Ergy Landau, photographe hongroise oubliée, de retour à Budapest

Parmi la légendaire diaspora hongroise d’avant-guerre qui a fui le fascisme et donné ses lettres de noblesse à la photographie (André Kertesz, Brassaï, Ferenc Kollar, Robert Capa), la photographe Ergy Landau également exilée à Paris en 1923, est passée (presque) totalement inaperçue des historiens et du grand public.

Article publié une première fois le 8 octobre 2022 et mis à jour.

Après avoir été inaugurée en septembre 2022 à la Maison de la photographie Robert Doisneau à Gentilly dans la banlieue parisienne, l’exposition consacrée à la photographe hongroise Ergy Landau (1896-1967) s’installe à la Mai Mano Ház de Budapest jusqu’au 15 mai. « C’est le retour d’Ergy dans sa ville natale », a déclaré Kathleen Gosset, commissaire française de l’exposition avec Laurence Le Guen et David Martens, lors du vernissage de l’exposition mardi 21 mars. Une riche rétrospective à travers quatre vingt photos et de nombreux documents provenant des archives de la photographe (négatifs, planches contacts, journaux, correspondances,…).

Juive hongroise née à Budapest le 19 juin 1896 dans une riche famille de marchands, Erzsébet Landau (son vrai nom), a commencé la photographie à l’âge de dix-huit ans dans la capitale hongroise tout en fréquentant László Moholy-Nagy (1895-1946), peintre proche du mouvement dadaïste, photographe plasticien et théoricien de la photographie hongroise qu’il a enseigné à l’école du Bauhaus. Après avoir ouvert le « Studio Landau » en 1924 rue Lauriston à Paris, elle embaucha comme assistantes sa compatriote Nora Dumas (Nóra Kelenföldi Telkes 1890-1979) et l’autrichienne Ylla (Kamilla Koffler 1911-1955), qui deviendront par la suite des photographes reconnues.

Mais, Ergy Landau a surtout contribué à relancer l’agence Rapho en 1946 aux côtés de son ami Raymond Grosset (1911-2000) qui, à la sortie de la guerre, avait pris la succession de son créateur, le hongrois Charles Rado, exilé aux États-Unis en raison de ses origines juives. Jeune adolescent, Grosset avait rencontré Ergy Landau en 1928 lors de vacances à la montagne photographiant la nature avec le premier Rolleiflex qu’elle avait importé en France. Une rencontre qui changea sa vie.

Durant la guerre, elle refusa de porter l’étoile jaune. Elle y survécut sans être dénoncée, puis se cacha chez les Grosset, rue de Rivoli, jusqu’à la Libération. Elle est décédée à Paris le 6 juin 1967, hémiplégique après avoir chuté d’un autobus à Paris deux ans auparavant. Privée soudain de ressources et sa carrière de photographe brutalement arrêtée, c’est Raymond Grosset et un groupe d’amis qui subviendront entièrement à ses besoins sans qu’elle n’en sache rien. Sans succession familiale pour rassembler et faire vivre son œuvre photographique, Ergy Landau est alors complètement tombée dans l’oubli.

Une exposition à Paris

Elle sort aujourd’hui de l’ombre grâce aux travaux de recherche de Kathleen Grosset (la fille de Raymond) Laurence Le Guen, docteur en littérature française et grande connaisseuse de l’œuvre de la photographe, et David Martens, professeur de littérature française à Louvain en Belgique et spécialiste du rapport entre littérature et photographie. Tous trois proposent une riche rétrospective de son travail à travers quatre-vingt photos et de nombreux documents provenant des archives de la photographe (négatifs, planches contacts, correspondances, carnets de travail…) qui sont exposés dans la Maison de la photographie Robert Doisneau à Gentilly (Val-de-Marne), ville natale du célèbre photographe et collègue d’Ergy Landau à l’agence Rapho où se sont côtoyés d’autres photographes – inconnus devenus célèbres – comme  Jean Dieuzaide, René Maltête, Janine Niepce, Sabine Weiss et Willy Ronis.

« L’histoire n’a pas fait mentir le destin. »

Kathleen Grosset.

Comment avec un parcours si riche et une telle diversité d’intérêts, Ergy Landau a-t-elle pu passer si longtemps sous les radars de la reconnaissance ? « Femme photographe, immigrée juive hongroise dans le Paris des années 1920 : voilà une situation qui ne prédestinait sans doute pas Ergy Landau à une postérité éclatante. L’histoire n’a pas fait mentir le destin, à l’évidence », dit Kathleen Grosset. « A la différence de ses illustres concitoyens magyars qui étaient surtout masculins, Ergy Landau, n’a pas réalisé de photos iconiques comme celles de Capa ou Brassaï, ni « couvert » les grands conflits en tant que reporter de guerre », expliquent Laurence Le Guen et David Martens dans la préface de leur livre consacré à Ergy Landau. Et, en dehors de quelques spécialistes, personne ne connaît de livres marquants regroupant son travail photographique. Seuls quelques ouvrages pour enfants ont connu un modeste succès, mais sans rencontrer le grand public ou susciter la curiosité du monde de la photographie.

Pourtant, comme le montre cette exposition composée de tirages d’époque récupérés et précieusement conservés par Kathleen Gosset, Ergy Landau a construit une œuvre singulière où se mêlent de nombreux portraits (Thomas Mann, Paul Valéry, Arthur Koesstler, Vercors), des instantanés de vie de famille, des photos pour des catalogues publicitaires (Dunlop, Motte Cordonnier) et de belles  études de nus féminins réalisés avec Nora Dumas, qui, aujourd’hui, restent des témoignages éclairants sur les transformations des modes de vie au milieu du XXème siècle.

Au fil de l’exposition on peut également voir une partie des photos d’Ergy Landau réalisées en 1954 à travers la Chine maoïste où elle fut la première femme photographe à se rendre avec une délégation française, lors d’un voyage très encadré par l’association des amitiés franco-chinoises. Parmi les vingt-sept invités – tous sympathisants de gauche – on comptait, entre autres, le chanteur Francis Lemarque, le dessinateur Jean Effel, le journaliste-écrivain Armand Gatti ou encore le jeune futur psychanalyste Felix Guattari.

Ergy Landau y photographia un pays en pleine mutation avec les paysages retirés de Mongolie, les fermes d’Etat, les gens de la rue et la vie quotidienne d’une famille pékinoise. Des images jugées parfois complaisantes qui lui valurent quelques critiques. Elles seront néanmoins publiées dans la revue « Aujourd’hui la Chine » en 1955 et dans un petit livre « Horoldamba, le petit Mongol » en 1957 (Editions Calman Lévy).

Malgré une exposition en 1985 au musée Nicéphore Niepce à Chalon-sur-Saône (berceau de la photographie) où furent présentées les photos d’Ergy Landau, Nora Dumas et Ylla, une chape de silence s’est de nouveau abattue sur leurs travaux. Durant toutes ces années. Cinquante-cinq ans après sa disparition, Ergy Landau retrouvera-t-elle une place légitime parmi les grands noms des photographes hongrois exilés ? « Souhaitons surtout que cette exposition rétablisse Ergy Landau à sa juste place dans l’histoire de la photographie du XXe siècle, tout en contribuant à la reconnaissance du rôle décisif des femmes dans l’histoire de la photographie », dit Kathleen Grosset.

A lire :

Ergy Landau, une vie de photographe 1896-1967 par Laurence Le Guen et David Martens, Editions Le bec en l’air, 36 euros

Rapho, une agence historique, textes et photographies recueillis par Kathleen Grosset, album édité à l’occasion du dixième anniversaire de l’agence Gamma-Rapho-Keystone, 49 euros

Initiatives :

– L’association des Amis d’Ergy Landau va restaurer la sépulture de la photographe au cimetière de Bagneux (92220).

– Une plaque commémorative sera bientôt apposée, rue Scheffer, Paris XVIe, sur la façade de l’immeuble où se trouvait le dernier studio d’Ergy Landau.

– Une exposition en ligne Ergy Landau à livre ouvert est visible ici.

– L’exposition “Paris dans l’objectif d’Ergy Landau” à la Mairie du XVIe arrondissement de Paris aura lieu du 8 décembre 2022 au 8 janvier 2023.

Daniel Psenny

Journaliste, ex-« Le Monde ».