« Babiš au Château ! », « Pavel au Château ! ». Les partisans des deux finalistes de l’élection présidentielle tchèque s’affrontent dans un duel final devant le Centre des congrès de Hradec Králové, une ville à une centaine de kilomètres de la capitale. Ils voudraient tous voir leur favori s’installer au Château de Prague, siège de la présidence de la République. Reportage.
(Hradec Králové, Envoyé spécial -) La venue pré-électorale du candidat Babiš a été annulée, mais ses partisans et détracteurs sont bien là, et profitent de l’occasion pour faire valoir leur point de vue. Seuls quelques mètres les séparent et il n’y aucune présence policière sur place, mais les échanges restent plutôt courtois.
« Il est arrivé aux finances et il a mis fin aux déficits », assure une partisane d’ANO fort vive malgré ses quatre-vingts ans. « Il a dévasté le pays pendant ses huit années au gouvernement », riposte une manifestante pro-Pavel.
La dernière ligne droite de la campagne qui débouche sur le second tour les 27 et 28 janvier a été marquée par une escalade verbale, alors qu’Andrej Babiš a décidé de dépeindre son adversaire comme un dangereux militariste. Il a fait installer d’énormes panneaux publicitaires proclamant : « Je n’entraînerai pas la Tchéquie dans la guerre. Je suis un diplomate, pas un soldat ».
« Son équipe de conseillers marketing a cherché les peurs des gens, et comme ils ont souvent mentionné la guerre, il tente d’exploiter cette peur », m’assure Katerina, une manifestante dans la quarantaine qui tient une pancarte rappelant le passé d’informateur de la police secrète communiste de l’ex-premier ministre.
Présidentielles en Tchéquie : l’oligarque, le général ou la rectrice ?
La rhétorique de Babiš a échauffé les esprits et Petr Pavel l’a accusé en retour de semer le discrédit sur l’armée en laissant entendre que les soldats seraient bellicistes. L’équipe de Babiš a quelque peu rectifié le tir en changeant de slogan : « Le général ne croit pas en la paix. Votez pour la paix, votez pour Babiš ».
Lors du débat télévisé sur la chaîne publique, Andrej Babiš a cependant vacillé en répétant par trois fois au modérateur qu’il n’enverrait pas de soldats tchèques au secours de la Pologne ou des pays baltes en cas d’hypothétique agression militaire. Il a par la suite rectifié le tir sur Twitter, mais sans éviter le scandale dans les pays concernés, mettant à mal l’image de diplomate responsable qu’il veut se donner.
Signe d’une communication chaotique, de nouvelles affiches sont apparues dans les derniers jours pour se recentrer sur le sujet plus conventionnel des problèmes socio-économiques, que Babiš promet de régler en s’opposant à la coalition de centre-droit, (même si le président est loin d’avoir les pouvoirs nécessaires pour agir sur ces questions).
Le chaos contre l’ordre
Les derniers rassemblements de Babiš ont été tant chahutés qu’il a préféré annuler ses dernières rencontres avec les électeurs, arguant aussi qu’il avait reçu des menaces de mort. Les mauvaises langues diront que la véritable raison réside dans son impopularité dans les villes.
Au quartier-général local de Petr Pavel, dans un bar-restaurant situé non loin, les manifestants viennent organiser les dernières distributions de matériel électoral et prendre un verre. Une bannière au mur promet le retour « de l’ordre et de la tranquillité », son slogan de campagne.

Dans ses messages, le ‘Général’, comme on le surnomme, présente son adversaire comme un menteur compulsif qui ne fait que diviser la population et semer le chaos. Il promet de mettre fin aux mensonges et d’amener plus de sérénité à la tête de l’État
Autour d’un verre, les partisans de Pavel discutent de son passé controversé au sein de l’armée tchécoslovaque et du parti unique dans les années 80. « Oui, il a fait une erreur, mais il l’a reconnu, il a mûri, tandis que Babiš, lui, il a toujours nié et il continue ses méthodes d’estébak (NDLR : informateur de la police secrète communiste, la Sécurité d’État, Státní Bezpečnost – StB) »
Roman, un tailleur de pierre dans la cinquantaine, est un partisan de la première heure de Petr Pavel. Il apprécie ses qualités, mais il ne cache pas le soutenir surtout parce qu’il est le mieux placé pour défaire Andrej Babiš. « Si Babiš l’emporte, il va pourrir l’atmosphère sociale et politique », assure-t-il.
Tous contre Babiš
Prague, mercredi soir. Sur la place de la Vieille Ville de Prague, ce mercredi soir, les partisans de Petr Pavel sont déjà nombreux une demi-heure avant la rencontre pré-électorale. Beaucoup d’entre eux portent fièrement le badge du candidat et même des casquettes rouges avec le mot ‘general’. Après avoir attiré les foules dans les villes bastions d’ANO comme Ústí nad Labem et Ostrava, les Pragois viennent lui apporter leur soutien, eux qui lui ont déjà donné plus de 50 % des voix au premier tour.
Danuše Nerudová et Pavel Fišer, 3e et 4e du premier tour avec 14 % et 6 % des voix, prennent la parole sur le podium pour appeler leurs partisans à soutenir le Général lors du deuxième tour. Ils soulignent que Pavel ramènera la dignité au Château de Prague et sera un bon ambassadeur du pays dans ce rôle avant tout représentatif.

Dans la foule, Sabina et Vojtěch arborent autant les couleurs de Nerudová que celles de Pavel. Ils ont fait campagne pour l’ex-rectrice d’Université et ont répondu à son appel pour se reporter sur Pavel.
Pour eux, l’argument de la guerre est une tactique désespérée de Babiš : « C’est plutôt le contraire, affirme Sabina, il ne nous entraînera pas en guerre parce que c’est un général et il sait ce que signifie la guerre ». « De toute façon, comme président, il ne peut même pas déclarer la guerre, il y a juste Babiš qui ne veut pas comprendre ça », se moque Vojtěch.

Des airs de 1989
Lucie, son mari Pavel et leur amie Magda sont tous les trois des retraités de 68 ans qui espèrent un grand changement à la tête de l’État. Lucie arbore le badge de Pavel à côté du cœur, signature de Václav Havel, le dissident anti-communiste et premier président de la Tchéquie démocratique.
Les trois retraités apprécient l’orientation clairement pro-UE et pro-OTAN du candidat Petr Pavel. « C’est le candidat qui nous rappelle le plus Václav Havel, que nous considérions comme un bon président », insiste Pavel. Les deux femmes mentionnent qu’elles ont même travaillé avec Havel dans le temps. « Je lui ai donné des leçons d’anglais », dit fièrement Magda.
« Zeman est un salaud, mais au mois il est intelligent, tandis que Babiš est un imbécile ».
Magda, partisane de Petr Pavel.
Même s’ils ont connu l’époque communiste, ils ne tiennent pas rigueur au candidat pour son implication passée au sein du parti unique. Ils mettent plutôt l’accent sur ses 33 années passées au service de la Tchéquie démocratique. « Il a largement rattrapé cette erreur avec son travail », conclut Pavel. Seul un manifestant isolé porte une pancarte maudissant le peuple d’avoir élu « deux bolchéviques ».
Lucie, Petr et Magda se réjouissent de la fin prochaine du mandat du sulfureux Miloš Zeman, qui a passé dix ans au Château de Prague, d’où il a souvent mené une politique favorable aux régimes russe et chinois. « Nous allons célébrer la fin de sa présidence, lance Magda, et espérons que cela ne sera pas pire, parce que Zeman est un salaud, mais au mois il est intelligent, tandis que Babiš est un imbécile ».
Quand Petr Pavel et son épouse monte sur le podium aux cris de « Pavel na Hrad », la place est presque pleine et il devient difficile de fendre la foule. L’ex-général aura réussi à susciter de l’enthousiasme pour sa candidature et sa campagne a même dépassé l’anti-Zemanisme et l’anti-Babišisme primaires qui marquent souvent la politique des opposants du président et de l’oligarque depuis une dizaine d’années.
Si les sondages de l’entre-deux-tours donnent jusqu’à 15 points d’avance à Pavel, il reste encore de nombreux indécis. Il reste aussi à voir si la campagne de peur de Babiš réussira à suffisamment démobiliser les électeurs potentiels du Général et à mobiliser les siens. Au vu de l’ambiance sur le terrain, il semble plutôt avoir galvanisé les troupes de son adversaire. Les urnes livreront leur verdict ce samedi.