Hongrie : le gouvernement Orbán chamboule le monde des autoentrepreneurs

L’Assemblée nationale a approuvé mardi une législation qui plonge dans l’incertitude plusieurs centaines de milliers d’autoentrepreneurs en Hongrie.

Le gouvernement Fidesz de Viktor Orbán a procédé à sa manière. Présentée lundi en fin de journée aux députés, approuvée dès le lendemain après seulement quelques heures de débats parlementaires, une nouvelle loi va rendre la vie impossible aux quelques 450 000 travailleurs indépendants en Hongrie qui fonctionnent sous le régime dit « Kata », proche de celui des autoentrepreneurs en France.

Selon la nouvelle loi, les autoentrepreneurs ne pourront utiliser ce statut que dans le cadre d’une activité à temps plein, donc fini les activités en complément d’un emploi. Mais surtout, ils n’auront plus le droit de facturer leurs services à des entreprises, mais seulement à des particuliers. Comme l’écrit le média indépendant « Telex », cela revient à « tuer de sang-froid » le Kata.

Et pour rendre la gifle plus douloureuse encore, ces petits entrepreneurs n’ont que jusqu’au 1er septembre pour se mettre en conformité : c’est-à-dire évoluer vers le régime fiscal normal, beaucoup moins avantageux, mettre la clé sous la porte, ou rejoindre l’économie souterraine.

Pont Erzsébet, Budapest, juillet 2022. Crédit : Corentin Léotard / CdEC

Or, c’est précisément pour légaliser cette petite économie des services rendus par les artistes, auteurs, graphistes, coursiers, coiffeurs, codeurs, traducteurs, professeurs de langue, etc., que le Fidesz avait créé le statut Kata il y a dix ans. Mais il est aujourd’hui à la recherche désespérée de nouvelles recettes fiscales pour faire face aux difficultés économiques qui s’accumulent. Ses opposants politiques estiment que les autoentrepreneurs font les frais d’une cure d’austérité brutale.

Concrètement, des autoentrepreneurs qui paient un forfait fixe mensuel de 50 000 forints d’impôts (approximativement 125 euros) devront payer 200 000 huf à l’avenir, soit quatre fois plus qu’à l’heure actuelle.

Crédit : Corentin Léotard / CdEC
Le pont Marguerite bloqué

Des manifestations spontanées se sont déroulées mardi à Budapest. Après un rassemblement devant le parlement, des manifestants ont bloqué le pont Margit qui relie Buda à Pest jusqu’à 20 heures.

Rencontrée sur le pont, Anna, la petite soixantaine assure s’être longtemps débattue pour réussir à travailler légalement et à payer des taxes. Pas facile dans l’industrie du cinéma, où elle fait des sous-titrages de l’anglais au hongrois. « J’avais trouvé de la stabilité depuis un an et tout est à recommencer… », nous dit-elle, effondrée.

Dóra Csányi, éditrice de livres pour enfants, n’a « absolument pas la moindre idée » de ce que lui réserve l’avenir. Elle nous explique que 90 % du monde l’édition va être impacté : auteurs, illustrateurs, graphistes… tous ces gens qui ne peuvent vivre que de ça exercent souvent en complément d’un emploi. « Ils ne pourront pas être payés à un régime normal sans une forte augmentation du prix des livres. Et qui en Hongrie pourra acheter un livre à 30 euros ? Mais moins de livres pour les enfants, ce n’est pas quelque chose qui doit beaucoup déranger le gouvernement… Regardez les gens qui sont là, ce sont des citadins, des artistes, des intellectuels, donc des gens qui ne comptent pas aux yeux du pouvoir, ou qu’il veut punir ».

Dóra Csányi (en jaune), éditrice, manifeste sur le pont Margit. Budapest, juillet 2022. Crédit : Corentin Léotard / CdEC
Kata pour sauver le Kata ?

Les coursiers à vélo et à scooter sont aussi concernés. Sur le pont Marguerite, une salve d’applaudissements salue l’arrivée en masse des travailleurs des grandes entreprises de livraison (Wolt, Food Panda…) qui ont fondé leur modèle économique sur le recours aux autoentrepreneurs en Kata.

Prudent, le gouvernement a exempté les taxis, qui, eux, pourront continuer à exercer en autoentrepreneurs pour les grandes compagnies. Cette profession que le pouvoir redoute avait paralysé la capitale dans les années 90. A voir si le petit monde des coursiers, artistes, et autres saura faire valoir ses droits.

Leur seul espoir : que la présidente de la République fraichement désignée, Katalin « Kata » Novák, demande aux députés d’adoucir le texte. Une façon pour elle, selon un hypothétique scénario écrit à l’avance avec l’exécutif, de faire montre d’indépendance et de faire accepter aux indépendants une forte augmentation de leurs impôts, mais moins drastique que celle initialement prévue. En d’autres termes, selon les bons mots échangés sur l’internet hongrois, si Kata ne sauve pas le Kata, c’est la cata’.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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