Hongrie : Un an après, il ne reste rien de l’alliance anti-Orbán

Après leur déroute électorale le 3 avril 2022, les six partis qui formaient un bloc d’opposition contre le Fidesz de Viktor Orbán se sont désunis.  

C’était il y a un an, le dimanche 3 avril 2022, un peu avant minuit à la Bálna. « Notre victoire est si énorme qu’on peut la voir depuis la lune », triomphait le dirigeant souverainiste hongrois qui venait d’écraser la concurrence, s’adjugeant 54 % des voix, 88 des 106 circonscriptions et donc 135 des 199 députés de l’Assemblée. Dans le camp d’en face, les perdants, eux, ne s’épargnaient le déshonneur qu’en rejoignant in extremis sur scène leur tête de file, Péter Márki-Zay. Partout le Fidesz avait progressé, et la coalition avait remporté moins de voix que la somme de ses six partis aux législatives précédentes de 2018.

Les raisons de la large victoire électorale d’Orbán en Hongrie

Chacun pour soi

Péter Ungár, co-président du LMP, a été le premier à tirer le constat : « La coopération entre les partis d’opposition est morte », a-t-il déclaré au début du mois de février, lors du congrès du parti, dont la nouvelle mission n’est plus de déboulonner le Fidesz, mais d’imposer un parti vert dans la vie politique hongroise. « Combien de fois on nous a dit qu’il suffisait de rejoindre la coalition pour une victoire salutaire ? Nous avons rejoint la coalition, nous avons été battus. La conclusion est tirée, l’unité est morte », a conclu Ungár. Le parti de gauche libérale Momentum tirait, au même moment, les mêmes conclusions.

Ferenc Gyurcsány, le patron de la Coalition démocratique, le principal parti de l’opposition – qui malgré son impopularité n’a pas renoncé à retrouver un jour le fauteuil de premier ministre qu’il a occupé de 2004 à 2009 – leur a rapidement rétorqué : « La coopération de l’opposition n’est pas morte. Elle n’est pas activée pour le moment, mais elle le sera le moment venu ». Et de répéter ses nouveaux mantras : « Quiconque n’est pas contre le Fidesz, est avec lui et est contre le pays » et « soit tout le monde s’unit de notre côté, soit le Fidesz reste ». 

Une bataille pour le leadership

Pour continuer d’exister alors qu’ils semblent en incapacité de se saisir de la moindre actualité politique, chacun court dans sa ligne, mais vers où et dans quel but ? Momentum a lancé une grande campagne d’affichage pour imposer la figure d’Anna Donáth, sa nouvelle présidente, qui prétend vouloir faire prendre à la Hongrie « un nouveau chemin ». La Coalition démocratique de Klára Dobrev fait mine de conserver le contrôle en jouant selon son propre calendrier et avec un « gouvernement fantôme » censé représenter une alternative concrète au 5e gouvernement du Fidesz.

Le parti socialiste MSZP et le Jobbik sont aux abonnés absents et même virtuellement morts si l’on en croit les enquêtes d’opinion. Seul le LMP, le parti écologiste et agrarien, retrouve un nouveau souffle en organisant des contestations locales contre les usines asiatiques de production de batteries électriques qui poussent comme des champignons, notamment contre le chinois CATL à Debrecen.

Péter Márki-Zay, qui avait remporté par surprise l’élection primaire organisée par les six partis à l’automne 2021, puis mené une campagne en miroir de celle du Fidesz, croit toujours à son destin et a fondé le parti « Mindenki Magyarországa Mozgalom » à son image : conservateur socialement, libéral économiquement. C’est aussi le cas d’Attila Mesterházy, ancien président du MSZP qui, voyant le bateau socialiste sombrer, a préféré en sauter et créer son propre parti de gauche social-démocrate « Szocialisták és Demokraták ».

Après la débâcle, quel avenir pour les opposants d’Orbán en Hongrie ?

Se sachant trop impopulaires pour ne faire autre chose que l’abîmer, les partis de l’opposition n’ont même pas vraiment essayé de surfer sur le grand mouvement de protestation des enseignants des écoles, collèges et lycées, très populaire dans l’opinion publique. Signe de leur incapacité à se saisir de l’actualité et à se présenter comme des alternatives crédibles, même quand la popularité du Fidesz a baissé à l’automne-hiver, cela n’a pas profité à ses opposants. Seule note positive pour les opposants, une victoire convaincante lors d’une élections municipale partielle à Jászberény au mois de janvier, mais qui tient essentiellement à la personnalité forte de son maire (un ancien du Jobbik) et en aucun cas à une dynamique de fond.

Gyurcsány, encore et toujours

Près de quinze ans après avoir été écarté du pouvoir, Ferenc Gyurcsány semble ne pas avoir renoncé à son « come back », tout au moins par l’intermédiaire de son épouse, Klára Dobrev. Dans nombre de municipalités remportées en 2019 par la coalition anti-Orbán (qui avait inspiré un front uni encore plus large pour les législatives de 2022), la bataille est rude pour le contrôle de l’opposition. La tension est particulièrement forte entre Momentum et la Coalition démocratique et s’est révélée au grand jour lorsque Momentum a contesté la décision de la Commission électorale nationale d’attribuer à la Coalition démocratique plutôt qu’à Momentum le siège d’un député décédé dans une circonscription de Székesfehérvár. Judit Földi Rácz qui en a hérité étant accusée d’être liée à une société offshore gérant un lave-auto et un bar de strip-tease.

En Hongrie, l’opposition à Orbán accusée d’avoir été financée par les États-Unis

Résultat, en dépit d’une inflation record en Europe (+25 %) qui pèse de tout son poids sur les ménages hongrois, en dépit des milliards d’euros toujours bloqués par l’Union européenne, en dépit de l’isolement diplomatique, plus grand que jamais de la Hongrie sur la scène internationale, Viktor Orbán reste le maître incontesté du pays, caracolant très loin devant ses adversaires dans les sondages, et on ne voit pas, un an après sa quatrième élection d’affilée, ce qui pourrait venir l’affaiblir.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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