eu la chance de voir cette dernière semaine commencer avec son acquittement dans une affaire de détournement de fonds qui le poursuivait depuis des années, puis le désistement du seul candidat de gauche Středula pourrait lui apporter quelques votes en plus, mais le grand moment de vérité pour son premier tour viendra ce jeudi soir, quand il participera à son seul et unique débat télévisé. Sera-t-il capable de troquer son style belliqueux et arrogant pour se présenter en candidat serein et rassembleur ?
Cette question vaut certes pour le premier tour, mais encore plus pour le deuxième tour. L’ex-premier ministre est un personnage si clivant qu’il peine à convaincre au-delà de sa base électorale. À tel point que les sondeurs donnent entre 15 et 20% d’avance autant à l’ex-militaire qu’à l’ex-rectrice en cas de duel avec Babiš. Il se peut donc bien que le premier tour vienne déjà déterminer le nom du successeur ou de la successeure de Miloš Zeman. Le comptage des voix du premier tour risque donc d’être bien plus passionnant que celui du deuxième tour, prévu pour les 27 et 28 janvier.