En Roumanie, « le risque est grand de voir se constituer une industrie de thèses de basse qualité et plagiées » selon Sergiu Miscoiu

En Roumanie, un projet de réforme suscite l’inquiétude des milieux universitaires. Il prévoit la dissolution du Conseil national de certification des titres et diplômes universitaires (CNATDCU) ainsi que la prescription du délit de plagiat au bout de trois ans, alors même que l’actuel premier ministre et ancien général de l’armée roumaine, Nicolae Ciucă, est sous le coup d’une accusation de plagiat de sa thèse de doctorat en sciences militaires.

Entretien avec Sergiu Miscoiu, Professeur des universités en science politique à l’université Babeș-Bolyai de Cluj, et membre du CNATDCU.

Le Courrier d’Europe centrale. Quel est le rôle de la CNATDCU, de quelles personnalités est-elle composée et comment fonctionne-t-elle au quotidien ? Quand a-t-elle été constituée et pour quelles raisons ?

Sergiu Miscoiu. Le Conseil national pour l’attestation des titres, des diplômes et des certificats universitaires (Consiliul naţional de atestare a titlurilor, diplomelor si certificatelor universitare, CNATDCU) est un organisme consultatif auprès du ministère de l’Éducation Nationale. Il a été institué par la loi n°1 du 5 janvier 2011 sur l’Éducation nationale qui représente à ce jour la réforme postcommuniste la plus audacieuse du système d’enseignement roumain.

Le CNATCDU est un organe collectif composé d’enseignants et de chercheurs jouissant d’une vaste expérience et d’un haut niveau de qualification parmi leurs pairs. Ses membres sont désignés sur la base de candidatures individuelles. Un candidat est déclaré admissible seulement s’il remplit les standards scientifiques les plus élevés (correspondant au grade de Professeur des universités) dans son domaine.

La composition finale des commissions de spécialité, des panels et du Conseil général du CNATCDU doit refléter autant que possible, d’une manière proportionnelle, le nombre de directeurs de thèses par domaine, par université et par institut de recherche, au niveau national.

L’objectif principal du CNATCDU est de contrôler la qualité et l’authenticité des thèses de doctorat.

L’objectif principal du CNATCDU est de contrôler la qualité et l’authenticité des thèses de doctorat et des thèses d’habilitation à diriger les recherches (HDR). Il doit aussi se prononcer sur les demandes de reconnaissance des diplômes et des titres universitaires acquis à l’étranger.

La création du CNATDCU est liée à celle de l’HDR (calquée sur le modèle français). Avant 2011, seuls les Professeurs des universités pouvaient diriger des thèses, mais les critères qu’ils devaient remplir étaient plutôt légers. Avec la création de l’HDR, la direction des thèses s’est démocratisée, au sens où elle n’était plus désormais réservée aux seuls Professeurs.

Depuis ce moment, tout docteur titulaire d’une HDR qui remplit une série de conditions, notamment liées à la scientificité de ses travaux, peut encadrer des thèses ; c’est notamment le cas des maîtres de conférences. Cette obligation s’applique dorénavant aussi aux Professeurs, au grand dam des « patriarches » universitaires et de leurs réseaux.

La raison la plus évidente de la création du CNATCDU a été la prolifération de plus en plus médiatisée du plagiat dans le milieu universitaire roumain.

Mais la raison la plus évidente de la création du CNATCDU a été la prolifération de plus en plus médiatisée du plagiat dans le milieu universitaire roumain et notamment dans certaines institutions d’enseignement supérieur qui formaient les militaires, les policiers et les membres des services secrets.

Quel est son bilan à ce jour ?

Le CNATCDU s’est occupé ou a essayé de s’occuper d’un nombre important de cas sur lesquels il a été saisi à travers le temps. À ce jour, contre les pressions politiques permanentes et en dépit de nombreuses chicanes administratives et judiciaires, le Conseil a réussi à analyser plusieurs centaines de dossiers et à demander au ministre de l’Éducation Nationale le retrait d’un nombre conséquent de titres de docteurs, dont certains avaient été acquis par des membres des différents gouvernements, y compris des premiers-ministres, des parlementaires, des membres de la Cour constitutionnelle, des magistrats, etc.

La découverte la plus choquante a été celle d’une école doctorale en sécurité nationale, dirigée par un ancien général et vice-premier-ministre (mis en examen et condamné depuis pour d’autres affaires), qui avait produit un réseau ahurissant de docteurs et de docteurs titulaires de l’HDR, ayant tous copieusement plagié leurs thèses.

A-t-on une estimation du nombre de thèses plagiées en Roumanie ?

Il est impossible de faire une telle estimation. Il faut dire que la très grande majorité des thèses sont le fruit d’un vrai travail de recherche et que les thèses plagiées ont été plutôt celles qui ont été « élaborées » par des personnes qui n’appartiennent pas au milieu universitaire, dont des responsables politiques, des magistrats et des militaires.

Tout le monde se souvient de la thèse de complaisance en chimie délivrée à Elena Ceaușescu, l’épouse de Nicolae Ceaușescu. La situation actuelle est-elle le fruit d’un héritage lointain ou s’agit-il d’un phénomène plus récent ?

La Roumanie de Ceaușescu était un État autoritaire, où les titres et les dignités pouvaient être attribués au gré des humeurs du couple dirigeant. À l’époque, tout le monde savait très bien qu’il s’agissait d’une mascarade grossière, mais il était impossible de dire quoi que ce soit, au risque d’être emprisonné. Il y avait quand même d’autres dirigeants à tous les niveaux qui, notamment dans la période des années 1950-1970, avaient obtenu leurs titres sans avoir vraiment fait d’études supérieures, seulement grâce à leur activisme au sein du Parti communiste roumain.

Dans certains milieux, cela a pu laisser des traces, au sens où il y avait probablement une tolérance plus élevée par rapport à de telles pratiques qu’ailleurs. Mais de là à généraliser, la route est longue et hasardeuse. De toute façon, la grande majorité des universitaires roumains sont intellectuellement très solides et ont mis en cause après 1990 les anciens opportunistes et les « politrucs » communistes.

De ce fait, je pense que le fléau du plagiat doctoral des années 2000 est un phénomène nouveau, plutôt indépendant par rapport à l’héritage passé.

Pourquoi les responsables politiques sont-ils autant attachés à afficher un titre de docteur ?

D’abord, car le titre de docteur leur confère du prestige et de la légitimité. Puis, parce que cela leur donne le droit d’enseigner à l’Université. Et parce que le titre de docteur permettait d’augmenter systématiquement de 15 % les salaires des fonctionnaires publics et a priori de tout employé de l’État. Cela a toutefois changé depuis une dizaine d’années, en donnant la possibilité aux institutions d’apprécier s’il existe une véritable adéquation entre le domaine du doctorat et la nature de l’activité du demandeur.

Pourquoi et par qui la CNATDCU est-elle aujourd’hui menacée ? À quoi faut-il s’attendre dans les semaines ou les mois qui viennent ?

Dans le projet de la nouvelle loi de l’enseignement supérieur, le CNATCDU est remplacé par une commission directement subordonnée au ministre de l’Éducation Nationale qui vérifiera seulement les plaintes concernant des plagiats sans analyser systématiquement la qualité et l’authenticité de toutes les thèses et toutes les HDR. Cet attribut revient désormais à chaque université qui octroie ces titres.

Le risque est grand de voir proliférer des groupes d’intérêts politico-universitaires locaux et se constituer une industrie de thèses de basse qualité et plagiées.

En raison du nombre élevé d’universités et de l’existence des pratiques que nous connaissons depuis très longtemps, le risque est grand de voir proliférer des groupes d’intérêts politico-universitaires locaux et se constituer une industrie de thèses de basse qualité et plagiées. Par exemple, des maires et des conseillers départementaux, membres des écoles doctorales qui octroient des titres à leurs chefs de cabinets ou à des bailleurs de fonds des partis politiques. En l’absence du CNATCDU, qui était un filtre assurant tant bien que mal, malgré les blocages bureaucratiques, la qualité et le caractère authentique des thèses, l’université roumaine risque de régresser en perdant ce qui reste de sa compétitivité internationale.

Une autre proposition controversée de cette loi permet aux titulaires d’un doctorat de renoncer unilatéralement aux titres obtenus. Cela donnerait aux plagiaires, par exemple, la possibilité de se soustraire aux conséquences liées à l’obtention de certains avantages (tels des avancements dans la carrière) obtenus grâce à un titre acquis frauduleusement.

Il est bien évident qu’un tel changement profiterait à une série de décideurs, dont l’actuel premier ministre Nicolae Ciucă, contre lesquels des plaintes de plagiat sont en cours d’analyse, dont certaines parfois interrompues par le biais d’actions judiciaires.

Comment réagit la communauté universitaire à cette situation ?

La très grande majorité des universitaires se sont prononcés d’une manière critique par rapport à cette partie du projet de loi. Il y a eu, et il y a encore, des lettres et des pétitions. Les réseaux sociaux pullulent d’articles et de prises de positions. Les journalistes qui ont dénoncé les plagiats soutiennent des initiatives. Certains universitaires ont démissionné du CNATCDU pour protester contre la manière dont ce projet de loi réglemente l’intégrité universitaire.

Êtes-vous personnellement optimiste ou pessimiste quant à l’aboutissement de cette réforme ?

Il ne me reste qu’à espérer qu’il y aura au dernier moment une prise de conscience chez les parlementaires de la coalition parlementaire majoritaire, ou peut-être chez le Président Klaus Iohannis, qui, par le passé, se targuait de faire du combat anti-plagiat une cause d’importance nationale.

Cependant, la conduite de la coalition au pouvoir en Roumanie, qui agit comme un rouleau-compresseur en faisant passer presque sans débat l’ensemble des projets de loi et des nominations pour des postes-clé, n’incite pas à l’optimisme…

Matthieu Boisdron

Rédacteur-en-chef adjoint du Courrier d'Europe centrale

Docteur en histoire (Sorbonne Université)

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