Dénes, animateur d’une paroisse engagée dans l’aide aux démunis

Alors que l’Église catholique hongroise semble souvent plus proche du pouvoir que du peuple, dans le 9e arrondissement de Budapest, l’église Saint-Pierre Canisius se distingue par son engagement social.

Dénes aimerait bien aménager le sous-sol de l’église pour en faire un lieu social pour les habitants du quartier. Cela servirait aussi pour les enfants qui viennent faire du rattrapage scolaire avec les bénévoles. Les projets ne manquent pas, les financements si. La première fois que le travailleur social, aujourd’hui à la retraite, a poussé la porte de l’église Saint-Pierre Canisius, c’était au début des années deux mille. Il avait été attiré par des chants, en arabe et en araméen, qui émanaient d’une petite communauté copte orthodoxe. Mais lorsqu’il repasse par là quelques mois plus tard, la lourde porte est verrouillée, le lieu semble être retourné à la léthargie dans laquelle il baigne depuis la répression stalinienne qui a frappé les diverses Eglises du pays en 1948. Désormais, le cœur de la vie religieuse du quartier bat ailleurs, à quelques centaines de mètres de là, à l’église Saint-Vincent-de-Paul, dont elle dépend. Dénes y est allé et là on lui a donné la clé de l’église à l’abandon.  

Le Pape François en Hongrie pour faire entendre un autre son de cloche

Elevé dans une famille protestante pieuse, il est alors travailleur social et confronté à la grande misère dans laquelle vivent les habitants du quartier, roms pour la plupart. Cet endroit abandonné, imagine-t-il, peut devenir le point d’ancrage d’une communauté d’entraide. Avec l’aide de nonnes d’un couvent proche, il organise une journée de jeux pour les enfants pour attirer les habitants. On joue au foot, aux échecs. Des récompenses seront remises, mais après une messe.

L’Archidiocèse d’Esztergom-Budapest et la Pastorale tsigane – une branche de l’Eglise catholique dédiée aux communautés roms – soutiennent l’initiative et la paroisse est confiée à l’évêque János Székely qui en fera, selon ses mots, « le lieu des pauvres et des exclus, mais de l’accueil et la fraternité ». Les débuts sont tâtonnants. Lors de la première messe « d’apprentissage », les évangiles sont lus en langue lovari, que ne comprennent plus les Roms de Budapest, un orchestre tsigane adapte les chants. « Le lieu leur était étranger au début », confie Dénes.

« L’idée c’est de mélanger les riches avec les pauvres ».

Au cours de la décennie 2010, la communauté paroissiale est florissante. Mais elle est mise à mal par la gentrification brutale qui évince une partie de la population rom, malgré les efforts de Dénes. « C’est vraiment moche ce qu’il s’est passé à cette époque », se souvient-il.

Mais l’église n’a rien perdu aujourd’hui de sa vocation sociale, en accueillant des enfants après l’école et des adultes pour des cours du soir. « L’idée c’est de mélanger les riches avec les pauvres », dit Dénes, selon la tradition du lieu qui, à partir de 1941, avait été le siège de la branche hongroise de la Jeunesse ouvrière chrétienne, fondée par le prêtre belge Joseph Cardijn. Son portrait est affiché dans le presbytère, non loin de celui de Ceferino Jiménez Malla, Saint Patron des Roms, béatifié en 1997.

Le lieu est d’autant plus emblématique que József Attila, poète rebelle et vénéré en Hongrie, est né dans la maison juste en face de l’église, en 1905, soit deux années après sa construction, en 1905. « A bas le capitalisme ! Poème, lève-toi avec la foule pour la lutte des classes. », proclament ses vers.

Dénes montre le portrait de Ceferino Jiménez Malla, Saint Patron des Roms, béatifié en 1997.
L’Église a oublié les pauvres

Dénes puise son inspiration dans l’œuvre caritative du pasteur évangélique Gábor Iványi, qui compte parmi les orateurs réguliers lors des rassemblements contre le gouvernement, est malmenée par le pouvoir. Il a créé plusieurs centres d’hébergement pour les sans-abri, alors que ceux-ci sont chassés des espaces publics, « invisibilisés » en vertu d’une loi que l’ONU a jugé « cruelle ».

Il est très remonté contre les autorités ecclésiastiques qui« ont oublié l’humain, laissé de côté les pauvres ». La « crise migratoire » et de l’asile de l’année 2015 a été un tournant. Lorsque des dizaines de milliers de migrants ont traversé le pays à l’automne, les autorités leur ont refusé presque tout aide et les organisations religieuses ont semblé traîner les pieds pour déployer une aide humanitaire. Le chef de l’église catholique hongroise, le cardinal Péter Erdo, avait apporté son soutien tacite à une loi criminalisant l’accueil de réfugiés chez soi, du « trafic d’êtres humains », avait jugé le prélat.  

Gergely Bese, prêtre d’une Église catholique hongroise conservatrice

Des réfugiés en 1944…puis en 2015

L’église de la rue Gát, elle, a accueilli des dizaines de réfugiés d’Alep. « Les gens du quartier ont fait preuve de beaucoup de solidarité, apportant des vêtements, de la nourriture », témoigne Dénes, qui nous montre la salle attenante à l’Eglise où les lits de fortune avaient été disposés. Cela n’a pas été du goût du gouvernement national-populiste alors engagé dans une campagne de xénophobie. « Le secrétaire d’Etat aux affaires religieuses nous a convoqué, moi et János Székely. “Comment osez-vous vous opposer au gouvernement ?”, nous a-t-il demandé. Je lui ai répondu que mon patron, il est au-dessus de lui… », se remémore Dénes.

Le lieu a une histoire en matière d’accueil. Sur la fin de la seconde Guerre mondiale, elle a été un refuge pour les persécutés par le régime pro-nazi des Croix-Fléchées et pour ceux qui fuyaient les combats entre l’Armée rouge et celle du Reich. Environ 150 personnes s’étaient retranchées dans son sous-sol. Une petite fille est née à ce moment et, plusieurs décennies après, cette femme rend une visite annuelle à Dénes.

« J’espère que les fidèles s’ouvriront aux messages du Saint-Père, plutôt qu’à ceux de la propagande ».

Anita, bénévole d’une communauté Sant’Egidio.

L’église Saint-Pierre Canisius dans la rue Gát est aussi et surtout de nos jours un point de rencontre où se croisent une poignée de gréco-catholiques, des évangéliques, un groupe Cursillos de Cristiandad qui œuvre auprès des détenus dans les prisons. Dénes nous montre au sous-sol des gravures faites par un détenu qui purge une peine pour un triple meurtre.

Surtout, une communauté de Sant’Egidio en a fait sa base pour partir, deux fois par semaine, à la rencontre des pauvres, des sans-abris et des réfugiés isolés. C’est la branche hongroise d’un mouvement créé à Rome par des étudiants qui œuvraient auprès des exclus. Parmi ses bénévoles, Anita conduira trente réfugiés et quarante sans-abris auprès du pape François samedi. « J’espère que les fidèles s’ouvriront aux messages du Saint-Père, plutôt qu’à ceux de la propagande », dit-elle, convaincue que le gouvernement ne propose qu’une version dévoyée du christianisme.

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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