La grande ville de l’Ouest de l’Ukraine donne à voir un contraste saisissant où, à quelques détails près, presque rien n’a changé depuis le début de l’invasion. Un paradoxe qui n’échappe pas aux locaux.
Lviv, Ukraine, Envoyé spécial – « C’est quand même bizarre de pouvoir tranquillement boire un café en terrasse alors que c’est la guerre » s’étonne Yaroslav, pas mécontent de pouvoir profiter de l’été dans les ruelles du centre-ville historique. D’habitude bondée de touristes étrangers, Lviv ne désemplit pas pour autant, les locaux ne se privant pas d’apprécier les premiers jours de l’été. Yaroslav est même venu depuis la capitale le temps d’un week-end pour assister à pièce de théâtre qu’il ne pouvait pas voir à Kyiv.
Tant et si bien qu’entre ces travailleurs prenant leur pause déjeuner, ces bandes d’adolescents trop heureux d’être en vacances, ou encore ces musiciens de rue entonnant des chants patriotiques, un visiteur peu au fait de l’actualité aurait bien du mal à déceler l’état de guerre en vigueur.
À Lviv, en attendant les combats, une vie (presque) ordinaire
Cependant, il y a des signes qui ne trompent pas. Des centaines de grandes affiches au message patriotique ont envahi les rues aux côtés d’innombrables nombreux drapeaux ukrainiens. La gare, d’habitude bondée, a perdu la moitié de ses voyageurs, remplacés par de nombreuses tentes de bénévoles offrant de l’aide aux réfugiés, que la ville accueille désormais par milliers.
« Les réfugiés, on ne les voit pas tant que ça parce qu’ils sont répartis un peu partout en périphérie de la ville. C’est vrai qu’on les remarque parce qu’ils parlent souvent russe – et ça, ça ne me plaît pas ! » explique Yarenka, une Lvivoise de sortie qui n’a jamais quitté sa ville natale. Leur nombre reste élevé malgré une certaine vague de retours, notamment vers Kyiv. Les autorités s’attendent à ce qu’au moins 50 000 personnes restent dans la ville.
D’autres signes rappellent la triste réalité qui frappe l’Est du pays : au centre-ville, dans l’église Harnizonnyi, les funérailles se succèdent pour les soldats tombés au front. Des cortèges de prêtres et de fanfares militaires occupent les abords de l’église, où tous les passants mettent un genou à terre au passage d’un cercueil. Par respect, les cafés adjacents coupent la musique le temps de la procession. Mais une fois le corbillard parti, la vie reprend son cours, avec son lot de cafés lattes et de muffins au chocolat.
La banlieue résidentielle imperturbable
Loin des beaux restaurants branchés du centre-ville, la même tranquillité estivale règne dans le quartier résidentiel de Riasne. Entre ces centaines d’immeubles datant de l’époque soviétique, les résidents n’ont pas mis longtemps avant de s’habituer à ce nouvel état de guerre. « Je trouve que le quartier a même embelli depuis le début de la guerre. Un nouveau restaurant a ouvert il n’y a pas si longtemps, et nos aires de jeux ont été joliment rénovées ! » se réjouit Zoriana, une habitante en train de surveiller ses enfants en train de faire de la balançoire.
Elle a beau chercher, cette comptable impeccablement coiffée n’arrive pas à dire en quoi sa vie quotidienne aurait empiré depuis le début de la guerre. « Le problème avec la guerre, c’est qu’on ne peut pas faire de projets pour l’avenir » admet-elle, avant d’appeler ses enfants pour rentrer dîner.
Là aussi pourtant, la guerre a changé quelques habitudes. L’école du quartier accueille depuis le début du conflit une centaine de réfugiés venus des régions orientales du pays, pour beaucoup d’origines rom. Les professeurs, qui continuent d’enseigner exclusivement en ligne, se relèvent à tour de rôle pour venir prêter main-forte aux volontaires.
Les sirènes, ce bruit de fond
Et puis surtout, il y a les sirènes. Si elles résonnent toujours, quasiment une fois par jour, c’est à se demander si les locaux les entendent encore, tant elles suscitent peu de réactions. « On se contente de la « règle des deux murs » », rétorquent certains, comme pour se justifier de ne plus aller se réfugier dans l’abri le plus proche. Mis à part quelques mères de famille avec leurs enfants, bien rares sont ceux qui prêtent encore attention aux alertes, pourtant quasi quotidiennes.
Les bombes ne sont certes pas le quotidien, mais elles sont bel et bien tombées sur Lviv à plusieurs reprises, et notamment à Riasne. Début mai, le transformateur électrique qui borde le quartier a été visé. Entouré par des centaines de petits potagers, cette frappe n’a pas fait de victime, mais le souffle de l’explosion s’est fait ressentir jusque dans les barres d’immeubles. « C’est vrai que ça a été une claque pour nous tous », confesse Zoriana.
Oleh, maçon la journée et maraîcher en soirée, s’en souvient bien : le missile est tombé juste à côté de son lopin de terre. A 50 ans, cela fait des décennies que ce riverain vient tous les soirs dans son potager prendre soin de ses légumes. Sauf le soir de l’explosion, où il est plutôt allé dans sa datcha, dans un village voisin. Grand bien lui en a pris. « Mon voisin ramassait des oignons quand un missile est tombé juste à côté », raconte-t-il, dans un mélange d’étonnement et d’excitation. Revenu en urgence, il a retrouvé son cabanon en feu, mais ses fruits et légumes ont été relativement épargnés.
S’il admet qu’il faut « toujours se préparer au pire », et malgré tous les débris de missile qu’il a ramassé, éparpillés dans son lopin de terre, Oleh n’est pas inquiet outre mesure. « Maintenant ça devrait aller mieux, la guerre est plus à l’Est. Mais on n’est jamais sûr de rien, donc il vaut mieux prier Dieu encore un peu plus qu’avant ! » Pour cela, pas d’inquiétude : l’immense église rutilante, plantée en plein milieu des potagers et à deux pas de l’explosion, n’a pas pas subi la moindre égratignure.
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.