Sur une ligne dure, la Lituanie ne sait pas quoi faire des migrants

A l’été 2021, plusieurs centaines de migrants venus d’Irak, du Kurdistan ou de pays africains traversaient quotidiennement la frontière entre la Biélorussie et la Lituanie qui a commencé à les refouler massivement. Un an plus tard, alors que la Lituanie a accueilli au total 4 400 migrants, le sort de ceux qui sont toujours présents dans le pays demeure incertain.

(Vilnius, correspondance) – Donatien, venu du Cameroun, est désormais logé dans le camp de Kybartai, une ancienne prison gérée par le service des gardes-frontière, tout à l’ouest de la Lituanie, à la frontière avec l’exclave russe de Kaliningrad. Il est arrivé le 4 juillet 2021 en Lituanie, après avoir passé plusieurs mois en Biélorussie. Il raconte qu’il avait été envoyé à Minsk par une connaissance au Nigeria chez qui il travaillait comme éleveur de bétails, après avoir fui des attaques de rebelles dans le Cameroun anglophone. « Un beau matin, on lit dans Google que les frontières sont ouvertes. Et comme moi, je cherchais la vie, je me suis dit, je ne peux pas rester dans un pays où il n’y a pas de travail, je ne peux pas étudier normalement. Je n’ai pas de soutien » a-t-il raconté peu de temps après son arrivée, logé dans l’ancienne école du village de Vydenai, vide depuis longtemps faute d’écoliers.

Le passage de la frontière s’est fait à pied en traversant les forêts. Donatien est resté jusqu’à l’automne au camp de Vydenai. Un mois et demi après son arrivée, il a enfin pu déposer sa demande d’asile. A l’automne, il a été transféré dans le camp de Medininkai. Ce lieu d’hébergement, adossé à l’école des gardes-frontière, a été monté de toutes pièces en quelques semaines avec des dizaines de conteneurs équipés de lits pour les accueillir. Mais ce camp va désormais bientôt fermer et ses habitants sont en train d’être répartis dans les quatre camps encore restant.

Ils sont 4 400 migrants à être arrivés en Lituanie il y a un an. Ce flux de réfugiés auxquels le régime de Loukachenko a ouvert les frontières est qualifié d’« attaque hybride » par les autorités locales. Ainsi, selon Vilnius, le régime de Minsk cherche à se venger du soutien lituanien à l’opposition démocratique biélorusse. Peu de temps après le détournement de l’avion de ligne et l’arrestation de l’opposant Roman Protassevitch, Alexandre Loukachenko avait menacé publiquement le 26 mai 2021 d’« inonder les pays voisins de migrants et de drogues ». Ce qu’il a fait en organisant au niveau national des vols entre l’Irak et Minsk et en faisant la publicité d’un accès facile à l’Europe. Cette vision de la situation, déshumanisée, n’a jamais changé au fil des mois, malgré les rapports toujours très critiques dénonçant les terribles conditions d’hébergement des migrants, publiés autant par des institutions locales que des ONG réputées dans la défense des droits de l’homme.

À la frontière polono-bélarusse, la traque des migrants se poursuit

Dès le début de la crise, la Lituanie n’a cherché qu’une solution pour y remédier : le retour des migrants dans leur pays d’origine. Le ministre des Affaires étrangères Gabrielius Landsbergis s’est déplacé en Irak durant l’été 2021 pour trouver un accord avec les autorités locales pour le retour de leurs ressortissants, puisque le pays n’accepte pas les retours forcés. Mais pour l’instant, seuls les retours volontaires ont eu lieu en grande majorité. Ils sont plus d’un millier de migrants à avoir accepté cette offre. Après avoir proposé quelques centaines d’euros, la Lituanie offre désormais 1 000 euros à toute personne souhaitant retourner dans son pays. L’offre est encore valable jusqu’à 22 septembre 2022.

Donatien attend aujourd’hui de recevoir sa carte d’identification barrée d’un trait vert qui lui donnera la possibilité de se déplacer sur le territoire lituanien et de pouvoir travailler. Mais il n’est sûr de rien. Début juillet, il a dû signer un papier qui prolonger encore « de trois mois sa détention » Il ne sait pas non plus où en est sa demande d’asile et les recours qu’il a formulés suite au premier refus. Seulement 138 personnes en ont bénéficié. Après avoir amendé la loi sur les étrangers deux fois pour prolonger leur détention de 6 mois, au tout début de la crise puis le 23 décembre, la Lituanie a décidé désormais d’accorder un statut de tolérance pour les migrants, comme ce délai expire. Avec cette carte, ils ne pourront pas franchir légalement les frontières de la Lituanie pour se rendre dans un autre pays, mais pourront travailler et habiter hors du camp.

Les migrants ne peuvent pas disposer d’appareils électriques dans leurs logements. Dans les conteneurs servant de cuisine, il n’existe aucune possibilité d’amener l’eau courante.

Malgré l’interdiction de sortir du territoire et demander l’asile dans un autre état, plus de 1 300 personnes ont déjà fait défection, ce qui prouve pour les autorités lituaniennes que « ces migrants n’avaient pas pour but de rester en Lituanie ». Néanmoins, le récent rapport au vitriol d’Amnesty qui parlent de « renvois forcés et détentions illégales » mais aussi ceux de l’ombudsman lituanien, Erika Leonaite décrivent des situations très difficiles dans les différents camps lituaniens ce qui explique cette fuite en avant. Dans un premier rapport publié en janvier 2022 sur le centre de Kybartai, tout comme dans le dernier rapport publié début juillet 2022 sur le camp de Medininkai, elle constate « que la détention de facto sur le long terme constitue un affront à la dignité ».

Elle note également que les migrants ne peuvent pas disposer d’appareils électriques dans leurs logements. Dans les conteneurs servant de cuisine, il n’existe aucune possibilité d’amener l’eau courante. Les différents secteurs du camp sont verrouillés et il est impossible pour les migrants de passer d’un secteur à l’autre librement. Dans son jugement du 30 juin 2022, suite à la plainte d’un migrant la cour de justice de l’Union européenne s’attaque à la législation lituanienne et a stipulé que « le droit de l’union s’oppose à la législation lituanienne en vertu de laquelle, en cas d’afflux massif d’étrangers, un demandeur d’asile peut être placé en rétention au seul motif qu’il se trouve en séjour irrégulier. »

Malgré de tels documents accablants pour la Lituanie, les voix des rares personnes qui s’engagent pour un accueil humain de ces migrants restent difficilement audibles. Ils sont trois députés à s’être engagés pour eux. Grâce à une association humanitaire locales, ils ont organisé l’exposition de tableaux peints dans les camps. Tous sont des appels à la liberté. A cette occasion, une discussion a eu lieu au Parlement, mais il a été difficile de trouver un terrain d’entente.

« La Lituanie est désormais un pays d’accueil. Les gens sont enfermés depuis un an. Le pays a reçu 47 millions d’euros en un an pour maîtriser les flux migratoires. Nous avons 4500 migrants, cela fait plus de 10 000 euros par personne. Nous aurions pu les dépenser pour autre chose que la violence de ces camps » déplore Vytautas Bakas l’un de ses trois députés. Bart Pauwels est un enseignant belge qui a organisé des cours pour les enfants présents dans les camps. Ses constations confirment ce que les rapports ont établi. « J’ai vu qu’il y avait de longues périodes de silence dans leurs dossiers, alors qu’il y avait quand même des actions qui étaient faites par les tribunaux et les services des migrations, mais les migrants n’étaient pas informés. Il y avait un silence voulu de la part des autorités » souligne-t-il.

 

Manifestation en faveur de l’accueil des migrants à Vilnius, le 13 juin 2022. Photographies : Marielle Vitureau.

Vilnius poursuit sa ligne dure pour traiter la crise des migrants. Les tentatives de passer la frontière ont repris depuis le début de l’été. Chaque jour, les gardes-frontière lituaniens repoussent quelques dizaines de personnes. La construction de la barrière physique qui a débuté l’année dernière est presque achevée. 353 kilomètres de barrière de fils barbelés coupants ont déjà été aménagés. Malgré le souhait de la Lituanie de la faire financer sur les deniers européens, la Commission européenne a toujours opposé un non strict, au grand dam des autorités locales.

Néanmoins, la Lituanie espère faire infléchir la position de l’Union européenne en matière d’immigration. « La Lituanie est en consultations avec les institutions de l’Union européenne pour inscrire dans la loi la redirection des migrants illégaux » a indiqué la ministre de l’Intérieur Agne Bilotaite. Cette disposition serait en vigueur en cas de situation extrême, d’état d’urgence ou de guerre. La Lituanie nie refouler les migrants, elle estime simplement ne pas les laisser entrer. La ministre souhaiterait que ces amendements initiés par la Lituanie soient inscrits dans le droit européen.

Les amendements à la loi adoptés le 30 juin 2022 sur la situation des étrangers permettent désormais aux étrangers désormais « tolérés » sur le territoire lituanien de travailler douze mois après leur enregistrement dans le système migratoire lituanien, alors qu’auparavant ce délai était de cinq ans. Certains sont libérés avant l’échéance de ces douze mois et travaillent pour le moment illégalement, le temps de remplir toutes les formalités, comme l’a indiqué au Courrier d’Europe centrale un volontaire de l’association Grupe Siena, qui après avoir aidé les migrants sur la frontière les assiste désormais pour s’intégrer dans la société ou défendre leurs droits. Une nouvelle page de l’histoire de ces migrants s’ouvre en Lituanie.

Marielle Vitureau

Journaliste spécialiste des Pays baltes, pour RFI, Radio France, AFP. Auteur des Lituaniens (éditions Henry Dougier) et du Dictionnaire insolite des pays balte (éditions Cosmopole).

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.