Gergely Bese, prêtre d’une Église catholique hongroise conservatrice

Le Courrier d’Europe centrale a rencontré Gergely Bese, prêtre catholique en Hongrie. Pour lui, le Fidesz est une bénédiction pour l’Église catholique hongroise, mais il faudra plusieurs décennies pour enrayer la sécularisation.

Le père Gergely Bese est arrivé au rendez-vous en soutane, sur la place Kálvin au centre de Budapest, du nom de Jean Calvin, à l’origine du calvinisme, la seconde religion en Hongrie après le catholicisme. Le moment est spécial pour l’Église catholique, toute à la préparation de l’arrivée imminente de son chef spirituel, le pape François, du 28 au 30 avril. Des Chrétiens libéraux, minoritaires, ont saisi l’opportunité de faire entendre leur voix : le gouvernement de Viktor Orbán, estiment-ils, instrumentalise l’Église à des fins purement politiques et prône un national-christianisme à l’opposé de l’Église ouverte que veut représenter le pape. Le père Bese n’est pas l’un d’eux. Il fait partie de ce clergé majoritairement conservateur et idéologiquement proche du Fidesz. Nous l’apprendrons après l’entretien, il est le prêtre qui avait béni le bureau de Viktor Orbán logé dans le couvent des Carmélites au début de l’année 2022.

Le Pape François en Hongrie pour faire entendre un autre son de cloche

L’Église attaquée

Il n’est pas dupe : il sait pertinemment que la Hongrie d’Orbán a mauvaise presse dans les démocraties libérales desquelles elle veut se démarquer. Mais, dit-il, « ici je me sens bien et en sécurité. Je peux librement me promener avec mon habit de prêtre, chose que j’hésiterais à faire à Vienne ou Berlin ». Difficile de parler religion sans parler politique, l’antienne de la droite conservatrice est connue : la Hongrie et la Chrétienté sont attaqués par le libéralisme, elles ont destins liés, la chute de la seconde entrainerait celle de la première. La jeunesse est de plus en plus difficile à atteindre, en Hongrie comme ailleurs, déplore-t-il. La faute aux réseaux sociaux, à Netflix et à l’indifférence de l’époque, qu’a aggravé la pandémie de Covid-19.  « Des idéologies s’immiscent dans la société », nous dit-il, « la jeunesse est vulnérable à une puissante idéologie libérale ».

« Le plus difficile, c’est réussir à développer une véritable communauté ».

Gergely Bese.

Pour autant, le quotidien décrit par le père Bese est celui classique d’un prêtre aux prises avec la sécularisation, très avancée en Hongrie. Il a été envoyé dans le centre du pays, le long du Danube, où il a la charge de trois paroisses, à Dunavecse, Szalkszentmárton et Tass. Il enseigne le catéchisme (rendu obligatoire à l’école) et la géographie dans le secondaire, et dit les messes, les mariages et les enterrements. « Mais ce que je voudrais faire, et c’est le plus difficile, c’est réussir à développer une véritable communauté ». En quelques années, huit prêtres se sont cassé les dents avant lui : « c’est une région difficile où les catholiques sont en minorité par rapport aux protestants », explique-t-il. De plus, ses paroisses subissent la concurrence d’une « secte de Nazaréens ». « Il y a dix ans, la venue du Pape aurait soulevé l’enthousiasme, mais même pour cela j’ai dû mal à bouger les gens de leur canapé », confie-t-il.

Dénes, animateur d’une paroisse engagée dans l’aide aux démunis

Le père Gergely Bese à Budapest, avril 2023. Photo : Corentin Léotard
Un réveil spirituel ?

« Le pape peut impulser un réveil spirituel », espère-t-il. N’existe-il pas déjà ? Il y a treize ans, donc avec l’arrivée au pouvoir du Fidesz-KDNP, l’environnement a radicalement changé pour le mieux, estime-t-il : les messages et les slogans chrétiens sont devenus visibles, dans les médias, la politique. En comparaison, selon un avis très partagé y compris dans les autres grandes Églises du pays, les sociaux-libéraux s’étaient montrés cyniques et hostiles avec les Églises. « On enregistre des micro-succès, on sent une demande spirituelle. Mais c’est un processus de longue haleine », reconnaît-il toutefois. « Quarante ans de communisme puis vingt ans d’alternance, cela fait soixante ans de perdu et maintenant c’est aux jeunes d’évangéliser leurs parents et leurs grands-parents. Encore faut-il être présent et leur apporter des réponses », développe Gergely Bese. Ce raisonnement est en phase avec celui du pouvoir, qui considère qu’en 2010 le Fidesz a reconnecté le pays au cours naturel de l’histoire, comme on fait rentrer un fleuve dans son lit.

« En Europe de l’Ouest, on ne comprend pas cette idée de coopération entre l’État et l’Église. »

L’alliance solide de l’Église et de l’État offrirait une opportunité à une institution longtemps malmenée dans l’histoire. « En Europe de l’Ouest, on ne comprend pas cette idée de coopération entre l’État et l’Église. Nous partageons les mêmes rêves : que l’on parle encore hongrois dans cent ans dans ce petit pays, que nos enfants restent une valeur sûre, que nos symboles nationaux et religieux soient préservés », énumère le prêtre. Il rappelle que, dans les années 90, la restitution des biens des Églises spoliés par les Staliniens en 1948 n’a été que partielle et aussi gâchée par la très forte inflation qui sévissait alors. Malgré les aides généreuses de l’État, qui va jusqu’à payer une partie des salaires des prêtres, la situation n’est pas idyllique : deux des trois églises de ses paroisses sont en mauvais état et il touche à peine plus de 600 euros pour son dévouement. Malgré ces difficultés, il accompagne tout de même soixante-dix enfants samedi à Budapest auprès du pape et une cinquantaine de personnes, âgées pour la plupart, pour la sainte messe du dimanche sur la place Kossuth.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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