Alors que l’État ukrainien se consacre à la défense du pays contre l’invasion russe, des organisations non-gouvernementales tentent de soulager les populations, comme l’ONG française ‘Première urgence internationale’ qui s’investit dans l’aide psycho-sociale. Depuis Dnipro, Marina et Olena nous expliquent les besoins des populations civiles et les difficultés de leur métier en temps de guerre.
Olena et ses trois équipes mobiles comprenant médecin, psychologue, infirmier et travailleur social sillonnent les régions de Dnipro, Donetsk et Kharkiv pour aller à la rencontre des civils. Elles identifient les communautés qui ne reçoivent pas suffisamment d’aide de la part des autorités et des organisations humanitaires et viennent leur proposer des services sociaux, des soins de santé traditionnels et de l’assistance psychologique.
« Les gens ressentent une grande anxiété, un stress aigu et constant, ils font face à l’incertitude quotidienne, ils ont perdu leur rythme de vie », explique Olena. La psychologue souligne la réticence des populations envers ce genre d’aide en raison des préjugés sociaux. « Malgré tous nos efforts pour informer la population, les gens ne font toujours pas la différence entre psychologue et psychiatre et quand ils entendent le mot ‘psychologue’, ils répondent qu’ils ne sont pas des malades mentaux. À chaque fois, les psychologues doivent surmonter une grande résistance », soupire Olena. De plus, les Ukrainiens pensent que tous les soins doivent prendre la forme de pilules, regrette-t-elle.
Depuis le début de la guerre, il est souvent question de santé mentale dans les médias ukrainiens, mais les gens n’agissent que quand les équipes viennent sur place, raconte Olena. « Quand nous rencontrons les personnes lors des sessions, il y a une confiance mutuelle qui s’installe et alors elles commencent à faire les exercices proposés ». Pour ceux qui en sont capables, les équipes tentent de transmettre des techniques assez simples à mettre en œuvre soi-même pour faire face au stress et aux traumatismes. « Lors de ces sessions menées par un psychologue, ils comprennent que ça leur fait du bien et c’est un grand bonheur pour nous, cela nous fait apprécier notre travail ». Pour les cas plus lourds, les psychologues réfèrent les patients à des spécialistes des structures traditionnelles de santé.
Il n’en reste pas moins que l’accès aux soins est particulièrement compliqué dans les zones rurales, surtout dans la région de Donetsk où les combats font rage. « Il me semble que là-bas le système de santé ne fonctionne qu’à 30 % de sa capacité, estime Olena. Médecins, psychiatres, personnel soignant, manquaient déjà avant, mais la situation s’est aggravée. » Elle ajoute que les autorités locales tentent de prendre le relais pour les personnes avec de graves problèmes psychiatriques, même si cela reste compliqué.
Pendant la guerre, les problèmes sociaux s’aggravent
Du côté de Marina, ce sont plutôt les questions socio-économiques qui sont au premier plan : logement, travail, problèmes familiaux, difficultés financières et matérielles, etc. Si l’organisation aide tous les civils affectés par la guerre, ce sont surtout les couches les plus fragiles de la population qui sont dans le besoin. « Beaucoup d’entre eux faisaient déjà partis des groupes les plus vulnérables de la société notamment dans les régions les plus isolées. Ils avaient déjà des problèmes avant, et la guerre a empiré les choses », remarque-t-elle.
L’organisation ne prétend pas résoudre toutes les difficultés, mais elle se veut être un intervenant de première urgence face aux situations de crise. « Nous ne sommes pas des juristes, souligne Marina, mais nous sommes présents auprès des gens pour défendre leurs droits et les diriger vers les bonnes instances ». L’organisation tente d’abord et avant tout d’informer les citoyens concernant leurs droits et sur les recours possibles en cas de problème. Selon Marina, malgré la guerre, beaucoup des services étatiques continuent de fonctionner tant bien que mal.
La plupart des bénéficiaires du soutien proposé par Marina et ses collègues de ‘Première Urgence Internationale’ sont des déplacés internes, c’est-à-dire des civils qui ont dû quitter leur foyer à cause des combats. Ils font parfois face à de la discrimination sur le marché du logement ou du travail. « Ces cas de discrimination ne sont pas si courants, mais ils existent tout de même », déplore Marina. Certains propriétaires profitent de leur situation désespérée pour réclamer des loyers démesurés et les employeurs se montrent parfois réticents à embaucher des gens qu’ils craignent de voir repartir à tout moment.
Au-delà des ennuis socio-économiques pour ceux qui se retrouvent sans travail, le problème de l’intégration existe aussi pour les déplacés internes. « Les jeunes de moins de 30 ans s’intègrent plutôt bien à la population locale, mais pour les plus âgés cela reste difficile », remarque Marina. Pour ces derniers, la perte des efforts de toute une vie semble insurmontable : « Ils avaient une maison, un travail, un certain statut dans la société, et ils ont perdu tout ce qu’ils avaient. Pour eux, tout cela est évidemment une catastrophe », dit-elle, ajoutant que l’aide matérielle ne peut pas venir compenser cela.
Selon Olena, c’est là que la combinaison de l’aide sociale et de l’aide psychologique est cruciale, car ces gens se retrouvent souvent émotionnellement incapables de gérer leur nouvelle situation. Mais cette aide prend du temps, car il faut bâtir des relations de confiance avec les bénéficiaires et les aider à éviter de tomber encore plus bas. « Ces gens n’arrivent pas à s’adapter, ils cessent d’être en contact avec eux-mêmes, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Alors ils essaient parfois de soulager leur anxiété avec des médicaments ou de l’alcool », raconte-t-elle.
Tensions en zones libérées
Olena revient également sur des problèmes spécifiques à certaines zones de la région de Kharkiv libérées par l’armée ukrainienne à l’automne 2022, après plusieurs mois d’occupation russe. « Les gens nous racontent que tout dépendait beaucoup des unités russes présentes sur place », dit Olena. Elle note que les districts de Balakliïa et d’Izioum ont souffert d’une occupation particulièrement brutale. « Quelle que soit la situation, c’est toujours une violence psychologique que de se retrouver dans sa ville détruite avec des gens en arme qui circulent ».
La psychologue revient aussi sur les tensions qui surviennent immanquablement entre ceux qui sont restés sous occupation et ceux qui sont revenus après la libération. « Certains reprochent à ceux qui sont partis de les avoir abandonnés, tandis que ceux qui sont revenus en accusent d’autres d’avoir collaboré », résume-t-elle. Selon elle, il y a parfois un manque de compréhension envers les personnes qui sont restées auprès de parents âgés ou bien qui avaient peur de ne pouvoir s’adapter ailleurs. D’ici peu, deux nouvelles équipes de l’organisation devraient couvrir la région de Kharkiv pour se concentrer sur ces zones où il y a beaucoup de besoins psycho-sociaux.
Un travail épuisant de longue haleine
Tout comme les millions de citoyens engagés dans l’effort collectif sans relâche depuis un an, les travailleurs de l’humanitaire ressentent le poids du rythme incessant. Selon Marina, beaucoup de ses collègues se consacrent à l’humanitaire pour aider les autres, tout en oubliant leurs propres problèmes. « Ce sont des gens qui se sont retrouvés dans l’assistance à autrui », dit-elle. Olena précise que l’organisation offre de l’aide psychologique à ses employés et elle ajoute en riant : « Pour moi, ce sont mes chats qui me sauvent ».
Reprenant un ton plus sérieux, Olena souligne qu’elle mène des formations parmi le personnel médical ukrainien et les groupes de volontaires, car le traumatisme vécu par la société ukrainienne est incommensurable. « Chaque jour, cela empire, les gens n’ont plus de ressources personnelles, ils sont au bout du rouleau, et ils doivent néanmoins continuer », dit-elle. « Nous devons avoir foi en notre peuple. Et quand nous aurons une période de paix et de stabilité après tout ça, je suis certaine que beaucoup de gens reviendront à la normale, et qu’ils seront capables de s’adapter », conclut-elle, sur une note positive.