L’unité Kalinoŭski composée de combattants bélarussiens s’est engagée aux côtés des Ukrainiens dont ils espèrent l’aide, pour déboulonner Loukachenko par la force, une fois l’Ukraine libérée. Entretien avec Denis et Kristina, commandant et porte-parole du bataillon.
Dès les premières heures de l’invasion ukrainienne, des unités composées de volontaires internationaux se sont formées avec un objectif commun de lutte contre l’armée russe. C’est le cas de l’unité Kalinoŭski, du nom de l’écrivain révolutionnaire bélarussien symbole de la lutte antirusse. En prolongement du conflit auquel ils prennent pleinement part, ils ont le régime de Minsk dans le viseur. Entretien avec Denis et Kristina, commandant et porte-parole du bataillon.
Le Courrier d’Europe centrale : Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre unité ?
Denis : Je m’appelle Denis, j’ai 27 ans et je suis commandant de l’unité Kalinoŭski, qui est une sous-division officielle dépendant de la direction générale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien. Mon pseudonyme est Kit (« baleine », ndlr). Je suis originaire de Minsk, la capitale du Bélarus, mais je vis en Ukraine depuis 2014.
Kristina : Je m’appelle Kristina. Mon pseudonyme est Tchabor (mot bélarussien signifiant « thym », ndlr). À la suite des manifestations de 2020, ma famille et moi avons quitté le Bélarus. Mon mari a rejoint le bataillon Kalinoŭski dès le début de la guerre. J’en ai également fait la demande, qui a elle aussi été acceptée ; je suis désormais membre du service médical et porte-parole officielle de l’unité.
Comment est organisée votre unité ? Êtes-vous dotés de structures spécifiques ?
Denis : L’unité est composée de plusieurs bataillons : Volat (d’après des géants de la mythologie slave), Litvin (habitant du Grand-duché de Lituanie), ainsi qu’une sous-section nommée d’après Mikita Kryŭtsoŭ. Mikita Kryŭtsoŭ est le premier manifestant tué dans les rassemblements de 2020. Le bataillon Volat est très implanté dans la région de Bakhmout, tandis que le bataillon Litvin agit surtout dans la région de Zaporojjia. Concernant nos structures, nous avons un service presse, ainsi que des centres de mobilisation en Géorgie et à Varsovie.
Kristina : Nous avons toute une diversité de sections pour répondre à nos besoins techniques et matériels, un service de garnison et une structure de formation et d’entraînement où nous envoyons nos soldats avant leur affectation dans un bataillon.
Comment sont recrutés les membres du bataillon, et quel est le profil des soldats qui en font partie ?
Denis : Les profils des recrues de l’unité Kalinoŭski sont très divers. La plupart sont des civils, et leurs professions sont très variées ; cela va des informaticiens aux mécaniciens. La plupart des Bélarussiens qui rejoignent nos troupes sont des personnes menacées par le régime, ou qui ont dû quitter le pays à cause des répressions après les manifestations de 2020.
Le processus de recrutement commence par une candidature via un chatbot où il est possible de nous transmettre une série d’informations. Les candidatures sont traitées par notre équipe de « cyber-partisans », chargés de constituer un dossier à partir des informations auxquelles ils arrivent à avoir accès, comme des archives d’éventuelles condamnations judiciaires.
Dans un deuxième temps, notre équipe traite toutes ces informations et décide des affectations des candidats dans notre centre de mobilisation à Varsovie. Une fois à Varsovie, les candidats sont reçus en entretien, ce qui nous donne l’occasion de faire quelques vérifications sommaires, et ont à se soumettre à un test de leurs habiletés physiques.
Après le passage de toutes ces étapes, nous formons des groupes qui sont envoyés faire des entraînements en Ukraine. Une fois sur place, ils sont accueillis par des personnes qui consacrent plusieurs heures de leur temps à chacun afin de les familiariser avec le fonctionnement de notre sous-section. La formation, quant-à-elle, dure ensuite entre un et trois mois.
Kristina : Nous voulons aussi insister sur le fait que l’unité Kalinoŭski est constituée à 99 % de Bélarussiens et qu’en règle générale, nous n’admettons pas de combattants d’autres nationalités.
Comment s’organise la coopération avec les autres unités de l’armée ukrainienne ? Des tâches sont-elles dédiées aux unités bélarussiennes ou bien sont-elles complètement intégrées à l’armée ukrainienne ?
Denis : En règle générale, nous agissons de manière coordonnée avec les forces armées ukrainiennes, puisqu’il est important pour nous que le front avance grâce à une mise en commun des forces. Toutefois, nous avons l’opportunité de choisir nos missions et leur niveau de difficulté, ce qui fait sens pour nous étant donné que nous sommes un petit nombre. Nous avons donc à faire notre maximum pour protéger nos soldats, et c’est pourquoi nous allons vers des missions qui sont en adéquation avec leur niveau d’entraînement.
La plupart du temps, nos actions sont menées en collaboration avec les sous-sections des forces armées de l’Ukraine. Plus rarement, nos soldats effectuent des vérifications par eux-mêmes et peuvent éventuellement mener des attaques de leur côté.
Nos combattants ont toujours été présents sur des points hautement stratégiques tels que Kyïv, Mikolaïev et Zaporojjia au début de la guerre et, aujourd’hui, Bakhmout, Kherson et Kharkiv. Dans les actions qu’ils ont pu mener, nos combattants sont parvenus à de très bons résultats. On nous dit même souvent que dès lors qu’on annonce l’arrivée de combattants bélarussiens, les soldats ukrainiens sont très contents car ils trouvent que l’on travaille bien.
Quels messages vous ont fait passer d’une part le gouvernement bélarussien, mais aussi vos concitoyens ?
Kristina : Sans grande surprise, le pouvoir bélarussien ne dit pas du bien de nous car nous représentons pour lui une menace, un danger direct. Le régime a tendance à fabuler lorsqu’il parle de nous, et crée de nouvelles lois qui ne sont aucunement en adéquation avec la constitution de la République du Bélarus. Ils ne respectent pas les droits de l’Homme, et leur manière de faire dépasse toute notion de bon sens. Ils menacent de nous déchoir de notre nationalité, et nous répètent que l’on ne risque pas simplement l’emprisonnement si nous revenons dans notre pays ou sommes livrés au Bélarus, mais carrément la peine de mort, qui existe encore dans notre pays.
Il n’y a rien de bon à tirer de la manière de faire du régime bélarussien, et nous sommes contre tout ce qu’il s’y passe depuis 28 ans. En 2020, une opposition plus concrète a pu voir le jour, et notre but est de mener le projet de cette opposition à son terme.
Pour ce qui est de l’opinion qu’ont sur nous nos concitoyens, même s’il est évident que les avis divergent, l’écrasante majorité des Bélarussiens nous voit comme leur dernier espoir pour faire du Bélarus un pays libre et démocratique.
Denis : Je voudrais juste rajouter que dernièrement, le régime de Loukachenko et Loukachenko lui-même ont montré qu’ils avaient l’unité Kalinoŭski dans le collimateur. La rhétorique du président montre qu’il nous accorde beaucoup d’attention et que notre existence l’inquiète. Les rumeurs disent même qu’il y a des unités spéciales qui sont entraînées exprès pour nous combattre.
Loukachenko voit l’unité Kalinoŭski comme une réelle menace à son régime. Ainsi, je suis persuadée que même si le Bélarus décide de participer à la guerre, le régime ne pourra pas se permettre de mobiliser l’ensemble de ses forces armées tant il redoute notre unité.
Non seulement nous sommes les cibles des menaces de mort de la part du régime, mais ils s’en prennent aussi à nos familles en les menaçant, tout ça dans l’optique de saper le moral des troupes.
Avez-vous des liens avec les mouvements d’opposition au Bélarus, et plus précisément avec Sviatlana Tsikhanoŭskaïa ? Quel est votre lien avec eux, et avez-vous certaines divergences d’opinion ?
Denis : Notre position est assez simple : nous prenons toute l’aide que nous pouvons recevoir de l’opposition bélarussienne qui affirme le souhait de contribuer à la libération de l’Ukraine. Lorsque nous avons échangé avec les collaborateurs de Tsikhanoŭskaïa, c’est cette position là que nous avons tenu.
À la création de l’unité, nous ne nous prononcions pas sur nos opinions politiques et nous acceptions toute l’aide qui nous avait été fournie. Aujourd’hui, nous sommes conscients du fait que l’unité Kalinoŭski est la seule force capable de poursuivre ce qui a été amorcé lors des manifestations de 2020. Nous affirmons donc la nécessité d’agir depuis une position de force, tout simplement parce que le régime de Loukachenko ne comprend que l’action par la force.
Aussi, au fil du temps, nous avons compris que Tsikhanoŭskaïaet ses collaborateurs n’étaient pas réellement en mesure de nous aider, et nous n’avons pas réussi à nouer de vraies relations.
Nous avons vraiment observé toutes les oppositions – y compris celles qui ont tendance à vouloir vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué – et nous avons dégagé notre propre vision politique, que nous avons pu affirmer lorsque des députés ukrainiens nous ont demandé de nous exprimer sur le changement de pouvoir à venir au Bélarus. Nos affirmations sont simples : au Bélarus, seule une prise du pouvoir par la force est possible. C’est pour cela que nous luttons en ce moment pour que l’Ukraine soit libre, et nous lutterons ensuite pour la libération du Bélarus.
Le Bélarus libre, selon nous, ce sont des élections libres, sans candidature de Loukachenko ou de l’un de ses semblables. Ce n’est que dans ces conditions que l’on pourra parler de liberté.
Pour ma part, je trouve cela important que tous les mouvements d’opposition soutiennent l’Ukraine à 100 % – pas à 99 % – et sachent aussi à qui appartient la Crimée. De cette position, je comprends pourquoi l’Ukraine n’a pas réussi à faire confiance à tous les blocs de l’opposition biélorusse dont font partie Sviatlana Tsikhanoŭskaïaet ses collaborateurs.
Pour autant, nous ne nions pas son champ d’influence, qui est assez important, et sa position internationale qui lui donnent le pouvoir de résoudre certains problèmes. Mais en temps de guerre, il faut penser à la guerre, et mobiliser toutes ses forces en ce sens car pendant que certains sont encore hésitants, d’autres risquent déjà leurs vies.
Kristina : L’unité Kalinoŭski a toujours collaboré avec l’opposition qui privilégie les actions concrètes, a des objectifs définis et les ressources pour atteindre ces objectifs, et non pas celle qui se contente de créer des cabinets et de mener des dialogues.
Le Bélarus libre doit être l’objectif commun de toute l’opposition, et pour l’atteindre il faut agir, et non pas juste parler. Un exemple d’action concrète est celle des « cyber-partisans », à qui l’unité Kalinoŭski s’est liée récemment ; par leurs actions, ils ont montré qu’ils étaient capables d’aller jusqu’au bout (hacking de sites gouvernementaux bélarussiens, divulgation de bases de données étatiques ou encore perturbation des chemins de fers lors de l’invasion russe de l’Ukraine – Ndlr.)
Que ferez-vous à la fin de la guerre ? Quels seront les objectifs militaires et politiques ? Comment envisagez- vous le futur de votre unité et du Bélarus ?
Quand la guerre ici sera finie et que l’Ukraine aura retrouvé ses territoires de 1991, ce ne sera pour nous que le début. L’unité Kalinoŭski a été créée avec l’idée et l’objectif d’un Bélarus libre. Lorsque nous serons parvenus à libérer le territoire ukrainien, nous pourrons commencer notre travail.
La première étape sera de mobiliser l’ensemble de nos relations déjà acquises, ou futures, afin de trouver à la fois un soutien politique et une entente militaire. En effet, nous allons avoir besoin de forces armées et du soutien de l’Ukraine pour entreprendre des actions en direction du Bélarus.
Actuellement, nous n’avons de cesse d’affirmer qu’il n’y aura pas de Bélarus libre sans une Ukraine libre, et inversement, puisque Poutine et le régime de Loukachenko vont toujours chercher à prendre leur revanche via le territoire du Bélarus. Il est dans l’intérêt de l’Ukraine qu’il y ait au Bélarus un pouvoir qui soit contre Poutine. C’est notre objectif, de nous débarrasser de ce pouvoir pro-Poutine. Les moyens employés dépendront de notre stratégie, mais l’idée clef c’est qu’une fois l’Ukraine libérée, nous allons tourner le regard vers notre propre pays, le Bélarus.
Pour ma part, je n’ai pas l’intention d’abandonner mes fonctions car, comme je l’ai dit, ce ne sera que le début. Mon esprit et mes idées sont dirigés vers le Bélarus. À la fin de la guerre, je vais travailler encore plus dur et entreprendre des actions concrètes.
Kristina : Je pense que le Bélarus va devenir un pays libre et progressiste. Quand l’Ukraine vaincra, et il est évident que cela va arriver bientôt, l’unité Kalinoŭski ne va pas arrêter son action. Pour ma part, je ferai la même chose que mes co-combattants : revenir à la maison.
Denis : Du point de vue géographique, le Bélarus est au centre de l’Europe. Nous voulons aussi en faire le centre de l’Europe dans les structures mentales. Nous sommes par exemple en faveur d’une candidature du Bélarus à l’OTAN. Nous voulons vivre dans un pays libre, sans dictature mais aujourd’hui, le Bélarus est presque une région russe, isolée du monde civilisé. Nous voulons nous tourner vers l’Europe, vers l’OTAN, et vers tout ce qu’il y a de plus progressiste. Nous voulons collaborer avec des pays qui se dirigent vers un avenir radieux, et non pas avec une Russie en déclin qui ne parvient même pas à s’occuper de son propre peuple.
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.