Pour Diane et les résidents non-européens en Roumanie, l’espoir de Schengen

Diane Roman-Inamahoro, une femme de 34 ans originaire du Burundi installée à Cluj, espère l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen pour pouvoir enfin se déplacer hors du pays. Le Conseil de « Justice et des Affaires Intérieures » de l’Union Européenne doit voter pour ou contre l’adhésion de la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie à l’espace Schengen ce 8 décembre.

(Correspondance à Bucarest) – Le soleil vient de se lever sur Bucarest et Diane Roman-Inamahoro a un programme bien chargé devant elle. La femme de 34 ans, originaire du Burundi, participe à une émission télé de cuisine sur le modèle de MasterChef. Les longues journées de tournage dans la capitale roumaine s’enchaînent et peuvent durer jusqu’au milieu de la nuit. « Je suis contente de ne pas encore être éliminée ! rit-elle. Je ne suis pas une cuisinière pro, mais je participe à cette émission pour me faire connaître et présenter mes activités. »

Diane s’est installée en Roumanie en 2012, à Cluj-Napoca, avec son compagnon roumain qu’elle a rencontré au Burundi. Alors étudiante en sciences politiques, elle décide de réaliser son master de développement international à l’université de Cluj. « Dans mon cas, ce n’était pas très compliqué de faire un visa étudiant. Je l’ai eu en un mois. Mais ça dépend des consulats et des ambassades » relate la femme multilingue, qui parle le kirundi, sa langue maternelle, le français, l’anglais et le roumain.

Longues procédures pour la nationalité roumaine

Aujourd’hui mère de quatre enfants, Diane est médiatrice culturelle dans une association qui promeut les cultures africaines et aide les migrants non-européens à s’installer en Roumanie. L’été, elle et son mari tiennent une petite entreprise de location de kayaks et de planches à voile au bord d’un lac, non loin de Cluj. Elle espère aussi fonder une petite agence de voyage vers le Burundi, où elle retourne de temps en temps. Mais malgré son permis de résidence permanente, elle ne peut toujours pas voyager dans le reste de l’Union Européenne, alors que la frontière hongroise (et de Schengen) n’est qu’à trois heures de route. Pour cela, il lui faut obtenir le fameux sésame, un visa Schengen. « J’ai essayé, mais c’est beaucoup trop compliqué et coûteux, cela prend du temps, je dois aller aux ambassades à Bucarest, à l’autre bout du pays, et attendre plusieurs semaines » explique-t-elle.

« Jusqu’en 2015, je pouvais voyager avec mes enfants roumains, mais cette règle a été changée avec la crise migratoire. »

Diane Roman-Inamahoro.

Car même si la Roumanie fait partie de l’Union Européenne depuis 2007, elle n’est pas intégrée à l’espace de libre circulation des personnes et des marchandises. Ainsi, les procédures pour obtenir un visa en Roumanie sont différentes de celles d’un visa Schengen. Il n’est pas possible pour les personnes non-européennes et non-exemptées de visa de sortir du pays d’Europe orientale, sauf dans l’illégalité. Diane détaille la complexité de ce système : « Jusqu’en 2015, je pouvais voyager avec mes enfants roumains, mais cette règle a été changée avec la crise migratoire. Depuis, je ne peux plus aller dans le reste de l’UE, sauf certains pays qui ont des accords bilatéraux comme le Portugal. Mais là encore, les compagnies aériennes peuvent décider de ne pas nous laisser monter dans l’avion. C’est arrivé à un ami de Cuba. » La jeune femme n’a pas pu aller voir son oncle qui habite en France ou d’autres amis résidents en Europe. Elle a également raté certaines opportunités professionnelles qui lui demandaient des déplacements dans l’espace Schengen.

La Burundaise espère bientôt obtenir la nationalité roumaine, une procédure longue et incertaine. « Je me suis mariée en 2016, et il faut attendre cinq ans de mariage avant d’envoyer une demande. Cela fait plus d’un an et demi que j’ai déposé le dossier et je n’ai toujours pas de nouvelles » déplore-t-elle. Le dossier doit passer entre les mains de plusieurs instances, et si un document manque, elle devra recommencer.

La Roumanie, au seuil de Schengen

En discussion depuis onze ans, l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen est revenue sur la table ces derniers mois. Le 8 décembre, les états membres du Conseil « Justice et Affaires intérieures » (JAI) de l’Union Européenne doivent se prononcer sur l’adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie à l’espace Schengen, qui ne sera validée qu’à l’unanimité. « Tout est parti de la décision européenne de s’ouvrir à la Croatie à partir de l’année prochaine, explique le politologue et ancien eurodéputé Cristian Preda. La Croatie a intégré l’UE en 2013, soit six ans après la Roumanie et la Bulgarie. « Ces dernières font alors pression sur les États membres qui bloquent notre entrée pour nous accepter en même temps que les Croates. » La Roumanie a obtenu le feu vert de la majorité des pays, du Parlement européen et de la Commission, mais des obstacles subsistent.

Dossier : Le rêve européen des travailleurs asiatiques en Roumanie

D’abord, la question de la Bulgarie. Plusieurs pays comme les Pays-Bas s’opposent à son entrée, car ils doutent de sa capacité à lutter contre la corruption et le crime organisé, un des principaux critères pour entrer dans Schengen, avec la protection des frontières. Sauf que la Roumanie peut difficilement entrer sans sa voisine. Les deux pays partagent une frontière commune qui n’est pas conforme aux normes de Schengen, et qui ne peut donc pas devenir une frontière extérieure dans un futur proche. L’autre défi reste à convaincre l’Autriche, dernier pays à s’opposer à l’entrée de la Roumanie, notamment sur la question de la gestion des flux migratoires qu’elle juge insatisfaisante.

Pour l’économiste Cristian Paun, l’adhésion dans Schengen serait plus une victoire politique qu’économique : « Certes, la libre de circulation des personnes et des marchandises est bénéfique, car notre commerce extérieur dépend à 70 % de l’UE. On passerait de trois passages de frontières à zéro contrôle entre la Hongrie et la Grèce si les deux pays entrent. Il n’y aurait plus de files d’attente. Mais les avantages économiques restent moindres. Ce sera avant tout une façon pour le gouvernement roumain de se légitimer. » Pour lui, entrer dans la zone euro serait plus significatif d’un point de vue économique.

Pays d’accueil de travailleurs venus d’Asie

Pour les Roumains, l’avantage principal sera une attente moins longue aux aéroports et aux frontières terrestres, mais pour les personnes non-exemptées de visa qui sont installées en Roumanie, la différence est grande (contacté par Le Courrier d’Europe Centrale, l’Inspectorat Général de l’Immigration fournit des détails sur les droits des résidents non-européens et non exemptés de visas résidant en Roumanie, si le pays entre dans l’espace Schengen : « les citoyens tiers, titulaires d’un permis de séjour en Roumanie, pourront voyager dans l’espace Schengen pour des séjours n’excédant pas 90 jours pendant toute période de 180 jours précédant chaque jour de séjour. »). En plus des étudiants, des réfugiés ou des expatriés venus du monde entier, le pays accueille depuis les années 2000 des travailleurs venus des pays d’Asie. À partir de 2016, le manque de main d’œuvre est tel que Bucarest décide d’augmenter les quotas de visa pour les travailleurs venus d’Inde, du Népal ou du Vietnam, passant d’un quota de 3 000 visas en 2016 à 100 000 en 2022. Selon, Melania Pop, de l’agence de recrutement International Work Finder : « aujourd’hui, près de 100 % des demandes de visas de travail sont acceptées pour la Roumanie ».

Au début d’année, Le Courrier d’Europe Centrale a longuement documenté la situation de ces travailleurs migrants, dont beaucoup sont victimes d’abus. L’entrée dans l’espace Schengen leur permettrait de voyager dans le reste de l’UE, mais aussi de limiter l’activité de passeurs, qui profitent de la situation désespérée de certains de ces travailleurs pour leur faire traverser la frontière hongroise contre des milliers d’euros, parfois au péril de leur vie.

En revanche, pour Diane, l’entrée dans Schengen changerait la donne pour ceux qui veulent venir en Roumanie : « je pense que ce sera plus compliqué d’entrer dans le pays s’il fait partie de l’espace Schengen. Il y aura sans doute moins de personnes qui pourront obtenir le visa, que ce soit pour les étudiants ou les travailleurs. » Melania Pop corrobore : « selon moi, les règles pour obtenir un visa pour travailler en Roumanie se rapprocheront de celle de la Pologne, et le pourcentage d’admission pourrait approcher les 30 % ».

Entrée de la Roumanie dans Schengen ou obtention de son passeport… quel sera le premier ? Diane n’est pas en mesure de le dire, mais dans tous les cas elle espère ne pas devoir attendre encore plusieurs années.

Marine Leduc

Journaliste indépendante en Roumanie et en France. Elle publie dans La Croix, Télérama, Equal Times, Le Monde Diplomatique, Basta!, Axelle magazine, et Regard, la revue francophone de Roumanie.

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