« Kurýr není otrok ! ». « Les coursiers ne sont pas des esclaves ! », scandent la cinquantaine de coursiers et quelques supporteurs sur la place Václav de Prague. Pour une deuxième semaine de suite, des coursiers de l’entreprise Wolt se mobilisent contre un nouveau système de rémunération désavantageux pour eux.
« Quand les prix montent partout, Wolt baisse nos salaires », résume avec amertume un coursier présent mardi sur la place Václav de Prague et que nous appellerons Honza, car il souhaite taire son nom. L’homme dans la trentaine raconte qu’il a commencé à travailler pour la multinationale d’origine finlandaise Wolt il y a trois ans à l’époque de la pandémie et que tout se passait bien jusqu’à ce que l’entreprise modifie son système de rémunération. « Pour moi, les revenus ont baissé d’environ 20 % puisque j’économise en allant en scooter, mais pour les coursiers en voiture ou à vélo, c’est jusqu’à 30 % », calcule-t-il.
De plus, il proteste contre le nouveau système qui n’annonce plus au coursier le prix de la course à l’avance : « Nous ne voyons pas ce pour quoi nous sommes payés, il n’y a pas de transparence, donc nous ne pouvons pas comparer si c’est vraiment plus ou moins. » Après une première action de grève le 1er février, les coursiers ont à nouveau pris la rue ce mardi, insatisfaits des suites données par la direction de Wolt. « Ils ont promis une augmentation, mais j’ai regardé mes revenus totaux sur une journée et ils sont tout à fait identiques », dénonce Honza.
Des auto-entrepreneurs sans droits
« Ils peuvent dire, aujourd’hui on augmente, demain on baisse à nouveau. Mais nous, nous avons besoin de transparence et de salaires plus élevés », commente Lukáš Červený, un autre coursier, qui lui n’hésite pas à donner son nom complet. Selon Lukáš, les prix des courses ont baissé jusqu’à 50 % dans certains cas, et il donne un exemple concret du centre vers un quartier de Prague. À cause de la baisse des revenus, il doit travailler encore plus, dit-il, jusqu’à 16 heures par jour.
Le hic, c’est que les coursiers Wolt ne sont pas des employés, mais plutôt des ‘partenaires’, c’est-à-dire des auto-entrepreneurs collaborant avec la multinationale. Et ce, même s’ils sont soumis à un uniforme et ne peuvent eux-mêmes avoir recours à des substituts pour livrer. Avec ce statut, ils n’ont donc aucun des droits protégeant les employés.

Honza apprécie la flexibilité conférée par ce statut d’auto-entrepreneur, mais Lukáš ne serait pas contre un statut d’employé si cela améliore son salaire. « Les gens disent ‘Oh, ils gagnent beaucoup’, mais ce n’est pas vrai, j’ai d’énormes frais. Je dois payer l’assurance sociale, médicale, j’ai mon scooter, je dois y mettre de l’essence, toutes les réparations sont pour moi », détaille-t-il.
Mobilisation improvisée
« On n’est pas beaucoup à protester, les coursiers que je rencontre dans la rue et les restos ne sont pas contents, mais ils ne s’expriment pas. Peut-être parce qu’ils ont peur, ou qu’ils sont paresseux, je ne sais pas », déplore un coursier dans la soixantaine. Il a travaillé pour d’autres compagnies, mais il considère que Wolt était la meilleure. « C’est dommage que cette entreprise se fasse du tort comme ça », dit-il. Selon lui, les baisses de salaire sont liées au rachat de Wolt par le concurrent américain DoorDash l’été dernier.
« Apparemment, nous gagnons plus d’argent qu’avant, si vous n’étiez pas au courant ».
Les coursiers s’organisent sur les médias sociaux et tentent de faire pression par le biais du public et de la clientèle. Les organisateurs de la mobilisation négocient avec la direction, mais les coursiers présents ne sont pas trop optimistes. Selon Honza, Wolt réagit en engageant de plus en plus de coursiers. « Ces nouveaux ne savent évidemment pas comment étaient les salaires avant, donc ils prennent ces courses sous-payées. Après quelques mois, quand ils vont voir quels sont réellement leurs frais, ils vont comprendre qu’ils ne touchent pas grand-chose », déplore Honza.
Depuis le podium, les organisateurs dénoncent le nouveau système de rémunération et l’attitude de la direction de Wolt, qu’ils jugent malhonnête. « Apparemment, nous gagnons plus d’argent qu’avant, si vous n’étiez pas au courant, c’est juste que vous êtes stupides et vous croyez que vous avez moins », ironise l’un des organisateurs. « Honteux ! », crie l’un des manifestants en réaction. L’organisateur mentionne qu’un nouveau record est tombé hier à Ostrava, où un coursier n’a touché qu’1,32 € pour une commande.

« La direction nous dit que les salaires dépendent de plusieurs facteurs : la quantité de coursiers, la demande, la météo, mais moi j’aimerais bien voir qu’on dise à un maçon qu’on ne sait pas combien il va toucher et que ça dépendra de plusieurs facteurs », lance-t-il à la centaine de personnes rassemblées. Le chef d’un des plus grands syndicats, candidat malheureux à la présidentielle, Josef Středula, est venu assurer les coursiers que les syndiqués étaient avec eux dans un vibrant discours. Après ces interventions, un cortège de coursiers est allé porter leurs doléances au siège pragois de la corporation.
Mobilisation mondiale
Une petite délégation slovaque était aussi sur place et l’un d’entre eux a pris la parole. « Vous combattez aussi pour nous », a lancé le Slovaque. Chez eux, le même système entre en vigueur ce 15 février et il s’attend au pire : « Il n’y a aucun pays où le nouveau système a été adopté avec joie par les coursiers, donc je m’attends aux mêmes problèmes. » Il parle de la situation difficile de beaucoup de coursiers, qui se sont engagés pour Wolt lors de l’épidémie de Covid-19 et qui ne peuvent pas partir du jour au lendemain. « Nous n’atteindrons rien si nous restons assis sur le canapé alors, Messieurs, tenez bon, nous sommes avec vous », a-t-il conclu sous les applaudissements.
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Cette année, les coursiers tchèques ne sont pas les seuls à avoir protesté. En Géorgie, en Finlande et en Israël, leurs collègues ont aussi pris la rue. L’année dernière, la mobilisation avait touché l’Azerbaïdjan, Chypre, le Danemark et Malte, et les coursiers du Kazakhstan s’étaient mobilisés en 2021. En Finlande, plusieurs institutions ont émis l’avis que les coursiers de Wolt devaient être considérés comme des employés, mais d’autres encore ont décrété le contraire. Les syndicats ont saisi les tribunaux.
Au niveau européen, la bataille a fait rage sur la réglementation des travailleurs des plateformes, les entreprises se battant bec et ongle contre toute remise en question du modèle de l’auto-entrepreneuriat. Un compromis a été trouvé au Parlement européen en décembre 2022 et le texte pourrait être adopté cette année, si le Conseil s’entend. Le compromis ne prévoit pas la reconnaissance automatique du statut d’employé, mais permettrait cette reconnaissance selon certains critères. Au moins, la transparence des algorithmes dictant les salaires serait imposée.